La nuit où les flics ont marché sur Beauvau

Les manifestations de policiers qui ont débouché à moins de 200 mètres de la grille du ministère de l’Intérieur se comptent sur les doigts d’une main dans l’histoire de la police. C’est arrivé ce mercredi 19 octobre…

C’est à 21h30, ce mercredi 19 octobre, qu’un mystérieux organisateur avait donné rendez-vous à ses « collègues du jour et de la nuit », place de la République à Paris. Les deux manifestations « sauvages » organisées les jours précédents avaient été qualifiées d’« inacceptables » par les plus hautes autorités. Le directeur général de la police nationale, Jean-Marc Falcone, avait parlé de « sanctions » mais les choses avaient « bougé », raison de plus aux yeux de ce collectif agissant en dehors de toute structure syndicale pour organiser un nouveau rassemblement. « La peur change de camp », notait l’auteur du SMS qui circulait en boucle. « Les villes de province nous suivent, la présidentielle est dans six mois, nous avons les cartes en mains pour obtenir rapidement satisfaction aux revendications, ce que parviennent difficilement à faire nos syndicats ». Et de livrer la liste des fronts sur lesquels cette « base » policière entend marquer des points : moyens matériels, humains, financiers, considération de la hiérarchie, reconquête du terrain dans les quartiers difficiles…

Ils sont plusieurs centaines à affluer vers le point de rendez-vous, moyenne d’âge 30 ans, beaucoup plus d’hommes que de femmes, équipés de foulards ou de cols montants pour être le moins identifiables possibles sur les photos. Pas de banderoles, pas de discours, ils sont là « pour montrer notre solidarité avec les collègues blessés par des cocktails Molotov » alors qu’ils protégeaient une caméra de surveillance à deux pas d’une cité « difficile » de Viry-Châtillon, dans l’Essonne. Le programme n’est pas clair, mais un mouvement s’amorce et un cortège marche en direction de l’hôpital Saint-Louis, où sont soignés les brûlés. La petite troupe hésite, comprend qu’elle ne peut pas rester là car elle gêne l’accès des secours. Les policiers entonnent une Marseillaise en chœur et se remettent en marchent, non sans scander à intervalles réguliers ses slogans préférés : « Falcone démission », « Cazeneuve démission ». Un coup sur le patron, un coup sur le ministre.

« A Beauvau ! »

Il est plus de minuit lorsque la troupe, sans vrai leader, se retrouve place de la République. Certains croient à la dispersion, mais ils sont trop déterminés pour en rester là et trop satisfaits de se voir si nombreux pour vouloir se séparer. « A Beauvau ! » crie une voix, disant ce qu’ils pensaient tous tout bas. Et c’est bien en direction du ministère de l’Intérieur de Bernard Cazeneuve qu’avance désormais le cortège. « On a des armes, me glisse un manifestant, 30 ans, gardien de la paix depuis deux ans, mais si elles étaient en chocolat, ce serait pareil ». « On en a marre d’être de la chair à canon », dit son voisin. Manière de mettre le doigt sur ce qui semble essentiel à leurs yeux : si les services spécialisés ont été dotés d’équipements sérieux depuis le début des attaques terroristes, eux se sentent de plus en plus menacés.

« Citoyens avec nous ! » Les riverains de la rue du Louvre sont appelés à soutenir le mouvement, tandis que retentit cette strophe de la Marseillaise : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ». Les brassards rouges siglés Police sont là pour couper court aux doutes : ce sont bien des flics qui défilent, de manière complètement illégale, en plein Paris et en pleine nuit. Près à braver toutes les menaces de sanction pour dire leur part de vérité.

La tête du cortège bifurque rue de Rivoli, un ou deux motards tentant de bloquer les voitures aux carrefours. On passe à la hauteur de celle qui mène à la place Vendôme et au ministère de la Justice, mais ce n’est pas la cible ce soir. Place de la Concorde, on sent de l’hésitation. « Tout droit ! » s’écrie un policier. Tout droit, c’est la rue qui longe l’ambassade des Etats-Unis et mène alternativement à l’Elysée ou au ministère de l’Intérieur. Au bout, dans la pénombre, trois camionnettes de la gendarmerie ont été placées en travers de la route, devant lesquelles stationnent une vingtaine de gendarmes en tenue de maintien de l’ordre. « Les gendarmes avec nous ! », scande la petite foule avant de se soulager en tapant à nouveau sur Bernard Cazeneuve et Jean-Marc Falcone. Un commissaire parlemente deux minutes, personne n’a envie d’insister et les policiers glissent vers l’avenue des Champs-Elysées, qu’ils remontent jusqu’à la place de l’Etoile. Pour aujourd’hui, ce sera tout mais c’est déjà énorme : les manifestations de policiers qui ont débouché à moins de 200 mètres de la grille de Beauvau se comptent sur les doigts d’une main dans l’histoire de la police. Le ministre de l’Intérieur s’en souviendra longtemps.

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