Alors que la bataille de Mossoul occupe l’espace médiatique depuis une semaine, les Kurdes de Syrie essuient toujours des bombardements turcs qui fragilisent leur lutte contre Daech.
« L’armée turque profite de la focalisation de la presse et de la communauté internationale sur Mossoul pour attaquer massivement les Kurdes de Syrie ». Lors d’une conférence de presse organisée le 25 octobre dans les locaux du Rojava – nom donné au Kurdistan syrien – à Paris, le représentant du Rojava en France, Issa Khaled, a dénoncé en ces termes le double jeu mené par Recep Erdogan. « La Turquie intervient pour soutenir les islamistes », s’alarme pour sa part l’écrivain et baroudeur Patrice Franceschi, grand défenseur de la cause kurde, auprès de Marianne. Il va même plus loin, considérant que cet affrontement entre les Kurdes de Syrie et la Turquie d’Erdogan est celui de « deux projets de société, celui des islamistes contre celui de la laïcité » porté par les Kurdes.
Depuis le 24 août dernier, la Turquie intervient sur le sol syrien dans le cadre de son opération « Bouclier de l’Euphrate », une offensive visant l’EI mais aussi les Forces démocratiques syriennes (FDS) dans le nord de la Syrie, coalition composée d’une majorité kurde, de combattants arabes, de Yézidis et de milices chrétiennes. Bien qu’officiellement Ankara a désigné l’EI comme son ennemi principal, son action sur le terrain cible davantage les combattants des YPG et combattantes des YPJ, branches militaires du parti kurde syrien de l’union démocratique (PYD) et les FDS soutenues par Washington et Paris.
Un communiqué de l’armée turque du 20 octobre annonce ainsi la mort de 160 à 200 membres des YPG dans le nord de la Syrie à la suite de ses bombardements. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) nuance ce bilan et fait lui état de 14 morts et d’une dizaine de blessés. Mais l’ONG insiste sur le fait que près de 100 civils auraient été victimes des bombardements d’Ankara depuis le début de son opération militaire en Syrie, qui l’a amené à prendre le contrôle d’un territoire de plus de 1000 km2. Pour sa part, le représentant du Rojava en France pointe la soixantaine de tirs d’obus essuyés par les YPG durant la nuit du 25 octobre.
Depuis 2014, les combattants Kurdes ont remporté de nombreuses victoires sur les forces Abu Bakr al-Baghdadi, le calife auto-proclamé de l’Etat islamique. Plus récemment, grâce au soutien de la coalition internationale contre Daech, les FDS ont récupéré des villages à l’EI situés à une dizaine de kilomètres de Raqqa, capitale syrienne de l’EI. Ce qui inquiète le « sultan » Erdogan.
Car Ankara redoute par dessus tout la constitution d’une région autonome kurde à sa frontière sud. En effet, le territoire kurde en Syrie se divise aujourd’hui en trois zones, Afrin au nord-ouest, Kobané dans le nord, et Djézireh dans le nord-est. Si l’union géographique de ces deux dernières a pu être obtenu par des victoires militaires, Afrin reste isolé par un couloir de 70 kilomètres de large. Pour les Kurdes de Syrie, la prise de cette région représenterait l’occasion d’unir géographiquement le Kurdistan syrien, objectif dont le PYD ne se cache pas. Mais pour la Turquie, le PYD n’est que la forme syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation considérée comme terroriste par le pouvoir turc avec laquelle elle est en guerre depuis 1984.
Tandis que s’est tenue le 25 octobre une réunion des ministres de la Défense des principaux pays de la coalition à Paris, les grandes puissances engagées contre Daech vont devoir se pencher sur cette situation. Stratégiquement, la prise de cette région aux mains de Daech permettrait de couper les voies d’approvisionnements de l’EI à Raqqa, un atout pour la coalition internationale qui souhaite isoler la ville en vue de la chute de Mossoul. Le représentant du Rojava, Issa Khaled, propose lui un contrôle international sur la zone disputée. Une solution soutenue par Patrice Franceschi. Ce dernier tient à mettre en garde : « Il ne faut pas rater le coche », au risque que la situation ne tourne à l’avantage de l’EI.
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