Vacances de la Toussaint : attention, les petits-enfants arrivent !

« Chic, ils arrivent… Ouf, ils repartent ! » A la veille des vacances, les grands-parents se réjouissent à l’idée d’accueillir leurs petits-enfants. A la fin, ils sont sur les genoux. Témoignages de seniors surmenés.

Chicouf : n. m. désignant ce qui est petit, mignon, bruyant, attachant, épuisant… Si vous n’avez jamais entendu ce diminutif, c’est que vous ne figurez pas parmi les 15 millions de grands-parents qui font office de nounous, chauffeurs du mercredi, chercheurs de doudous et remueurs de purée Mousline.

«Chicouf» : la définition s’affiche en préambule du désopilant Guide de survie des jeunes grands-parents publié en 2015 par Hervé et Marie-Pascale Anseaume (1). A 65 et 59 ans, «Daddy» et «Doudou» Anseaume vivent en Normandie, ils s’occupent de leurs quatre petits-enfants, qu’ils surnomment «chicoufs», expression très en vogue chez les seniors. «On les aime, nos petits-enfants. C’est un tel bonheur qu’on se dit « chic ! » quand ils débarquent, mais c’est un tel boulot qu’on se dit « ouf ! » quand ils repartent ! raconte Hervé Anseaume, retraité de l’immobilier. Nous avons élevé quatre enfants. Au moment où nous pensions être tranquilles, voilà que ça recommence avec les petits-enfants : on se retrouve en fin de journée à ranger les jouets et les pièces de puzzle ! Ils vous retournent la maison. Il faut garder un œil permanent sur les petits. Cet été, nous les avons reçus une dizaine de jours pendant que leurs parents voyageaient aux Etats-Unis, on a fini deux fois aux urgences !»

EXTÉNUANTES MINITORNADES

Inspirés par l’intrusion épisodique de ces minitornades aussi réjouissantes qu’exténuantes, les Anseaume rédigent des listes savoureuses. Parmi les 15 bonnes excuses pour ne pas garder ses petits-enfants le week-end : «Je peux pas, j’ai gérontologue». Ou encore les neuf phrases de jeunes parents traduites à l’intention des retraités ; de la version originale : «Quelle connerie, ces rythmes scolaires !» à la version honnête : «Vous êtes vraiment sûrs que ce n’est pas jouable que vous gériez le mercredi ?»

Terminé, l’esclavagisme consenti des mamies gâteau-tricot-dodo fidèles à l’adage «Tu seras disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre» : les grands-parents d’aujourd’hui casent leurs chicoufs entre deux séances de gym. Cet automne, les vacances de la Toussaint ont commencé bizarrement le 19 octobre après la classe : un mercredi. Un casse-tête pour les familles.

A 62 ans, Nicole accepte de dépanner sa fille pour quelques jours, à la condition que cela n’empiète pas sur son stage de méditation. Educatrice à la retraite installée dans le Nord, elle fait du théâtre, du yoga et de la danse. Ses six petits-enfants se répartissent entre le Luxembourg, Paris et les environs de Roubaix : «Ils sont adorables mais nous n’avons plus le même rythme, ils se lèvent beaucoup trop tôt !» s’offusque-t-elle. Cette grande grand-mère (1,80 m) se régale des moments privilégiés où elle leur sort sa caisse remplie de livres pour raconter des histoires, mais elle a renoncé à jouer les mamies de compétition depuis qu’elle a frôlé le burn-out :

«J’en faisais trop. Je faisais des gâteaux pour qu’ils jouent avec la farine, je leur proposais 36 activités, je passais mon temps à ranger. Mon dos me faisait souffrir. Je n’étais plus dans le plaisir ! dit-elle. Aujourd’hui, tant pis s’il y a du bazar. Le repas, c’est poulet, haricots, pommes de terre et je n’hésite plus à les mettre devant un dessin animé. Mes enfants savent qu’ils peuvent compter sur moi si la baby-sitter se désiste, mais j’expérimente une nouvelle façon d’être. Je ne bloque plus tous mes mercredis pour mes petits-enfants.»

A l’âge de 70 ans, huit personnes sur 10 en France sont grands-parents. On devient grand-mère en moyenne à 54 ans, et grand-père à 56 ans. Si la nouvelle génération des seniors branchés sur Skype entretient une tendre complicité avec ses petits-enfants, elle ne voit pas forcément d’un bon œil qu’une bande de chicoufs colle tout l’été à sa paire de Scholl. Près de 67 % des plus de 65 ans estiment non sans humour à propos de leurs petits-enfants qu’il vaut parfois mieux «les avoir en photo», selon un sondage OpinionWay pour Belambra en 2015. «On veut bien être grand-parent mais uniquement sur rendez-vous», souligne le sociologue Serge Guérin, spécialiste de la séniorisation de notre société (2). «Le « syndrome chicouf » s’observe particulièrement chez les CSP +. Les seniors profitent de leur retraite pour prendre des cours de peinture ou d’hébreu, s’investir dans le bénévolat. Ils se disent : « Je vais enfin penser un peu à moi » et ne veulent pas d’une aliénation à la grand-parentalité comme il peut exister une aliénation au travail.»

Chaque fois qu’Annie, ancienne institutrice, tend la perche à son mari : «Et si on emmenait les petits-enfants en vacances ?», ce médecin à la retraite la regarde en faisant des gros yeux. «Il ne veut pas en entendre parler ! Nos enfants sont grands. Il a envie d’être tranquille, de profiter. Quand on dit ouf, ce n’est pas parce qu’on ne veut pas voir nos petits-enfants. On a du plaisir à les accueillir le dimanche mais, en vacances, c’est fatigant !» confie cette brune dynamique de 68 ans. Son petit-fils a 9 ans, sa petite-fille en a 6. Annie s’est beaucoup occupée de l’aîné, l’a récupéré à l’école pour lui éviter la cantine (cinquante minutes de trajet), mais elle ne se sent plus capable de les garder une semaine d’affilée dans sa maison avec jardin du sud de la France. «A l’époque où mes gosses étaient petits, ils savaient s’occuper seuls, mais, aujourd’hui, il faut jouer, jouer, jouer. Allez, mémé, on joue à loup glacé ! Mais mémé, elle n’en peut plus ! A la limite, un-deux-trois-soleil, ça va quand je suis en forme !, rigole-t-elle. Moi, je suis franche. En cas de coup dur, nous sommes là et nous rendons des services, mais, le samedi soir, il ne faut rien nous demander : nous faisons de la danse.» Son mari prend aussi des leçons de piano et elle enseigne le français à des réfugiés. «J’ai une copine qui demande à ses enfants la permission de partir en vacances : « Ça va si on prend telle date ? » s’insurge Annie. C’est la dictature !»

« AGENDA DE MINISTRE »

Selon l’étude Share sur la grand-parentalité en Europe, 51 % des grands-parents en France ont gardé leurs petits-enfants au cours de l’année et 7 % les gardent tous les jours. «On les sollicite beaucoup, chaque fois qu’il y a une grève à l’école, un emploi du temps modifié, dès qu’un grain de sable perturbe l’organisation, relève Jeanne-Marie Hebbinckuys, présidente de l’EGPE (Ecole des grands-parents européens) dans le Nord. Ce qui surprend beaucoup les grands-parents, c’est l’agenda de ministre de leurs petits-enfants, qu’il faut conduire au foot, à la piscine… Et qu’on leur demande leur avis pour tout, comment tu veux t’habiller, qu’est-ce que tu veux manger…»

Biberonnés aux tablettes tactiles, élevés par des parents débordés, divorcés ou recomposés, les chicoufs choyés à la maison ne rangent pas forcément leur iPad et ne renoncent pas à leurs exigences chez les grands-parents. Ils sèment un joyeux foutoir et font la moue sur le menu. A 3 ans, Jules réclame des pâtes, mais pas n’importe lesquelles : «Il choisit entre les spaghettis, les pâtes alphabet…», explique Suzanne, 65 ans, surnommée «Doudou» par ses quatre petits-enfants de 3 à 7 ans. Occupée par ses voyages et ses consultations à l’hôpital, Suzanne les prend dès qu’elle le peut l’après-midi ou pour la nuit. «Quand nous en discutons entre amies, on appelle toutes nos petits-enfants les chicoufs, sourit-elle. Chic, parce qu’on est vraiment contentes de les voir avec leurs chansons, leurs jeux, leurs rires. Chic, parce qu’un enfant qui vous prend dans ses bras pour vous dire « Je t’aime » et qui hurle votre prénom en vous voyant, c’est un shoot d’amour. Et ouf, parce qu’on va enfin ne plus glisser sur une balle dans le salon, changer les draps inondés de pipi à 4 heures du matin, se reposer dans son lit sans qu’un petit vous grimpe dessus.» Comme la majorité de ses congénères, Suzanne part du principe que les parents sont là pour l’éducatif, les grands-parents pour le fun et le plaisir de la transmission : «Chez moi, ils ont tous les droits, sauf si c’est risqué. On doit faire preuve d’une attention redoublée, éviter tous les dangers. Quand mon petit-fils a jeté une petite voiture sur une vitre, j’ai eu un gros stress !»

DU STRESS AU BURN-OUT

Parmi les «10 tâches ingrates que vous vous taperez quand même», recensées dans le Guide de survie des jeunes grands-parents figurent entre autres : le voir se faire vacciner, l’emmener une journée à Disneyland, étiqueter les vêtements pour la rentrée… et vous inquiéter pour eux, tout le temps. Mais gare au stress ! Une étude scientifique menée par des neurologues australiens s’est intéressée aux grands-mères s’occupant de leurs petits-enfants : une journée de garde par semaine améliorerait les fonctions cognitives des mamies et les préserverait des risques d’Alzheimer. En revanche, les garder cinq jours d’affilée entraînerait chez les mamies les mêmes symptômes (stress et anxiété) que le burn-out. En résumé, les chicoufs, c’est bon pour la santé, mais avec modération.

 

(1) Guide de survie des grands-parents, de Marie Thuillier et Marie-Pascale et Hervé Anseaume, Editions Tut-Tut, 160 p., 9,90 €.

(2) Silver génération. Dix idées reçues à combattre à propos des seniors, de Serge Guérin, Michalon, 154 p., 15 €.

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