Légitime défense des policiers : pourquoi la proposition de Juppé est bidon

Pour assurer aux policiers que les règles sur la légitime défense changeront quand il sera président, Alain Juppé n’hésite pas à envisager une modification de la Convention européenne des droits de l’homme. Problème : réformer ce texte s’annonce quasi-impossible…

Chez Les Républicains, la Convention européenne des droits de l’homme n’en finit plus de donner des boutons. Surtout quand il s’agit de donner des gages à son électorat. Alain Juppé vient de succomber à ce mal… au point d’avancer une proposition pour le moins surprenante. Cela se passe ce jeudi 3 novembre, au cours du deuxième débat entre les candidats à la primaire de la droite. Les prétendants s’accordent sur l’idée que les policiers doivent pouvoir utiliser leur arme avec plus de libertés.

Une idée émerge : calquer le régime juridique applicable à la police sur celui de la gendarmerie, supposément plus permissif*. Alain Juppé se montre particulièrement offensif. « Il faut que les policiers se sentent soutenus par les autorités de la République et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il ont le droit à notre considération et pour cela, il faut régler le problème de la légitime défense. Vraisemblablement en rapprochant la règle applicable aux policiers de celle des gendarmes, qui peuvent, après sommation, faire usage de leur arme« , assène le maire de Bordeaux.

*Les policiers peuvent utiliser leur arme quand l’agression est « réelle, actuelle et injuste et la riposte simultanée, proportionnée, nécessaire et volontaire », précise l’avocat Laurent-Franck Liénard, spécialiste de la défense des policiers et gendarmes, interrogé par Libération. A contrario, le gendarme peut tirer « s’il ne peut défendre autrement le terrain qu’il occupe » , selon l’article de 2338-3 du code de la Défense. Il bénéficie d’une « présomption de légitime défense », ce qui signifie qu’une enquête n’est pas automatiquement diligentée quand il utilise son arme, au contraire de ce qui est prévu pour un policier.

Comme le fait alors remarquer la journaliste Apolline de Malherbe, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a pourtant récemment condamné un gendarme pour l’usage de son arme. C’est alors qu’Alain Juppé s’emporte :

« La Convention européenne des drois de l’homme ne doit pas nous paralyser dans ce genre de situations. Il faut que les policiers puissent se protéger et si la Convention européenne des droits de l’homme ne l’autorise pas, il faudra qu’on la modifie et qu’on s’engage fortement dans ce domaine« .

Or, cette proposition – hypothétique – n’a aucune chance d’aboutir.

Il faut d’abord noter que la Convention européenne des droits de l’homme autorise dans certains cas le recours à la légitime défense. Dans son article 2 sur le droit à la vie, la Convention stipule que « la mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.« 

Modifier la CEDH : irréaliste

Le recours à une arme létale doit toutefois être justifié par une « absolue nécessité », selon la Cour européenne des droits de l’homme, chargée d’appliquer le droit de la Convention. En 2014, elle a par exemple considéré qu’un gendarme ne pouvait tirer sur un suspect qui s’enfuit d’un commissariat. Arrêt auquel Apolline de Malherbe fait vraisemblablement réference. C’est en outre aux forces de l’ordre de prouver qu’elles ne pouvaient agir autrement pour parvenir au but recherché. Ce que contestent certains responsable de LR. Le 3 novembre 2015, Nicolas Sarkozy s’est par exemple montré favorable à ce que gendarmes et policiers « bénéficient de la présomption de légitime défense ».

La France pourrait bien activer l’article 15 de la Convention, qui permet de déroger à certaines dispositions du traité en cas de « danger public menaçant la vie de la Nation ». Ce qui paraît englober la menace terroriste. Mais cet article ne semble pas permettre aux policiers de faire usage de leur arme comme bon leur semble. « Cette dérogation est limitée à ce qui est nécessaire pour lutter contre le terrorisme. Dans les affaires de droit commun, il n’est pas évident que les policiers pourraient faire usage de leur arme avec plus de libertés« , estime pour Marianne Arnaud de Nanteuil, professeur de droit international public à Paris VIII.

Pour donner plus de latitude aux policiers, Alain Juppé propose donc de modifier la CEDH. Si cela n’est pas impossible, cette procédure est improbable : il faudrait que la France obtienne l’aval… des 46 autres Etats contractants, dont la Russie ou la Turquie qui pourraient notamment prendre un plaisir à contrer les velléités françaises. Une gageure. Une modification de la Convention n’a d’ailleurs jamais été votée pour « restreindre l’exercice de certains droits« , nous signale Gaëlle Marti, professeur de droit public à l’Université Lyon III.

Dénoncer la CEDH : improbable

Reste la possibilité pour la France de dénoncer la CEDH. C’est ce qu’envisage François Fillon, à propos d’un tout autre sujet. Mardi 25 octobre, l’ex-Premier ministre de Nicolas Sarkozy s’est scandalisé de la condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme de la France pour avoir refusé de reconnaître des enfants nés de mère porteuse. La GPA étant interdite en France. François Fillon a affirmé souhaiter « que la CEDH soit réformée pour qu’elle ne puisse pas intervenir sur des sujets qui sont des sujets essentiels, fondamentaux pour des sociétés« . Si cela n’était pas possible, le député de Paris a son plan : « S’il y a un refus de nos partenaires européens d’accepter cette réforme de la CEDH, alors, oui, je propose qu’on en sorte« , a-t-il affirmé.

Dénoncer la CEDH n’a rien d’impossible mais conduirait la France à l’isolement. « Voir un pays fondateur du Conseil de l’Europe, inspirateur de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dénoncer la CEDH serait politiquement ravageur. Et du jamais vu« , note Arnaud de Nanteuil. La participation de la France à l’UE s’en trouverait de surcroît affectée, selon Gaëlle Marti : « Le respect des droits fondamentaux étant une condition explicite d’adhésion et d’appartenance à l’UE, celle-ci peut prendre des sanctions politiques à l’égard d’un Etat membre en cas de « violation manifeste et grave » de tels droits« . Ce qui pourrait être le cas dans cette hypothèse. Sans compter que le traité de Lisbonne en vigueur prévoit l’adhésion prochaine de l’UE… à la CEDH !

A moins qu’Alain Juppé ne change totalement d’axe de campagne et plaide pour une repture avec l’UE, il paraît donc peu probable que sa proposition trouve une concrétisation juridique. Mais elle aura permis de le poser en défenseur des policiers, toujours très populaires au sein de l’électorat LR…

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply