Alors que la Wallonie s’est opposée à la signature de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, les discussions se poursuivaient mercredi pour tenter de surmonter l’impasse. Derrière ce blocage se profile la crise lancinante de gouvernement que connaît la Belgique, mais aussi un système politique belge bien particulier. Explications avec Pascal Delwit, professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles.
Marianne : Comment expliquer que la Wallonie puisse à elle seule bloquer le traité Ceta ?
Pascal Delwit : Les conditions étaient réunies pour une impasse. Institutionnellement, les régions et communautés linguistiques belges sont compétentes pour signer et ratifier les traités internationaux. L’accord de toutes ces entités fédérées était donc nécessaire. Or, on sait depuis un certain temps que, côté wallon, des objections sur le contenu du Ceta ont été soulevées. Mais la situation s’explique aussi par la configuration politique belge, qui est un peu particulière. Aujourd’hui, le Parti socialiste francophone et les chrétiens-démocrates francophones, qui forment la majorité au niveau wallon, sont dans l’opposition au niveau fédéral. Il n’existe donc pas de parti qui aurait pu jouer le rôle d’intermédiaire entre les deux niveaux.
On a entendu des voix s’insurger de ce que 4,5 millions de Belges francophones paralysent un accord qui concerne 500 millions d’Européens. Qu’en pensez-vous ?
Ces traités internationaux ne sont pas de la compétence exclusive de l’Union européenne, ils doivent être ratifiés par les parlements nationaux. Le cas wallon est la résultante du processus énoncé par les traités. Un parlement est saisi d’une question : il la traite, il la vote, et il faut respecter ce vote. Cela n’a donc pas de sens d’invoquer un nombre d’habitants. Si le Luxembourg avait refusé le Ceta, on aurait entendu de la même façon : « Quoi, 500.000 Luxembourgeois bloquent le traité ? » Quelle est la réponse, dans ce cas ? On ne respecte plus le droit européen et on explique que tous les parlements des Etats membres de l’UE doivent obligatoirement voter dans un seul sens ? Si on trouve que le processus n’est pas le bon, on change le droit, mais c’est un autre débat.
Par ailleurs, une renégociation est toujours possible après un refus. On l’a vu lors de la ratification du traité de Maastricht en 1992 ou après le non au traité constitutionnel européen en 2005. Celui-ci a fini par aboutir sous la forme du traité de Lisbonne.
« Les signaux négatifs émis par les Wallons ont été ignorés au niveau fédéral belge, mais aussi au niveau de l’UE »
Tout au long des dernières décennies, la Flandre a poussé pour plus de fédéralisme en Belgique. Or, c’est précisément ce fédéralisme qui permet aujourd’hui à la Wallonie de retoquer le Ceta… auquel les Flamands sont favorables ! Sont-ils pris à leur propre piège ?
C’est un paradoxe, puisque la demande de régionalisation et d’approfondissement du fédéralisme est effectivement venue de Flandre. Mais l’autre grand débat belgo-belge, c’est la philosophie du fédéralisme que l’on souhaite : un fédéralisme de coopération ou de confrontation ? S’il y a avait eu une réelle dynamique de coopération, les signaux négatifs émis par les Wallons sur le Ceta auraient été perçus plus tôt. En réalité, ils ont été ignorés au niveau fédéral belge, mais aussi au niveau de l’UE.
On entend beaucoup que la Belgique est devenue ingouvernable. L’affaire du Ceta le confirme-t-elle ?
Je reste prudent là-dessus. D’abord, ce n’est pas la première fois que ce genre de situation se produit. Cela fait partie des charmes de la démocratie : il y a des surprises, que ce soit par voie parlementaire ou par voie référendaire, comme en France en 2005. Ensuite, je n’y vois pas l’illustration d’un blocage ultime, mais plutôt un exemple typique de ce que peut produire le fédéralisme de confrontation.
Les Belges vont-ils finir par s’accorder sur le Ceta ?
Bien sûr. C’est la logique belge : on n’est pas souvent d’accord, mais on discute ! Le PS et les démocrates-chrétiens francophones restent fondamentalement européistes. Cette majorité n’a pas dit qu’elle ne voulait pas du Ceta, elle réclame simplement des changements sur plusieurs points majeurs. A la phase de dramatisation succède une phase de négociation à deux niveaux : celui de la Belgique et celui de l’UE. Le gouvernement et le parlement wallons n’ont pas l’intention de bloquer le traité, ça ne fait aucun doute pour moi. Et que le dénouement ait lieu dans quelques jours ou quelques semaines, ça ne va pas changer la face du monde.
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