Le 22 septembre dernier, à la Cité de la mer de Cherbourg-en-Cotentin, le colloque organisé par « Marianne » a rassemblé un panel de personnalités qui a battu le rappel pour la sauvegarde des océans. Récit.
Les mers et océans, qui couvrent plus des trois quarts de la surface du globe, sont-ils en train de devenir notre nouvelle frontière, autrement dit, selon l’expression consacrée des Anglo-Saxons, la new frontier de notre époque ? Pour tenter de répondre à cette interrogation, Marianne a tenu la semaine dernière sa première assemblée générale de l’année, à la Cité de la mer de Cherbourg-en-Cotentin, dans la Manche. Inaugurée par Benoît Arrivé, le maire de la capitale du Cotentin, et animée par Joseph Macé-Scaron, président du comité éditorial de Marianne, cette soirée a réuni un auditoire de plus de 750 personnes dans la belle salle des pas perdus.
Pour éclairer les nombreux enjeux de la question maritime, l’hebdomadaire cofondé par Jean-François Kahn avait composé un plateau d’exception, avec le climatologue Jean Jouzel et le géographe Jacques Lévy, l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, le maire de Paimpol, Jean-Yves de Chaisemartin, et la déléguée ministérielle à la mer et au littoral, Catherine Chabaud, et, enfin, les écrivains de la mer Olivier Frébourg et Yann Queffélec.
Joseph Macé-Scaron a lancé la discussion par une intervention en vidéo de Jean-Louis Borloo, retenu aux Etats-Unis par les activités de sa fondation Energie pour l’Afrique. L’ancien ministre, saluant chaleureusement l’initiative de Marianne, a cité son amie, la navigatrice Isabelle Autissier : «Tiens bon, la mer ! Les hommes sont en train de découvrir que tu es importante, peut-être vont-ils te respecter.»
Respecter la mer ? C’est bien le b.a.-ba, s’est exclamé l’écrivain Yann Queffélec dans une harangue introductive très applaudie. Finistérien à l’identité heureuse, dont le premier métier a été… skipper, le biographe du navigateur Etienne Tabarly a mis en exergue la singularité du moment présent, de ce basculement de civilisation, ajoutant que l’école de la mer, dans sa vie, cela a été «l’apprentissage de la modestie, de la relativité, de la sagesse».
Le « septième continent », ce magma flottant et « insidieux » de déchets sur l’océan Pacifique
Oui, mais voilà, Queffélec a aussitôt fait entendre des nuances d’inquiétude : «Le tapis roulant des courants parvient à ramener de la santé là où nous mettons de la pollution.» Une allusion attristée à ce «septième continent» décrit par Catherine Chabaud, ce magma flottant et «insidieux» de déchets plastique, qui dépare sur des milliers de kilomètres l’océan Pacifique, au large des côtes hawaiiennes. Preuve, s’il en était, que la communauté humaine se situe à un moment décisif du déploiement de la mondialisation, où nous pouvons choisir le pire ou, au contraire, maîtriser le développement en réduisant l’aggravation des effets de nos activités. A ce stade de la soirée, le modérateur a hiérarchisé et énuméré les enjeux de la question maritime.
Enjeu climatique global, d’abord. Face à l’aggravation planétaire des effets de l’accélération du changement climatique, une grande partie des réflexions échangées ce soir-là a tourné autour des réponses de la communauté internationale à la menace d’un désastre environnemental majeur. Tant il est devenu plus qu’urgent, à l’approche de la COP22, de rompre notre dépendance à l’égard des hydrocarbures et d’imaginer plusieurs alternatives – ou «utopies concrètes». C’est, évidemment, le climatologue et glaciologue Jean Jouzel qui a apporté, sur ce point, un éclairage décisif : «93 % de la chaleur supplémentaire dans l’atmosphère part dans les mers et océans, produisant donc l’élévation de leur niveau.»
Le réchauffement climatique, grand pourvoyeur d’inégalités
Face à la «grosse caisse climato-sceptique» et à ce que Joseph Macé-Scaron a nommé «la trumperie électorale de Nicolas Sarkozy» – qui a relativisé récemment le rôle du réchauffement climatique -, Jouzel a réaffirmé, devant un auditoire très attentif, la nécessité de limiter le réchauffement climatique à 2 %. En ajoutant : «Un des premiers effets du réchauffement est d’accroître les inégalités. Entre 2007 et 2011, au Moyen-Orient, la succession de sécheresses aurait joué un rôle déstabilisateur.» Le maire de Paimpol et vice-président du conseil départemental des Côtes-d’Armor, Jean-Yves de Chaisemartin, se qualifiant de «maire en mer», a développé en contrepoint une analyse précise et éloquente. Il s’est réjoui des progrès, lents mais certains, de la vigilance environnementale : «C’est Jacques Chirac qui a représenté pour ma génération la prise de conscience.» Approbation, sur ce point, de Yann Queffélec : «Quand on en vient à se battre pour la mer, on s’engage pour la survie de l’humanité.»
Faire entendre la voix de la mer, un défi à relever
De survie, il a bien sûr été largement question au cours de cette soirée, jusqu’aux questions et interpellations passionnées du public. Derrière le brio des prises de parole pointait souvent la gravité. Interroger la mer, en effet, c’est soulever un débat majeur, celui du changement de civilisation. Insistant sur la valeur de l’approche «écosystémique», Catherine Chabaud, dans un récapitulatif salubre, a revisité les étapes successives de son action politique – la mission «nautisme et développement durable», le «Grenelle de la mer», sa participation au Conseil économique, social et environnemental (Cese), où elle tente de faire entendre la «voix de la mer» -, avant d’admettre le caractère ardu de la tâche : «La problématique de l’appropriation du sujet par tous est compliquée.» Néanmoins, en accord avec le maire de Paimpol, qui a salué «l’émergence d’une nouvelle volonté politique», Catherine Chabaud a jugé inévitable, pour passer un cap, d’«incarner politiquement le combat pour la mer» et de conférer le «rang de ministre d’Etat» au secrétariat général de la mer.
Défi géopolitique, enfin. Incontestablement, l’un des temps forts des échanges a été l’âpre débat autour de la vocation de la France à (re)-devenir une puissance maritime. Soulignant que notre pays a «96 % de son espace maritime dans le Pacifique Sud, en Polynésie», Catherine Chabaud a fait valoir que la France forme le deuxième espace maritime au monde, juste derrière les Etats-Unis. Magnifiant le langage humble des «gens de la mer», Olivier Frébourg, chaud partisan de l’imaginaire et des mythes, devait alors mettre les pieds dans le plat : «Si nous voulons apprivoiser la mer, il nous faut une marine digne de ce nom.» Et d’en appeler, dûment ovationné par une large partie de l’auditoire, à la «refondation de notre politique maritime».
Tandis que Joseph Macé-Scaron, abondant dans son sens, regrettait l’esprit d’initiative de l’Etat stratège gaullien, le géographe Jacques Lévy, méfiant envers «l’héroïsme de la mer», s’est alarmé de la tentation de renouer avec les «mythologies de la puissance». «Les pays comme la Chine qui croient encore à la puissance maritime n’appartiennent pas à la géopolitique prédominante aujourd’hui en Europe», s’est exclamé le professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Et de poursuivre : «Oui à votre idée d’une stratégie étatique ambitieuse pour la mer, mais attention à ne pas mener une guerre de retard. Aujourd’hui, l’enjeu maritime est « multiscalaire », il relève à la fois des échelles locale, régionale, nationale, européenne…» Le mot de la fin est revenu à l’éditeur des Equateurs, Olivier Frébourg, décidément très inspiré : «Lançons, à partir de cette initiative de Marianne, les cahiers de doléances de la mer !» Chiche ?
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