C’est un résultat aussi redouté qu’il était prévisible : pour la deuxième fois, les islamistes du PJD (Parti de la justice et du développement) ont remporté les élections législatives au Maroc. Il leur reste à réunir une coalition afin de constituer leur gouvernement.
C’était un soir de fête au siège du PJD, ce vendredi 7 octobre, à Rabbat, capitale administrative du royaume. Dans un quartier résidentiel, mais dans une petite villa bondée, pleine à craquer de supporter fébriles. Petite, car le PJD se targue de faire les choses modestement, se comparant sans cesse avec les autres partis installés dans des immeubles luxueux. Ressort populiste classique, mais qui repose sur une réalité qui fait la force de cette formation dont l’assise vient de se confirmer.
Il est 23h30, on boit du thé, on se tombe dans les bras. L’enjeu de cette élection est simple : depuis la promulgation de la nouvelle constitution de 2011, c’est le leader de la formation arrivée en tête qui est désigné comme chef du gouvernement. A charge pour lui de constituer une coalition pour obtenir une majorité, qui lui permettra de constituer son équipe avec des ministres issus d’autres formations. Point important, et mal connu à l’étranger : tous ne sont pas désignés par lui. Certains ministères régaliens, comme la Défense, sont directement nommés par le cabinet royal. Les estimations donnent le parti largement en tête.
Dans la salle et à l’extérieur, beaucoup de femmes, presque toutes voilées. Mais des voiles de couleurs, que portent aussi quelques adolescentes sérieuses qui s’endorment à moitié. La comparaison avec l’AKP turc saute aux yeux. Un parti islamiste traditionnaliste, celui des classes moyennes qu’il cherche à rassurer. On croise quatre ou cinq salafistes pour des dizaines d’hommes en veste et cravate. Lorsqu’enfin leur champion, le Premier ministre sortant et secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane, apparaît, le délire est à son comble. On chante, on se bouscule, on lance des youyou et il faut dix minutes avant qu’il puisse enfin prendre la parole. L’homme est un tribun hors pair et sait faire monter la pression : « Tous nos ministres ont gagné leurs sièges ainsi que les membres du secrétariat général du parti. C’est un jour de joie et de bonheur pour le Maroc, la démocratie a gagné. »
On parle de 130 sièges obtenus (sur les 395 que doivent se partager les députés), un score supérieur à celui obtenu en 2011, qui était de 107. Les résultats définitifs du lendemain confirment : 125 sièges pour le PJD et 109 pour son adversaire, le PAM (Parti Authenticité et Modernité), dirigé par Ilyas El Omari. Ce dernier, plutôt social démocrate, était l’autre candidat à l a première place, et celui qui avait les faveurs du Palais royal. Mais même les plus fervents partisans du PAM savaient que le PJD avait de fortes chances d’arriver en tête. Grand perdant de ce scrutin, l’Istiqal, parti conservateur à qui l’on avait reproché d’avoir intégré des leaders salafistes repentis dans ses rangs, est passé de 60 sièges à 46. Quant aux formations de gauche, elles se sont écroulées, notamment l’extrême gauche qui avec la FGD (Fédération de la Gauche Démocratique) ne remporte que deux sièges. Sa campagne moderne, très axée sur les réseaux sociaux, n’a pas donné les résultats espérés : « Ils ont eu plus de like que de votes » disent certains observateurs.
Parmi ces derniers, même les adversaires les plus déterminés du PJD, la victoire de la formation islamiste est considérée comme une « vraie victoire de la démocratie ». Un paradoxe qui ne l’est qu’en apparence. Car personne ne peut reprocher à ce scrutin d’avoir été entaché d’irrégularités massives (quelques unes, mais très locales et ponctuelles, ont été signalées), un épouvantail que le PJD n’avait pas manqué d’agiter, et dont il se serait servi s’il n’avait pas gagné ces élections. « S’ils gagnent, il faudra l’accepter » nous confiait un proche du PAM le matin même des élections, « c’est le processus et il faut l’accepter, c’est nouveau dans ce pays. » Le même déplorait cette progression du PJD tout en notant qu’on ne pouvait rien lui reprocher du point de vue du fonctionnement : « Ils sont honnêtes, pas corrompus, très structurés et organisés. Ce n’est pas le cas de tout le monde, toutes les formations ont des casseroles. Cette victoire va obliger les politiques à faire le ménage, si l’on veut pouvoir leur résister et s’opposer à eux. » Et à plus mobiliser la population pour se rendre aux urnes. Avec une participation au scrutin d’à peine 43%, on est encore loin du compte.
Pour l’heure, Benkirane, qui a annoncé qu’il refusait par avance toute idée d’alliance avec le PAM, cherche à constituer sa coalition. S’il n’y arrive pas, la constitution autorise le roi à désigner le parti arrivé en seconde position à la tête du gouvernement. Une option que les spécialistes ne considèrent pas comme crédible : le PJD, qui comme tout le monde au Maroc ne remet pas en cause l’autorité royale mais s’est autorisé quelques critiques voilées qui lui ont valu son lot de critiques, aurait tôt fait de s’engouffrer dans la brêche et de crier au complot. Pour le moment, le Palais a plus intérêt à favoriser l’émergence d’une bipolarisation dans le pays qu’à créer une force d’opposition virulente, vrai facteur de déséquilibre. « Il ne faut surtout pas commettre l’erreur algérienne des années 90, on en connaît trop les risques », confie le supporter du PAM.
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