Déradicalisation : le centre de Beaumont-en-Véron vaut bien une messe…

Le premier centre de déradicalisation de France vient d’ouvrir à Beaumont-en-Véron, en Indre-et-Loire. Mais, comme le révèle « Marianne », une association de riverains réfléchit à une procédure contre l’Etat afin de respecter les dernières volontés très catholiques de l’ancien propriétaire. Un testament rédigé en 1895.

Un missel contre le Coran ? Une messe pour bouter de jeunes islamistes ? L’ouverture du premier centre de déradicalisation de France, situé à Beaumont-en-Véron, en Indre-et-Loire, ne tourne pas encore à la guerre de religion. Mais l’affaire vire déjà au rocambolesque depuis que l’avocat de riverains hostiles à cette initiative a dégoté un nouveau prétexte pour s’y opposer.

Pour dénouer les fils de cette controverse, remontons au 25 avril… 1896 ! Marie-Alphonse Gréban de Pontourny vient de mourir. Cinq mois auparavant, l’homme a pris soin de rédiger un testament en bonne et due forme. Son légataire universel, un cousin du nom de Jean-Baptiste Turquet, reçoit tous les biens du défunt « en meubles, immeubles, et généralement tout objet quelconque ». A plusieurs conditions : il faudra d’abord fonder sur le noble domaine de Pontourny, en Touraine, à quelques kilomètres de la bonne ville de Chinon chère à Rabelais, « un hôpital, une maison de refuge [ou] une école ». Le domaine devra même accueillir, « à perpétuité », « un asile pour vieillards de Paris ». Le défunt y sera aussi enterré, « sous la chapelle, près de ceux [qu’il a] tant aimés sur cette terre ». Surtout, ces tombes devront rester dans le domaine sans limitation dans le temps, cependant que « le culte catholique devra toujours y être exercé » et qu’« on dira dans la chapelle une messe par semaine pour les morts qui y sont enterrés ». Le 27 décembre 1902, Jean-Baptiste Turquet exécute les dernières volontés de son cousin : il fait don des 25 ha du domaine de Pontourny à l’Assistance publique de Paris.

Trace du culte

Cent vingt ans après sa mort, alors que les jeans-baskets ont remplacé les redingotes, Gréban de Pontourny doit se retourner dans sa tombe. Là où, selon ses dernières volontés, une messe hebdomadaire doit être célébrée, l’Etat a décidé d’ouvrir le premier centre de déradicalisation du pays. Vingt-cinq jeunes gens de 18 à 30 ans sous l’emprise de l’islam radical déambuleront bientôt en ces lieux voués au culte catholique.

Ce malencontreux carambolage n’est pas du genre à faire sourire les riverains réunis dans l’association Radicalement digne de Pontourny. D’ordinaire plutôt mesurés, habitués au public de mineurs isolés accueillis ici sous la responsabilité du département de Paris, les voisins du centre ont mandaté un avocat pour remettre en cause la donation du domaine à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Propriétaire des murs, c’est elle qui, en signant une convention avec l’Etat, a permis la transformation du lieu en centre de déradicalisation.

« Dans cette affaire, l’Etat adopte une position de voyou », attaque d’emblée Me Thierry Dallet. L’avocat de l’association des riverains de Pontourny compte démontrer que les obligations du testateur sont foulées au pied. Et que la vocation première de Pontourny est totalement « niée ». De fait, aujourd’hui, nul missel, nul vieillard parisien ne relève le quotidien du centre de Pontourny. Pas plus que depuis le 27 juin 1980, date de la signature de la convention entre l’AP-HP et le département de Paris. Il y a bien longtemps que toute trace du culte catholique a disparu de ces lieux. Thierry Dallet évacue l’argument qui, selon lui, ne vaut pas jurisprudence : « La mauvaise utilisation éventuelle du site ces dernières années n’empêche pas les juges de prononcer la révocation puisque l’Assistance publique s’était engagée, par la donation, à faire respecter les volontés du défunt. Les héritiers pouvaient d’ailleurs légitimement penser qu’elle les respectait… jusqu’à ce coup de projecteur nouveau ». Et, même si les conditions du legs n’étaient peut-être pas respectées à la lettre, l’esprit de charité du lieu était maintenu, assure-t-il. « Rien à voir avec ce qui s’apparente désormais à une sorte de maison de redressement », peste Me Dallet.

Contactée, l’AP-HP estime au contraire qu’elle a « toujours cherché à respecter au mieux les motivations profondes des donateurs en conservant la vocation sociale de ce bien ». Selon l’Assistance publique, le centre de déradicalisation s’inscrit dans cette logique : « En permettant de venir au secours et de faciliter la réinsertion de jeunes en perte de repères, l’AP-HP souhaite respecter avec pragmatisme l’esprit qui animait les donateurs. » Du côté du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, qui dépend du ministère de l’Intérieur, on balaye les questions : « Ce n’est pas notre sujet. » Même réponse au groupement d’intérêt public Réinsertion et citoyenneté, qui pilotera pour l’Etat les 13 centres régionaux de déradicalisation qui ouvriront à terme sur le territoire : « Tout cela ne nous paraît pas sérieux. »

D’autres obstacles se dressent d’ailleurs devant l’homme de loi. Il lui faudra déjà convaincre les trois héritiers identifiés de porter l’affaire devant les tribunaux, ce qu’ils sont seuls habilités à faire. Pour maximiser ses chances, Me Dallet veut tenter de dénicher un éventuel « oncle d’Amérique caché » et lance une bouteille à la mer : « L’association en appelle à tous les héritiers de la famille Gréban et Turquet pour qu’ils la contactent et s’associent à sa démarche tendant à préserver la mémoire et les volontés affirmées de leurs défunts ainsi que le caveau familial. »

Entreprise expérimentale

Autre écueil, l’aspect éminemment politique du dossier inquiète des riverains dont la religion n’est pas encore faite sur la marche à suivre. « Nous n’avons pas encore décidé de porter ou non cette affaire devant les tribunaux, confirme Catherine Bideau, vice-présidente de l’association Radicalement digne de Pontourny. C’est une démarche longue et coûteuse. »

Beaumont-en-Véron attend l’arrivée des premiers pensionnaires. Cinq ou six pour commencer, d’ici à la fin septembre. Un peu plus de 25 dès le début 2017. Des radicalisés « light » pour une entreprise « expérimentale », n’ont de cesse de rassurer les représentants de l’Etat. Du fond de son caveau, feu Marie-Alphonse Gréban de Pontourny saura-t-il absoudre les nouveaux pensionnaires de son ancien domaine ?

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