Après que François Hollande a révélé avoir téléphoné à l’émir du Qatar pour que BeIN ne vampirise pas les droits télé du championnat français, les dirigeants de la Ligue de football professionnel s’étranglent. En s’assurant que Canal+ continuerait à diffuser des matches, le président de la République aurait causé un manque à gagner d’au moins 100 millions d’euros à la Ligue. Laquellle menace aujourd’hui d’une action judiciaire.
Les confidences de François Hollande n’en finissent plus de lui faire du tort. Trois semaines après la parution du désormais célèbre Un président ne devrait pas dire ça, livre dans lequel Fabrice Lhomme et Gérard Davet relatent les confessions du chef de l’Etat, Le Canard enchaîné révèle dans son édition de ce mercredi 2 novembre que la Ligue de football professionnel (LFP) envisage d’engager des poursuites en responsabilité pour faute contre l’Etat français. En cause, l’intervention du président de la République dans l’attribution des droits télé de la Ligue 1, le championnat de football français. L’accusant d’avoir arrangé l’issue de l’appel d’offres, la LFP estime avoir été lésée de 100 à 150 millions d’euros.
Pour bien comprendre cette affaire, il faut remonter un plus de deux années en arrière. Alors que l’appel d’offres pour la retransmission des matches de Ligue 1 est lancé pour la période 2016-2020, Canal+ voit surgir un concurrent inédit : la chaîne qatarie BeIN Sports. Diffuseur de la Ligue 1 depuis 1984, la chaîne cryptée est très inquiète à l’idée de perdre un de ses produits phares. C’est dans ce contexte que Bertrand Méheut (ex-PDG de Canal+) et Rodolphe Belmer (ex-directeur de Canal+) demandent à rencontrer le président de la République. Une rencontre dont se souvient François Hollande dans ses confidences faites à Davet et Lhomme. Page 305, on peut lire ceci :
« On a sauvé Canal. J’ai reçu discrètement Belmer et Méheut. J’ai appelé l’émir du Qatar et lui ai dit : “Vous allez venir en France en juin, on vous a défendus par rapport aux Saoudiens, on est à vos côtés, mais là, qu’allez-vous faire sur les Rafale ? Il y a aussi l’histoire du foot… Je souhaite qu’il y ait un partage.” »
Un partage qui a finalement eu lieu sans douleur, alors que tout avait été fait pour faire grimper les enchères. Comme le révèle Le Canard enchaîné, le comité de pilotage de la LFP s’était réuni au début du mois d’avril 2014 pour établir son plan d’action. Il est alors décidé qu’à chaque lot de droits télé attribué, le montant des offres de Canal+ et BeIN sera rendu public, poussant ainsi les deux concurrentes à renchérir sur les lots suivants. Malgré ça, l’escalade financière n’aura pas lieu, un peu comme si tout avait été arrangé à l’avance… Et surprise, c’est Canal+ qui rafle les lots les plus prestigieux. BeIN, qui avait annoncé quelques semaines auparavant vouloir frapper très fort, se contente des matches de Ligue 1 les moins médiatiques. Interrogé par Le Canard enchaîné, Rodolphe Belmer va aujourd’hui jusqu’à dire que « ce jour-là, [l’appel d’offres] s’est déroulé comme on l’avait rêvé. »
Du côté de la LFP, cette confession hollandienne ne passe pas. Déjà en 2014, Frédéric Thiriez, qui était alors président de la LFP, s’interrogeait en interne sur ce non-match. « Pourquoi BeIN s’est-il comporté de cette manière ? peut-on lire dans un procès-verbal du conseil d’administration de la LFP daté du 10 avril 2016. Nous pensions qu’il pousserait très fort sur les trois lots. (…) On peut soupçonner un accord politique, la France faisant pression sur le Qatar afin que celui-ci ne tue pas Canal+ et le monde du cinéma. Nous ne le saurons jamais. »
C’est ce même Frédéric Thiriez qui, à la lecture du bouquin de Davet et Lhomme, crie aujourd’hui au scandale. Dans un bref entretien accordé à L’Equipe, il affirme que le foot français a été lourdement lésé. « J’ai été très choqué par les révélations du président de la République, tonne-t-il. Nous avions des soupçons, aujourd’hui nous avons des preuves. C’est une infraction grave au droit de la concurrence. Le football français a été spolié. Il doit maintenant se porter devant les tribunaux afin de réclamer à l’Etat réparation du préjudice subi. »
François Hollande étant protégé par son immunité présidentielle, les avocats de la LFP songent à engager directement la responsabilité de l’Etat français pour faute. Son manque à gagner sur les droits télé étant évalués entre 100 et 150 millions d’euros, la Ligue réclamera vraisemblablement une somme au moins équivalente en indemnités. Une somme qui serait versée de facto par le contribuable français… Reste à savoir si la volonté de lancer une action judiciaire se concrétisera bel et bien. Contacté par Le Canard enchaîné, Didier Quillot, l’actuel président de la LFP, n’a pas souhaité s’exprimer sur la question.
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