Icône de la diplomatie internationale, faucon devenu colombe, le prix Nobel de la paix n’a jamais renoncé au rêve d’une terre pour deux peuples.
Il n’aimait pas qu’on le lui rappelle. Au début des années 1970, Shimon Peres était reçu avec effusion au Goush Emounim, le Bloc de la foi, fer de lance de la colonisation en Cisjordanie. Il occupait alors successivement, et à peu de temps d’intervalle, les fonctions de ministre des immigrants, des transports puis de l’information. Une ronde sans surprise dans l’étourdissant ballet politique qui assura son omniprésence, avec de rares éclipses, dans tous les gouvernements de l’Etat hébreu jusqu’à la fonction suprême : la présidence, de 2007 à 2014. L’Israël de Netanyahou affrontait la réprobation internationale mais la réputation de Shimon Peres planait au dessus de tout ça. Dans le vieil homme chargé d’honneurs, au français fleuri d’un accent plus yiddish qu’hébraique, on saluait l’Israël idéal. Personne ne se souvenait que le prix Nobel de la Paix, promoteur avec Yitzhak Rabin et Yasser Arafat des accords d’Oslo, avait qualifié naguère de « pionniers » les premiers colons qui plantaient leur caravane sur les monts de Samarie, aux alentours de Naplouse, la Sichem biblique.
A l’époque, les leaders d’Israël étaient en plein débat sur l’avenir des territoires conquis pendant la guerre des Six-Jours. Moshe Dayan, l’artisan de la victoire, doutait. Tout en affirmant publiquement son attachement à la nouvelle « profondeur stratégique » offerte au pays, il restait secrètement troublé par le premier rapport des renseignements militaires remis au lendemain même de la guerre-éclair. Le général Shlomo Gazit y préconisait un retrait rapide sur la base d’un règlement avec « les Arabes », le terme de « Palestiniens » étant proscrit. Rabin, lui, voyait avec dégoût se développer l’idolâtrie de la terre. Le Bloc de la foi, écrira-t-il dans ses mémoires, était « un cancer au sein de la démocratie israélienne, mais le combat ne pouvait réussir alors que le parti travailliste était profondément divisé face aux militants du Goush Emounim, des gens que le ministre de la Défense, Shimon Peres, qualifiait de véritables idéalistes et soutenait… »
En Israël, le passé de faucon de cette colombe internationale est un secret de PolichinellePour Peres, le « Goush » était moins celui de la foi que de la sécurité. Les premières implantations tenaient la ligne des crêtes, vitale pour la survie d’Israël, pensait-il comme Golda Méir. « Il considère qu’Israël est soumis à des menaces permanentes, écrit Alain Dieckhoff, et qu’il faut parer à toute attaque éventuelle par le renforcement constant de ses capacités militaires ».
L’homme, que l’on accusera de ne jamais porter un fusil, a en réalité combattu dans la Haganah et fut un spécialiste de la commercialisation des mitraillettes Uzi. Il a commencé sa carrière dans l’ombre de David Ben Gourion. Son protecteur en fait rapidement un haut responsable de la Défense. C’est Peres qui va renforcer l’alliance entre la France et Israël mais elle ne survivra pas à la guerre des Six-Jours. Commis-voyageur d’un pays en quête d’armes et d’alliés, ce jeune homme dont toute la famille restée en Pologne a été exterminée, incarne alors, aux yeux de ses interlocuteurs, un Israël miraculé et héroïque. Quand son pays perdra cette image, lui la conservera pour toujours. Car Shimon Peres est l’homme de l’extérieur, par opposition à Yitzhak Rabin, l’Israélien de l’intérieur, le sabra, aussi introverti qu’il est extraverti et séducteur. De là aussi, viennent les dissensions entre les deux hommes qui partagèrent pourtant le même Nobel en 1993.
En 1970, l’allergie de Rabin à Peres est manifeste. Dans la biographie très documentée qu’il lui a consacré, Michel Bar Zohar confirme :
« Yitzhak Rabin considérait Peres comme le cheval de Troie du Goush Emounim au sein du parti travailliste. Non seulement il apporta une aide décisive aux projets de colonisation en Samarie mais il favorisa aussi la construction des grandes implantations qui devaient devenir des centres urbains importants, comme Ariel ».
Le Shimon des Européens a une toute autre histoire. Elle touche à la légendeEn Israël, le passé de faucon de cette colombe internationale est un secret de Polichinelle. Mais le Shimon des Européens a une toute autre histoire. Elle touche à la légende. Alors que le Moyen-Orient devient un cauchemar et que son pays semble engagé dans une guerre de mille ans avec le monde arabe, Peres cultive l’art de faire rêver. « Les gens, répète-t-il, ont le droit de rêver comme de boire et de manger ». Les rêves se partagent. La métamorphose qui conduira le faucon à accompagner les accords d’Oslo s’opère peu à peu, dans la compagnie des dirigeants de la planète qui l’ont tous reçu. « Ce qui a changé Peres, c’est le monde, explique l’écrivain Amos Oz au journaliste Ari Shavit (Ma terre promise, J.C. Lattès) Il a visité de nombreux pays, il a écouté puis il a compris : il ne voulait pas qu’Israël soit la nouvelle Afrique du Sud. Rabin et Peres ont saisi l’un et l’autre la nécessité de mettre un terme au conflit. Les faucons prévisibles qu’ils étaient se sont mués en colombes hésitantes. »
« Les faucons prévisibles qu’ils étaient se sont mués en colombes hésitantes. »Après les accords d’Oslo et dans l’illusoire euphorie du processus de paix, il lance le concept de « nouveau Moyen-Orient ». Basée sur les capacités rédemptrices de la prospérité économique, la vision est adoptée avec enthousiasme, sinon par les intéressés, Israéliens et Palestiniens enlisés, du moins par les observateurs, en quête de miracle libéral. Le « Centre Peres pour la paix » est fondé en 1996, un an après l’assassinat de Yitzhak Rabin par l’extrémiste juif, Yigal Amir. Shimon vient d’être battu par Benyamin Netanyahou. Il n’a pas osé, dans sa campagne, confronter la droite à ses responsabilités dans l’atmosphère qui a conduit au meurtre. Arafat, de son côté, n’a pas osé imposer sa loi au Hamas qui a multiplié les attentats. L’ambiguité et la peur ramènent donc le Likoud au pouvoir.
La mollesse de Peres à ce moment décisif lui sera lourdement reprochée à gauche. Elle lui vaudra des amitiés à droite et sa longévité politique, malgré la chute des travaillistes, aux côtés d’Ariel Sharon, puis d’Ehud Olmert. A-t-il oublié le rêve ou tenté de le ressusciter avec les accommodements les plus insolites ? « Les intellectuels israéliens parlent de Peres comme d’un héros de tragédie, résume le journaliste Robert Littell. Un héros à cause de sa formidable contribution à l’établissement de l’Etat juif pendant cinquante ans, une tragédie parce que les électeurs n’ont pas voulu le laisser terminer ce qu’il avait commencé : le processus de paix engagé à Oslo. »
Le père de la bombe israélienne
C’était à la fin des années 1950. Fringant directeur général du ministère de Défense et envoyé spécial de David Ben Gurion, Shimon Peres est parvenu à force de persuasion, de charme et de manœuvres à conclure des accords avec la France qui ont permis à Israël de se doter de l’arsenal nucléaire. Quelques exemples de sa « hutzpa », culot en hébreu ? Il a persuadé en 1957 le président du conseil de l’époque Maurice Bourgès-Maunoury, dont le gouvernement venait pourtant de tomber, d’antidater un document sur la fourniture d’uranium enrichi. « Entre amis, 24 heures cela ne compte pas… », a-t-il coutume de confier en souriant. Pour financer l’ensemble du projet, Shimon Peres s’est aussi démené aux Etats-Unis où il a récolté l’équivalent de 240 millions de dollars auprès des juifs américains pour un programme nucléaire que l’Etat hébreu n’avait pas les moyens de financer. Il aurait également organisé en secret l’exportation illégale d’uranium hautement enrichi stocké en Pennsylvanie. Enfin, sur le front diplomatique, il a raconté lui-même comment, pris de court dans un couloir de la Maison Blanche par John Kennedy qui exigeait des explications sur l’objectif de la centrale nucléaire de Dimona construite par la France, il a improvisé une « formule » floue. Un pieux mensonge, devenu le véritable leitmotiv officiel depuis plus d’un demi-siècle : Shimon Peres assure à Kennedy qu’Israël « ne sera pas le premier pays à introduire l’arme nucléaire au Moyen-Orient »…
Julien Lacorie
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