La Colombie sur le sentier périlleux de la paix

Le peuple colombien a rejeté le compromis qui aurait pu être trouvé entre le gouvernement et les Farc lors du référendum du 2 octobre. De nouveaux pourparlers doivent commencer entre les deux parties. Le dialogue sera à coup sûr des plus ardus.

Malgré l’échec du référendum du 2 octobre, la pression internationale reste très forte sur la Colombie, comme le prouve le prix Nobel de la paix accordé ce vendredi au président José Manuel Santos pour ses « efforts en vue d’achever la guerre civile de plus de 50 ans ». Sous sa direction, le gouvernement colombien avait trouvé un accord, signé le 26 septembre à Cartagène, avec la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Après plus de 50 ans d’insurrection communiste, ces dernières ont décidé de poursuivre les mêmes objectifs mais par d’autres moyens : l’accès au pouvoir politique non plus par les armes mais par les urnes. Mais, à la faveur de ce référendum, le peuple colombien a rejeté le compromis historique, créant une période d’incertitude et obligeant à de nouveaux pourparlers entre les deux parties.

Nuit debout à la colombienne

Les raisons de ce rejet sont multiples et incertaines : l’abstentionnisme, le passage de l’ouragan Matthew, l’opposition de fond à l’amnistie et à l’intégration des Farc sur la scène politique que les accords prévoyaient… La campagne pour le « non » a suscité des débats passionnés en Colombie, et même parfois des propos homophobes. Et cette stratégie a porté ses fruits.

Le processus de paix avec les Farc doit à présent entrer dans une nouvelle phase de négociations, au cours desquelles le gouvernement va perdre le monopole de la décision. Une opposition renforcée, sous la direction de l’ex-président Alvaro Uribe, veut garder la main sur les points les plus sensibles de l’accord et exige la modifications. Dans le même temps, le gouvernement a annoncé la fin de la période de cessez-le-feu pour le 31 octobre, et les Farc ont amorcé leur retour dans leurs campements munis de leurs armes. Et une troisième force est entrée sur la scène publique : les partisans du « oui » sont sortis massivement dans la rue et se mobilisent suivant le modèle de « Nuit débout » en France pour exiger une participation plus active dans les négociations.

Mais la tâche reste difficile. Après quatre ans de négociations, l’accord du 26 septembre entre le gouvernement colombien et les Farc visait à la fois à encadrer le passage de la lutte armée à la lutte politique, à assurer la réparation les victimes, tout en prévoyant un développement axé sur le monde rural et l’arrêt de la culture de la drogue. Divisé en six points, il est considéré comme le plus complet que le pays ait jamais connu dans sa longue histoire de conflits.

Aujourd’hui, il semble difficile que les Farc renoncent à certains points substantiels, comme le souhaitent les partisans du « non ». Si le chef des Farc, Rodrigo Londoño, s’est dit prêt à effectuer une rectification des accords, le dialogue sera à coup sûr des plus ardus.

Les accords, point par point

Le dernier point substantiel sur lequel un accord avait été trouvé (point 3) est celui qui traduit matériellement la fin des Farc. Le groupe s’engageait à arrêter la guerre, rendre les armes et se réinsérer dans la vie civile dans une période de six mois. L’objectif principal de l’accord est en effet que les Farc cessent d’être un mouvement armé et deviennent un parti politique.

Pour ce faire, l’État s’engageait à assurer le financement du nouveau mouvement politique pendant dix ans, et à lui assurer cinq sièges de député (sur 166) et cinq de sénateur (sur 102) pendant les deux prochaines législatures. Il promettait aussi d’assurer leur sécurité en renforçant la protection individuelle des membres politisés des Farc, mais également de l’ensemble des partis et mouvements politiques. Par ailleurs, l’État participait économiquement à la réinsertion civile des anciens combattants à travers le versement d’aides sociales autour de 90 % du salaire minimum – 200 euros – pendant deux ans et celui de subventions pour la création d’entreprises.

Toutefois, pour que le processus prenne effet, il fallait que la ratification de cet accord, sa mise en œuvre et sa vérification (point 6) soient effectives. Rejeté par la population dans les urnes, le 2 octobre 2016, la démobilisation des Farc n’est plus assurée. Le président avait fait de cette idée de ratification populaire l’un de ses étendards lors des pourparlers, de même qu’il a insisté sur la présence d’observateurs internationaux comme garants du processus.

Si l’accord avait été ratifié tel quel, l’exécutif disposait d’un cadre législatif spécial durant six mois augmentant ses prérogatives tout en rendant la prise de décision parlementaire plus rapide. L’idée était de faciliter la mise en place des accords. Mais surtout, ces accords prétendaient avoir une valeur constitutionnelle pour assurer leur viabilité en cas d’alternance politique. Car l’un des grands enjeux concernant l’application de ces accords sera lié au maintien, dans la durée, du système de justice transitionnelle.

Une juridiction spéciale pour la paix

Après plus de cinquante ans de conflit armé, la Colombie compte plus de 7 millions de victimes et, par conséquent, un nombre très important de bourreaux. Le point sur les victimes (point 5) cherchait à répondre aux demandes des victimes – vérité, justice, réparation – en même temps qu’il incitait les combattants démobilisés à se soumettre à une juridiction spéciale pour la paix plus attractive que la justice normale.

Cette juridiction devait être composée de 24 juges nationaux et internationaux avec le rôle d’enquêter, de juger et de sanctionner les responsables des crimes. L’objectif était surtout d’établir la vérité sur les responsables des atrocités commises pendant le conflit, d’où le fait que cette juridiction puisse également juger les combattants ou complices non affiliés aux Farc. Si la collaboration avec la justice devait être effective, les personnes condamnées pouvaient bénéficier de peines alternatives à l’incarcération, à l’exception notable des cas des crimes contre l’humanité, qui conduiront, eux, à des peines de prison, mais réduites.

Par ailleurs, tous les délits annexes à la rébellion politique étaient amnistiés, et les peines n’étaient pas assorties de restrictions de participation à la vie politique. Car un des objectifs de l’accord était d’éviter la reprise du conflit armé, à travers l’assurance d’une participation politique ample et diverse (point 2). Le but de l’accord n’est pas seulement d’assurer la participation politique des Farc mais bien d’ouvrir cette perspective en garantissant un cadre juridique à l’opposition et aux formes de contestation non partisanes.


La population colombienne aura le dernier mot sur l’accord de paix. Guillermo Legaria/AFP

Toutefois, la violence politique est une « tradition » en Colombie et les défis liés à cette participation politique échappent à l’État. D’une part, la gauche a été historiquement stigmatisée et rattachée de la lutte armée, d’où un biais culturel qui sera difficilement résolu à court terme. D’autre part, la guerre ne disparaît pas avec les accords : les Farc ne sont pas le seul groupe armé du pays.

Même si l’État partage la responsabilité de la violence politique, c’est historiquement la confrontation entre des groupes armés illégaux qui est responsable de l’anéantissement des oppositions politiques. Tant que ces groupes continuent à exister, la paix, même si signée avec les Farc, reste incertaine. Un fait qui souligne l’importance d’avoir une vision consensuelle du développement.

L’enjeu crucial du développement des campagnes

Les deux premiers points sur lesquels un accord avait été trouvé sont ceux relatifs aux questions sociales. Les accords s’ouvrent avec une réforme agraire (point 1) qui est considérée comme l’enjeu originel du conflit et le seul à pouvoir permettre la consolidation d’une paix stable et durable. L’objectif principal était d’assurer le développement socio-économique dans les campagnes colombiennes afin de résoudre la pauvreté et les inégalités, dans l’un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine.

Les instruments à disposition sont d’apparence facile mais coûteuse. Le but est de revaloriser le travail paysan à travers de l’amélioration des infrastructures, de la productivité, de l’éducation, de la santé, en même temps que l’accès à la terre est démocratisé. Cela suppose la régularisation de titres de propriété inexistants (estimés à 7 millions d’hectares) et la création d’un fonds de 3 millions d’hectares à distribuer entre les paysans sans terre.


Deux membres des Farc assistant à la retransmission de l’accord de paix. Raul Arboleda/AFP

La Colombie reste également l’un des pays les plus inégalitaires en terme d’accès à la terre. Or si l’accord cherche remédier à ces problèmes, il ne remet pas en cause le modèle agricole basé sur la (grande) propriété privée. De là naissent des défis énormes pour une mise en place effective de ce volet : alors que l’accès à la terre constitue un point d’entrée vers le développement, l’accès à la propriété n’empêche pas – à long terme – le déclin du monde paysan. L’enjeu de l’accord est d’assurer le développement socio-économique avec des investissements privés permettant d’éviter que les paysans ne se tournent vers des marchés illégaux comme celui des drogues.

Vaincre le nerf de la guerre, les drogues

L’enjeu des drogues est surtout de nature économique. En Colombie, les drogues ont été le nerf de la guerre. Le pays en exporte massivement de façon illicite depuis les années 1970, et depuis deux décennies, celles-ci sont le mode de financement par excellence des groupes armés. Pour cette raison, les accords cherchaietn à trouver une solution à la participation massive de la Colombie dans ce trafic (point 4).

Suivant la ligne du président Santos sur la scène internationale, les accords pretendaient promouvoir une approche humaine et sociale envers les cultivateurs et les consommateurs. Ainsi, le pilier n’est plus l’éradication des cultures mais leur substitution par des produits légaux afin que les paysans mettent un terme, de manière durable et définitive, à la culture des drogues. Or, même si la philosophie de l’accord prêche pour que cette transition soit faite collectivement dans les communautés, les bénéfices du marché des drogues seront difficilement égalés avec des productions légales. D’où un scepticisme important sur la véritable portée de ces accords, alors que les cultures illicites repartent justement à la hausse.

En somme, l’accord est ambitieux… mais suscite des oppositions viscérales. Les défis à venir sont grands. D’autant que les opposants des accords on remporté provisoirement une victoire contre les Farc, le 2 octobre dernier, non pas par les armes mais cette fois dans les urnes. Et le nouveau Prix Nobel de la Paix, le président Santos, aura fort à faire dans les mois qui viennent pour répondre aux fortes attentes placées en lui sur la scène internationale.

The Conversation

Luis Rivera Velez, Doctorant au CERI sur la politique des drogues en Amérique latine, Sciences Po – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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