Après l'affaire du FAMAS, le véritable scandale de l'armement made in France

Début janvier, la Direction générale de l’armement décidait d’octroyer à une filiale d’un conglomérat allemand un contrat de plus de 220 millions d’euros pour fabriquer des bombes. Alors même qu’une société française était en capacité de la faire. Une décision qui risque d’entraîner la disparition d’un savoir-faire français ainsi que l’autonomie de la France en matière d’armement. Enquête.

Voilà un dossier sur lequel Arnaud Montebourg devrait se jeter. Lui qui a tout récemment exprimé sa vive émotion quant au choix de l’armée française d’abandonner le FAMAS pour le fusil d’assaut allemand HK 416, ferait mieux de se pencher sur la décision de la Direction générale de l’armement (DGA) de confier à une filiale d’un conglomérat industriel allemand la fabrication des bombes françaises jusque-là assurée par une entreprise française. Ce qui lui éviterait de s’attaquer à des moulins. Car sur le FAMAS, l’ancien ministre du Redressement français arrive presque 15 ans trop tard comme le résume un Général auprès de Marianne : « La manufacture d’arme de Saint-Etienne (MAS) qui fabriquait le FAMAS a fermé définitivement en 2001… Donc, pleurer maintenant sur cette affaire, ça n’a pas vraiment de sens ». Surtout lorsque l’idée de remplacer le fusil d’assaut français par une arme construite à l’étranger était déjà sur la table en 2014 lorsque Montebourg défendait encore le « made in France » en conseil des ministres…

Mais derrière cette « affaire du FAMAS » se cache un véritable scandale, passé inaperçu hormis chez les spécialistes des questions de défense. Le 14 janvier 2016, la DGA a ainsi attribué à la société RWM Italia S.P.A, filiale du conglomérat allemand Rheinmetall AG, un marché public portant sur la fourniture de bombes MK82 pour un montant astronomique de 225 133 693 euros d’une durée de dix ans. Au départ, le contrat devait se limiter à 90 millions d’euros comme l’indique l’avis de marché publié en 2014. Mais entre temps, la DGA a revu ses prix à la hausse. De quoi assurer une trésorerie confortable à cette filiale allemande.

Une décision qui interroge. Car la DGA aurait pu se tourner vers la Société Des Ateliers Mécaniques De Pont Sur Sambre (SAMP), une entreprise française créée en 1947 et qui était jusqu’en 2011, l’unique société qui fournissait l’armée de l’air en bombes.

« C’est tout simplement scandaleux et incompréhensible, s’étouffe Jean-Jacques Candelier, député communiste et vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Avec cette décision Jean-Yves Le Drian prend la responsabilité de faire disparaître un savoir-faire français mondialement reconnu, d’en finir avec notre indépendance nationale et de faire mourir une PME française ».

A deux reprises, le parlementaire accompagné de son collègue député LR Philippe Meunier, a tenté d’alerter le ministre. Le 29 février et le 20 mai les deux élus l’ont ainsi interpellé par écrit :

« Après la liquidation programmée de l’industrie des munitions de petit calibre, qui permet à la DGA de proposer un fusil étranger de renouvellement pour l’armée française (…) Pouvez-vous nous indiquer, Monsieur le Ministre, quand va cesser cette vente à la découpe de notre industrie d’armement ? Il en va de nos emplois et de la préservation de notre indépendance en matière de matériel militaire ».

Des missives restées lettre morte jusqu’à présent. « L’histoire de la SAMP est emblématique des choix schizophréniques de la DGA sur l’armement Français », abonde notre gradé.

 

« Nous pouvons dire que la DGA n’a pas été très efficace sur ce sujet »

Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir quelques années en arrière. En 2001, la France décide de construire ses propres bombes plutôt que de les acheter aux Américains qui ont cette fâcheuse tendance de refourguer aux Français, et souvent avec du retard, un matériel qui manque cruellement de fiabilité. Le ministère de la Défense se tourne alors vers la SAMP, seule société française capable de produire des munitions qui respectent les standards de l’OTAN. Une aubaine pour la petite PME qui, poussée par la DGA, se développe. La SAMP forge ainsi le corps des bombes puis, après avoir reçu les explosifs de la Société national des poudres et des explosifs (SNPE), qui deviendra Eurenco et qui possède un monopole d’État, assemble les bombes. Mais à partir de 2004, les commandes d’Etat se font plus rares.

En 2009, dans le cadre du plan gouvernemental de relance de l’économie voulu par Nicolas Sarkozy, Hervé Morin, alors ministre de la Défense, passe commande de 1200 bombes Mk82 à la PME. Le ministre demande également que la société se lance dans la recherche et le développement (R&D) de nouvelles munitions. De quoi assurer à la SAMP des perspectives d’avenir. Logiquement, après avoir développée et conçu une munition, on peut espérer la produire à grande échelle. Une joie qui ne durera qu’une petite année puisqu’en 2010, la DGA indique qu’elle n’a plus besoin de ses services. En 2011, le dirigeant Christian Martin se trouve ainsi obligé de stopper son activité de fabrication, remisant au placard autour de 900 corps de bombes, tout en poursuivant ses activités de R&D. Si Christian Martin n’a pas répondu aux sollicitations de Marianne, il est aisé d’imaginer que le marché attribué en début d’année 2016 aurait relancé la petite entreprise française.

C’est ce qu’ont constaté deux députés, le socialiste Nicolas Bays et le LR Nicolas Dhuicq, dans un rapport rédigé par leurs soins en décembre 2015 dans le cadre d’une mission d’information sur la filière des munitions en France. « Le seul fabricant français de corps de bombes, la Société des ateliers mécaniques de Pont-sur-Sambre (SAMP), en dehors de MBDA pour les bombes marines muratisées, est en grandes difficultés », écrivent les deux rapporteurs. Et notent, de manière très diplomatique, la responsabilité de la Direction générale de l’armement : « Nous pouvons dire que la DGA n’a pas été très efficace sur ce sujet ». Les deux élus insistent sur la perte que représenterait la disparition de la SAMP :

« Comme dans le cas des munitions de petit calibre, une perte de savoir-faire est à craindre et nous considérons que toute perte de savoir-faire affecte la souveraineté et l’indépendance de notre pays. »

La France perd son autonomie 

Notre Général est lui beaucoup plus incisif :

« Ce serait une catastrophe. Avec les conflits auxquels la France a pris part, il y a une nécessité d’avoir un ravitaillement sûr et régulier. Or, on en a déjà fait l’expérience avec les munitions de FAMAS. Après que l’Etat a décidé de ne plus les faire fabriquer en France, on s’est retrouvé avec des munitions de mauvaises qualités. Il faudrait toujours préférer le ‘made in France’ très en vogue en ce moment car, au-delà de la raison économique, sur cette question il y a une véritable nécessité stratégique ».

Dans leur rapport, les députés Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq pointent également un autre risque :

« Le leader européen est la société italienne SEI, devenue RWM Italia Munitions S.r.l, filiale de Rheinmetall. La société mère est donc allemande. Il est, dans ce cas, nécessaire de s’interroger sur l’indépendance de cette société au regard des freins administratifs que pourrait mettre l’Allemagne à l’exportation de matériel de guerre. Par ailleurs, la position prudente de l’Italie quant aux frappes au Levant pourrait, elle aussi, influencer sa position en matière d’exportations d’armements. »

Une remarque qui devrait pousser le ministre de la Défense à une petite réflexion. L’Allemagne, depuis quelques années, applique une politique restrictive de ventes d’armes à l’étranger. Même pour du matériel fabriqué en partenariat avec la France. Ainsi, interrogé par l’Express, un analyste défense rappelait que récemment « Berlin s’est opposé à la vente d’hélicoptères fabriqués en France destinés à l’Ouzbékistan qui contenaient des composants allemands ». En 2011, la société fabriquante de chars KMW, qui s’est depuis associée au Français Nexter, a ainsi perdu un contrat de 1 milliard d’euros avec l’Arabie Saoudite pour les mêmes raisons. 

Or si Jean-Yves le Drian est devenu un vendeur hors pair de Rafales français – il vient encore de signer un contrat de 36 avions à New Delhi – les futurs acheteurs s’attendent également à recevoir avec leur nouveaux avions, les munitions qui lui sont spécifiques. Le Rafale est un oiseau tatillon qui n’accepte pas d’importe quelle munition. Avec ce nouveau schéma, si les allemands décidaient de freiner des quatre fers les exportations des bombes associées au coucou français, les ventes risqueraient de tomber comme des mouches. En plus de perdre notre souveraineté sur la fabrication de nos munitions, Le Drian devra alors remiser ses Rafales aux hangars.

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