"La déconfiture", dans le chaos de l'exode de juin 1940

À travers le destin d’un simple bidasse, Pascal Rabaté raconte l’été 1940, ses désordres et ses bouleversements extraordinaires.

Parfois, les périodes difficiles de notre histoire jettent un éclairage cru sur celles que nous traversons aujourd’hui. C’est cette ligne de fuite, de migration, qu’a suivie Pascal Rabaté dans la Déconfiture, premier tome poignant d’un diptyque sur la débâcle française de juin 1940. Après un voyage en Russie, l’auteur des Petits Ruisseaux s’est, dit-il, rendu compte de la dépression collective qui hante les esprits européens, de l’Oural à la Creuse. Une dépression qui ne serait pas seulement économique. Alors, il s’est repenché sur un moment clé d’une déroute généralisée annonciatrice de l’apathie moderne. Son témoin, Amédée Videgrain, instituteur dans le civil et bidasse à moto de la «drôle de guerre», erre avec sa compagnie sur les routes, dévastées par les raids des stukas qui laissent véhicules, chevaux et corps sans vie. Ses supérieurs l’ont consigné, il doit garder les cadavres de ses camarades en attendant le passage des ambulances de la Croix-Rouge. Mais le réservoir de sa moto transpercé par l’aviation allemande le jette dans le chaos. Il se perd à retrouver les siens et, chemin faisant, il croise les interminables colonnes de civils fuyant l’occupant, charriant chaises, matelas et souvenirs.

Toute ressemblance avec la crise migratoire n’est pas fortuite

Après Fenêtres sur rue et Vive la marée !, qui offraient des narrations heurtées, Pascal Rabaté revient à un récit plus classique dans la forme, plus linéaire, mais tout autant immersif. Avec ses cadres un peu vides, son dessin, sobre, à l’encre de Chine, et ses dialogues semblant surgir d’un film écrit par Michel Audiard, la Déconfiture est le tableau délicat et burlesque d’un monde en ruine. Un monde où humains et animaux sont livrés à eux-mêmes, où les pages de Victor Hugo servent de papier toilette, où on ne prend même plus le temps d’enterrer ses morts, se contentant de faire «des lits à la pioche» et de «border à la pelle». Pourtant, au cœur de la chaleur de cet été 1940, la vie, elle, se refuse à s’éteindre, et Amédée Videgrain, à se laisser abattre. L’apparent détachement dont le héros de Pascal Rabaté fait preuve cache, sous le dérèglement d’une société en pleine déroute, un ressort de survie très intime, l’amour que le soldat désorienté porte à sa femme et à son fils. Leur souvenir lui tient lieu de boussole. Toute ressemblance avec le drame de la crise migratoire actuelle n’est évidemment pas fortuite. C’est dire combien cet album pétri d’humanité est précieux.

 

 
*La Déconfiture
, de Pascal Rabaté, Futuropolis. 19 €

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