L'interdiction du voile imaginée par Sarkozy ? "Juridiquement invraisemblable"

Pour Pierre-Henri Prélot, professeur de droit public, la tentation de Nicolas Sarkozy d’interdire le voile dans l’espace public porte atteinte au principe de liberté religieuse. Il démonte pour « Marianne » le plan imaginé par le candidat.

Cela fait plusieurs jours que le clan Sarkozy entretient l’ambiguïté sur l’opportunité d’interdire le voile islamique dans la rue. Comme l’a révélé Marianne, son conseiller Guillaume Larrivé imagine déjà « une loi pour l’interdiction des emblêmes, insignes et uniformes manifestant ostensiblement l’adhésion à une idéologie revendiquant l’inégalité entre les femmes et les hommes ». Pour ce député LR de l’Yonne, « il s’agit de protéger les femmes« . Il peut pour cela tenter de se reposer sur la loi anti-burqa de 2010, lorsque le Conseil constitutionnel a admis qu’une tenue vestimentaire pouvait mettre les femmes dans une « situation d’exlusion et d’infériorité« . Pour autant, Pierre-Henri Prélot, professeur de droit public à Cergy-Pontoise, auteur d’un Traité de droit français des religions (LexiNexis, 2013), estime que cette réforme contreviendrait au principe de liberté religieuse. Voilà pourquoi.

Marianne : Nicolas Sarkozy souhaite une loi pour interdire le burkini, voire le voile islamique dans l’espace public. Est-ce juridiquement possible ?

Pierre-Henri Prélot : S’il est majoritaire en 2017, Nicolas Sarkozy peut évidemment faire voter une loi en ce sens par le Parlement. Mais ce texte risquerait fort d’être censuré par le Conseil constitutionnel car il me paraît contraire à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Son article 10 proclame la liberté religieuse, dont la seule limite est l’ordre public.

L’entourage de l’ex-président estime justement auprès de Marianne que le voile islamique porte atteinte à l’ordre public.

C’est une argumentation bien connue. En 1789, déjà, Mirabeau avait mis en garde l’Assemblée nationale contre une tentation d’utiliser cet ordre public contre la liberté religieuse. Aujourd’hui, les politiques utilisent cet ordre public comme une formule magique pour restreindre les libertés. Dans le cas du voile, c’est particulièrement invraisemblable. Pour porter atteinte à l’ordre public, il faut un trouble, une atteinte à la tranquillité, ce sont des paramètres objectifs. Ce trouble serait caractérisé par le port d’un foulard ? Ce n’est pas sérieux. Dans la tradition juridique française, la société s’interdit de dire à chacun comment il doit disposer de lui-même.

La loi anti-burqa de 2010 a pourtant été validée par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans sa décision de 2010, le Conseil constitutionnel estime en effet que le législateur peut interdire la burqa, en ce qu’elle place les femmes dans une situation d’infériorité. C’est une conception extensive de l’ordre public, qui inclut une part de respect du vivre-ensemble. Mais, attention, il y a une différence de degré considérable entre les deux cas. Dans le cas de la burqa, on parle de dissimulation totale du visage. C’est un accoutrement symboliquement violent, dont la spécificité peut être décrite objectivement. Dans le cas du voile ou du burkini, il n’y a aucune spécificité objective par rapport à des religieuses en cornette, des femmes qui se voilent car elles perdent leurs cheveux ou des personnes qui se baignent habillées. La loi serait totalement inapplicable ! 

Si Nicolas Sarkozy veut tout de même interdire le voile, comment doit-il procéder ?

Il peut faire voter une révision de la Constitution. Mais la France sera immanquablement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Elle serait alors contrainte d’abandonner cette réforme ou de sortir du Conseil de l’Europe. Ce qui l’isolerait sur la scène européenne. Ce serait, il me semble, une conséquence quelque disproportionnée par rapport à cette question.

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