Alexandre Langlois (CGT-Police) : "On décrédibilise la colère de la police en nous traitant de fachos"

Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT-Police, sera mercredi 26 octobre devant l’Assemblée nationale pour soutenir la grogne des policiers. Auprès de « Marianne », il dénonce le « mépris » de sa hiérarchie et des politiciens qui auraient abandonné de longue date la base policière, dépourvue de moyens et exténuée par l’état d’urgence.

Après dix jours de mobilisation du mouvement « asyndical », François Hollande reçoit ce mercredi les syndicats de policiers à 18 heures, et le Conseil national de la gendarmerie dans la foulée. Mardi, les syndicats policiers ont tenté, en vain, de reprendre la main sur un mouvement auto-organisé sur les réseaux sociaux – à peine plus de 150 personnes à Paris ont suivi l’appel d’Alliance-PN et consorts à manifester devant les palais de justice… 

 

Marianne : Les pouvoirs publics comprennent-ils le “ras-le-bol” policier ? Vous sentez-vous soutenus par votre hiérarchie ?

Alexandre Langlois : Je crois qu’ils s’en foutent ! Les collègues se font brûler à Vitry-Châtillon le 8 octobre dernier ? Notre ministre de tutelle Bernard Cazeneuve et le Premier ministre Manuel Valls sont venus… après leur week-end, le 10 octobre, faire le tour des commissariats de l’Essonne ! On voit le niveau de mépris… Face à la colère, notre directeur, Jean-Marc Falcone, a dans un premier temps assuré “sanctionner” les manifestants et lancer une enquête de l’IGPN [le corps d’inspection de la police]. Il a fallu attendre plus d’une semaine pour l’entendre enfin “comprendre notre colère”… Il est sur une autre planète.

Le directeur de la Direction générale de la police nationale est-il trop “politique” à vos yeux ?

Ses proximités personnelles ne nous concernent pas. Le problème, c’est lorsque ses accointances rejaillissent sur sa fonction. La police nationale est instrumentalisée par les politiciens depuis 15 ans. Le directeur de la DGPN est aux ordres du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, au lieu de défendre la neutralité du service public. Dans les hôpitaux, les infirmières soignent les gens de la même manière quelque soit le gouvernement en place – c’est leur mission. Nous, on a l’impression que notre boulot doit être fait en fonction des accointances politiques de chacun. Ras-le-bol !

« Les tableaux statistiques, c’est 2 heures de paperasse sur 8 heures de travail »

Quelles sont vos revendications ?

Les politiques en place nous disent qu’il n’y a plus d’argent, pour remplacer les véhicules, ou pire, pour acheter du savon dans les toilettes ! Parce qu’ils aiment leur métier et par “conscience professionnelle”, les policiers paient de leurs poches pour avoir les moyens de travailler – le kevlar, les chaussures, les lampes torches… Et même pour un étui à pistolet ! Au début de ma carrière, je devais débourser 600 euros par an sur mes deniers personnels.

En parallèle, les commissaires reçoivent des primes monstres. Qu’on nous dise qu’il n’y a plus d’argent pour nous acheter le minimum, et qu’on parvienne à débourser 80 000 euros de prime, moi, ça me choque ! Même le plus mauvais peut toucher 10 à 15.000 euros de prime ; cette somme, c’est le salaire à l’année d’un adjoint technique… On demande à relever le point d’indice des policiers, pour qu’on reconnaisse enfin notre travail.

Et depuis des années, en raison de la politique du chiffre initiée par les gouvernements précédents, on en vient à devoir remplir des camemberts statistiques plutôt que d’assurer la sécurité des citoyens. Manuel Valls, en temps que ministre de l’Intérieur, nous avait assuré être contre… tout en précisant qu’il nous évaluerait dessus. Par rapport à Nicolas Sarkozy, c’est la même chose, l’hypocrisie en plus ! Ces tableaux statistiques chronophages, c’est 2 heures de paperasse sur 8 heures de travail d’un policier de terrain. C’est ultra-fatiguant pour pas grand chose, pendant ce temps-là on ne s’occupe pas de la sécurité publique.

Avec ces conditions de travail, c’est soit le burn-out, soit, malheureusement, le suicide. Dans tous les cas, les solutions ne sont pas les bonnes.

Jean-Christophe Cambadélis évoquait la « patte » du FN sur le mouvement de rue. Rodolphe Schwartz, un militant du FN s’est même présenté en temps que porte-parole du mouvement… Dernièrement un sondage donnait le chiffre de 57% d’intentions de vote pour le FN dans les rangs policiers…

Ah, forcément, si on s’en tient aux sondages, sur un échantillon représentatif de 200 personnes… la classe ! (lien) Ces statistiques sont vraiment mauvaises, ou hypocrites.

Pour ce qui est de Schwartz, lors des manifestations de policiers, les collègues ne se connaissent pas tous, ils viennent de toute la région, certains sont mêmes de simples citoyens… Lui, il n’a pas annoncé sa qualité. Mais rien qu’à voir les réactions sur les groupes publics Facebook de policiers que tout le monde peut voir, le message, grossièrement, est clair : “S’il se repointe en manif’, on le démonte !”

« Aux élections professionnelles, le FN fait un score dérisoire »

Le Front national essaye de percer dans la police nationale, ça c’est sûr ! Pourtant, si on additionne le syndicat France-Police affilié FN qui a fait moins d’un pour cent, et la FPIP qui est proche des idées d’extrême droite sans être affiliée, on n’arrive même pas à 5 % pour le parti frontiste. Oui, le FN prend dans la société, et la police est à l’image de cette dernière. Mais aux élections professionnelles, le parti frontiste fait un score dérisoire.

Encore une fois, on décrédibilise la colère sociale de la police et on trouve une échappatoire en nous traitant de « fachos ». Cette fois, on ne pouvait pas trouver des gens pour cogner sur les manifestants comme durant la loi Travail, mais ils ont trouvé de quoi faire diversion en nous assimilant au FN. 

Le mouvement nocturne dans les rues de Paris depuis le 17 octobre s’attaque clairement aux syndicats qui ne les représenteraient plus. Quel est le problème ?

Les syndicats majoritaires sont à vomir [NDLR : la CGT-Police, dont Alexandre Langlois fait partie, a réalisé le score de 0,6% aux dernières élections professionnelles] ! Dans les chiffres, c’est génial ! 80 % des policiers syndiqués ! Quand on creuse, on remarque que les syndicats s’occupent de l’avancement et des mutations, siégeant dans les commissions chargées de la carrière des policiers. Et font un odieux chantage aux gens de la base : si tu veux un avancement salarial, tu dois être syndiqué chez nous. En plus de ça, ils se gavent bien entre eux, puis gavent leurs proches, puis enfin gavent les adhérents… Si tu veux obtenir quelque chose dans le système “magouille”,  il faut être syndiqué, et réélire les mêmes plus tard.

Les syndicats majoritaires, comme Alliance-PN ou Unité-SGP, assurent qu’ils vont “canaliser la colère des policiers” avec des petits marches silencieuses, et nous dire comment penser pour qu’on rentre dans le rang. Ils sont complètement déconnectés et ça va être compliqué pour eux de négocier avec le gouvernement s’ils ne sont pas légitimes auprès de la base.

 

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