Hongrie : le référendum anti-réfugiés de la peur

Avec le référendum anti-réfugiés sur lequel les Hongrois sont invités à ce prononcer ce dimanche 2 octobre, le Premier ministre Viktor Orban a fait du non au quota d’accueil des migrants voulu par Bruxelles une affaire personnelle. Quitte à labourer les terres de l’extrême droite.

Viktor Orban aurait pu choisir une formulation plus directe. Du style : «Voulez-vous, oui ou non, des migrants sur votre sol ?» Finalement, le Premier ministre hongrois a choisi le mode ampoulé pour inviter ses 8 millions de concitoyens à se rendre aux urnes, dimanche 2 octobre :

«Voulez-vous que l’Union européenne puisse ordonner la relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie sans le consentement du Parlement ?»

Il va sans dire qu’à cette question pour le moins tendancieuse, Orban et son gouvernement répondent non et militent activement pour que le référendum soit un triomphe et signe un nouvel acte de rupture avec Bruxelles et la «vieille» Europe. L’extrême droite ne ménage pas non plus ses efforts et, à la veille d’un scrutin dont l’issue ne fait guère de doute, la seule véritable incertitude concerne la participation, qui doit atteindre le seuil des 50 % pour que le vote soit validé.

Laszlo Toroczkai, jeune maire d’Asotthalom, une bourgade de 4 200 âmes située à la frontière serbe, et vice-président du parti d’extrême droite Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie, qui a remporté 20 % des suffrages aux législatives, en 2014), ne cache pas son «inquiétude». Il est persuadé que beaucoup de Hongrois n’iront pas voter, «par rejet du Fidesz [le parti de Viktor Orban]. Et si c’est un échec, ce sera un très mauvais message envoyé à Bruxelles». Car, pour cet ex-journaliste de 38 ans, la situation est claire : «La civilisation européenne est en danger, et il est urgent de nous protéger des migrants venus d’autres continents.»

Toroczkai est théoriquement dans l’opposition mais soutient vivement les initiatives du gouvernement en matière de lutte contre l’immigration. Et pour cause ! C’est lui, bien avant Orban, qui les avait suggérées. Dès 2014, il réclamait la construction d’un mur de barbelés pour fermer la frontière avec la Serbie. Une idée concrétisée par Orban en septembre 2015. Haute de 4 m et rehaussée de lames de rasoir, cette clôture veut contraindre les candidats à l’immigration à emprunter les points de passage autorisés. Un objectif en partie atteint puisque, selon les autorités, seulement 18 000 migrants ont posé le pied sur le sol magyar cette année, contre 400 000 l’an dernier.

Le jeune maire d’extrême droite s’emporte contre «l’Union européenne qui [en 2012] a contraint la Hongrie à changer sa législation qui lui permettait d’arrêter les migrants illégaux. En septembre 2014, la situation est devenue intenable. Des centaines de migrants, à 80 % des Kosovars, franchissaient chaque jour la frontière, par groupes de 50 à 100. Ce sont eux qui ont montré la route des Balkans à ceux qui sont arrivés par dizaines de milliers l’an dernier, d’Afrique, du Bangladesh, du Pakistan et du Moyen-Orient». N’allez pas croire pour autant que Toroczkai est raciste… Vantant pêle-mêle ses racines italiennes, roumaines, croates, et même arméniennes, ce chef de l’extrême droite se dit même européen… Mais «une Europe multicolore, qui serait une alliance d’Etats souverains, collaborant en matière économique. Je suis sûr que le problème de l’immigration changera l’UE. Les élites politiques traditionnelles devront changer, au risque de voir de nouveaux partis prendre le pouvoir».

Une campagne en faveur du non bien orchestrée 

Pour s’assurer de la victoire, Orban, l’autocrate de Budapest, n’a pas lésiné sur les moyens. Officiellement, 33 millions d’euros ont été payés par le contribuable pour financer la campagne en faveur du non. Mais, à en croire l’opposition, notamment le Parti socialiste hongrois (MSZP), la somme se monte en réalité à plus de 36,5 millions. Manquaient en effet l’envoi de 500 000 lettres aux Hongrois de l’étranger et les 4,2 millions d’exemplaires d’une brochure gouvernementale distribuée à tous les foyers magyars. Le pays a été inondé d’affiches géantes portant des messages xénophobes et anxiogènes, tous conçus sur le même modèle. Exemple : la question «Le saviez-vous ?» était suivie des affirmations : «L’attentat de Paris a été commis par des immigrants», «Près de 1 million de migrants veulent venir en Europe à partir de la seule Libye», «Depuis le début de la crise migratoire, le harcèlement contre les femmes en Europe a considérablement augmenté», «Depuis le début de la crise migratoire, plus de 300 personnes sont mortes dans des attaques terroristes en Europe», ou encore «Bruxelles veut installer en Hongrie l’équivalent d’une ville d’immigrants illégaux».

« LA CIVILISATION EUROPÉENNE EST EN DANGER, IL EST URGENT DE NOUS PROTÉGER CONTRE DES MIGRANTS VENUS D’AUTRES CONTINENTS. » LASZLO TOROCZKAI

Et pendant les jeux Olympiques, des «spots» déversaient toutes les vingt minutes sur les chaînes publiques des messages antimigrants. Soumis à un tel matraquage, nombre de Hongrois ont craqué. Si 64 % des sondés estimaient voilà un an qu’il était «de leur devoir d’aider les réfugiés», ils ne sont plus que 35 % à le penser aujourd’hui. Et ce, en dépit de la campagne moqueuse du Parti du chien à deux queues, qui ridiculise les slogans officiels, financée grâce aux 100 000 € offerts par 4 000 donateurs. «Le saviez-vous ? pastiche-t-il. Il y a une guerre en Syrie. Un million de Hongrois veulent émigrer en Europe. En Mongolie, l’an dernier, quatre personnes ont été tuées par des peaux de bananes. Un arbre peut vous tomber sur la tête. Pendant les JO, le plus grand danger pour les participants hongrois est venu de concurrents étrangers.»

Une application pour limiter les fraudes lors du dépouillement

Graphiste de 36 ans, Gergely Kovacs, le leader de ce parti qui a pour promesse électorale, entre autres gags, la vie éternelle, s’émerveille du nombre de volontaires qui chaque jour diffusent et placardent gratuitement affiches, affichettes et autocollants du quadrupède à deux queues. En polo, bermuda et baskets défraîchies, Kovacs, qui a appelé ses concitoyens à jeter un bulletin invalide dans l’urne, s’inquiète néanmoins du risque de fraude lors du dépouillement. Car, faute de moyens, l’opposition ne sera représentée que dans moins de 40 % des 10 500 bureaux de vote. Gergely Kovacs explique ainsi : 

«Pour éviter que nombre de bulletins invalides soient validés comme par magie, nous allons lancer une application, rafraîchie toutes les cinq minutes, où chacun pourra publier une photographie de son bulletin invalide. Ainsi, nous aurons une idée de l’ampleur de ce vote.»

Chercheur en biologie à l’académie des sciences de Szeged (à 180 km au sud de Budapest), une ville justement dirigée depuis 2002 par un maire social-démocrate, Janos Györgyey s’insurge contre «une campagne de haine qui s’apparente à de la propagande fasciste». Lui qui n’avait jusque-là jamais été actif en politique a récemment adhéré au petit parti libéral Együtt («Ensemble») et sera pour la première fois assesseur dans un bureau de vote de la ville. «Je crains des fraudes massives, surtout dans les petites agglomérations», confie-t-il. Son parti, qui a appelé à boycotter le scrutin, a cofinancé, avec deux autres petites formations d’opposition, une affiche faisant un doigt d’honneur à Orban !

A en croire Me Timea Kovacs, du Comité Helsinki hongrois (MHB) pour la défense des droits de l’homme, le nombre d’interpellations des migrants n’a cessé de croître depuis début 2016, malgré la clôture érigée par Orban. Une nouvelle loi, adoptée en août dernier, permet à la police de traquer les migrants jusqu’à 8 km de la frontière – une bande non officiellement délimitée et donc laissée à l’appréciation de la maréchaussée.

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply