En marge des Rendez-vous de l’Histoire de Blois qui ont commencé le 6 octobre, la sociologue Dominique Schnapper répond aux questions de « Marianne » sur la crise migratoire. Pour l’universitaire, il faut offrir l’hospitalité aux réfugiés, dans une certaine proportion.
Les 19es Rendez-vous de l’Histoire de Blois (Loir-et-Cher), qui ont lieu du 6 au 10 octobre, sont placés sous le signe de la crise migratoire avec pour thème « Partir ». Pour la sociologue et politologue Dominique Schnapper, la seule réponse possible réside dans le respect des valeurs fondamentales des républiques démocratiques.
Marianne : Depuis plus d’un an, la crise migratoire remodèle les rapports de force à l’échelle de l’Union européenne. Quelle analyse faites-vous du revirement d’Angela Merkel ? A-t-elle eu raison de prononcer son mea culpa ?
Dominique Schnapper : Laissons de côté le seul point de vue moral. Les démocraties sont contraintes par leur nature même à tenir compte de l’opinion publique. Et le fait est que les populations européennes sont, aujourd’hui, majoritairement hostiles à la présence en terre européenne des migrants, comme le révèle la dernière étude de l’Ifop commandée par la Fondation Jean-Jaurès. Je ne pense pas que Mme Merkel ait prononcé de bon cœur ce «mea culpa», mais elle l’a fait par réalisme, pour ne pas s’aliéner la part de son opinion publique tentée par les sirènes de l’AfD [Alternative für Deutschland].
L’accueil des réfugiés sur l’ensemble du territoire français, voulu par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, suscite des remous. Une partie de la droite dénonce le «plan Cazeneuve» et pointe le risque d’une déstabilisation des régions. Qu’en pensez-vous ?
En l’occurrence, le discours de M. Wauquiez est une honte ! Une nation démocratique doit entretenir des valeurs, des projets et des objectifs communs. Il ne me semble pas que la solution pour laquelle plaide le ministre de l’Intérieur soit erronée, bien au contraire. Evidemment, nous le savons, et le revirement de Mme Merkel l’a rappelé, il est indispensable de tenir compte de la capacité d’intégrer, donc de contrôler le nombre et les caractéristiques des migrants ; mais refuser, par principe, la mise en place dans nos territoires d’un projet d’intégration avec les pouvoirs locaux et les habitants, en appelant à enfreindre la loi, c’est pour le moins surprenant. S’il est vrai que les migrants concernés renoncent à toute velléité de se rendre en Grande-Bretagne, le plan ébauché par Bernard Cazeneuve paraît plutôt raisonnable. L’expérience montre que les Français, dans leur grande diversité, ont plutôt réservé un bon accueil aux migrants fuyant la guerre civile syrienne ou le chaos irakien. Ce qui prouve, à l’encontre des discours qui prolifèrent actuellement, qu’ils ne sont pas hostiles à tout projet d’intégration des étrangers. En fait, il existe deux positions extrêmes qui se nourrissent l’une l’autre.
Que voulez-vous dire exactement ?
D’un côté, une position maximaliste en faveur d’un accueil inconditionnel, telle qu’elle existe parmi certains militants de gauche, qui nourrit le raidissement populiste xénophobe d’une partie de la population. Ce postulat «immigrationniste» est l’allié objectif de l’autre position maximaliste de rhétorique identitaire. Si Nicolas Sarkozy devait gagner la primaire, cette polarisation risquerait de se systématiser et d’atteindre un paroxysme dans le débat public. Le refus de toute forme d’accueil se nourrirait cyniquement des discours démagogiques de l’ultragauche.
Entre fermeté indispensable et appel au respect des principes généraux et des «niveaux», quelle voie médiane imaginer ? Et, surtout, comment désamorcer la tentation de la xénophobie, à l’œuvre en France mais aussi chez nos partenaires européens ?
C’est l’enjeu fondamental, mais il n’existe aucune solution miracle. La France s’éloigne de ce qu’elle est et doit être chaque fois qu’elle renonce à la seule voie qui vaille, celle de l’intégration républicaine. Et l’Europe comme civilisation et comme communauté de destin se trahit elle-même quand elle renonce à articuler le respect des valeurs fondamentales et le réalisme politique. La forme paroxystique de cette trahison de soi, c’est la politique d’Orban, en Hongrie.
Nous n’en sommes pas encore là ! Et l’Allemagne, non plus, d’ailleurs !
Certes, mais c’est l’écueil qui guette nos opinions publiques. Face à cela, il importe de continuer le combat intellectuel en faveur de la seule politique possible, celle qui conjugue valeurs et réalisme. Cela va être ardu et, parfois, je suis prise de doutes et je me demande si ce combat peut encore être gagné.
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