La mixité, une chance pour l’entreprise ? Nos grands groupes s’en gargarisent. Mais, dans leurs comités de direction, c’est toujours le même défilé de cravates. Démonstration édifiante en images.
Les politiques, comme souvent, ne donnent pas l’exemple. Avec 26,2 % de femmes à l’Assemblée nationale, la France a dégringolé au 60e rang mondial de la parité parlementaire, quelque part entre l’Irak, le Soudan du Sud et le Pérou. Pas glorieux… Mais que dire de nos multinationales, celles qui se vantent de « promouvoir la place des femmes dans la culture » (Vivendi), de « faire de la mixité un levier de performance » (Lagardère), ou d’organiser des « séminaires de leadership pour les femmes et les hommes « éclairés »» (Danone) ? A l’ombre des beaux discours, et des jeunes filles en fleurs, le sexisme managérial continue gentiment de prospérer…
La preuve par l’image : dans les derniers rapports annuels des sociétés du CAC 40, les photos des comités exécutifs, comités de direction ou directoires – ces cénacles où tout se décide – ressemblent furieusement aux BD du Britannique Martin Handford Où est Charlie ? Au milieu d’une masse de mâles en costume sombre ou en bras de chemise, on peine à trouver les rares Charli(n)e qui ont l’insigne honneur de côtoyer le patron – toujours un homme au demeurant, sauf chez Engie, l’ex-GDF Suez, dirigé depuis quelques mois par Isabelle Kocher. Une aberration que Michel Ferrary pointe depuis dix ans, chiffres à l’appui.
Responsable de l’Observatoire de la féminisation des entreprises, ce chercheur affilié à la Skema Business School (Lille) étudie l’évolution de la mixité dans les 60 plus grosses boîtes françaises. A la lecture de son baromètre 2016, on apprend que les femmes représentent 36 % des effectifs des grands groupes, 30 % des cadres et seulement 11 % des dirigeants.
Un score qui ne bouge pas. « Et qui ne bougera pas sans une loi, affirme ce professeur de management. Il faut prendre exemple sur ce qui s’est fait dans les conseils d’administration. La loi Copé-Zimmermann de 2011 a obligé les entreprises à féminiser cette instance. Résultat : la part des administratrices a grimpé en flèche et devrait tourner autour de 40 % l’an prochain, conformément à l’objectif initial de la loi. Sans quota du même type, les femmes resteront exclues de l’autre lieu de pouvoir, le vrai : le comité de direction. Certains pays, comme la Norvège ou la Suisse, songent d’ailleurs à légiférer sur le sujet. La difficulté, c’est qu’on ne peut pas mettre dans le même sac toutes les sociétés. Dans le BTP, l’industrie lourde ou le pétrole, le vivier féminin est beaucoup plus réduit que dans la banque, le luxe ou la grande consommation.»
Michel Ferrary distingue ainsi les entreprises « masculines » – peu de femmes cadres ou dirigeantes – des entreprises « machistes » – beaucoup de femmes cadres, peu de dirigeantes. Ce dernier qualificatif lui vaut quelques coups de fil courroucés. « Les communicants de LVMH, qui figure dans la seconde catégorie, m’appellent régulièrement pour râler, raconte-t-il. Ils m’expliquent que, dans les filiales du groupe, beaucoup de femmes sont aux manettes. Raison de plus pour en faire entrer certaines dans le dernier cercle ! » La situation à Marianne n’étant guère plus reluisante, nous nous garderons, une fois n’est pas coutume, de faire la leçon à Bernard Arnault…
AIRBUS
Tu l’as vu, mon gros-porteur ? (voir image d’illustration)
Le comité exécutif de l’avionneur pose fièrement sur un Beluga, le mastodonte de sa flotte. Un monstre capable de transporter 50 t de matériel et 15 messieurs en costard, heureux de parader dans un appareil de cette taille. Pas besoin d’être psy pour décrypter le message : ici, on aime les gros engins. Le groupe, qui n’emploie que 19 % de femmes, s’est décidé à faire un effort et ambitionne désormais de réserver 30 % de ses embauches à la gent féminine chaque année. Pour attirer les aspirantes, ses recruteurs patrouillent dans les collèges et les lycées. Nom de code de l’opération séduction : les Elles du futur. Un joli slogan. Qui cache mal la réalité : au sommet de la boîte, Airbus rime avec phallus.
EDF
Des hommes au service des hommes
C’est écrit en toutes lettres sur le site Internet du groupe : « EDF a la conviction que la mixité des équipes est une source d’enrichissement mutuel, d’innovation et de performance. » Une conviction que Jean-Bernard Lévy, le patron de l‘électricien (26 % de salariées), ne partage visiblement pas : son équipe à lui ne compte qu’une femme, pour 11 hommes. Dans la brochure officielle envoyée à la presse, où figure ce montage photo, l’intéressée – Marianne Laigneau, la DRH – tombe pile sur le pli, entre deux agrafes. Rien de tel pour la noyer un peu plus dans cet océan de cravates… On trouve aussi Simone Rossi dans la liste. Une collègue ? Non, un Italien.
LAFARGE HOLCIM
Un état-major en béton monobloc
Dans l’épais rapport annuel (295 pages) du cimentier franco-suisse, on parle souvent de parité. Pas professionnelle ou salariale, non : boursière. Celle qui a présidé à la fusion des deux rivaux, soit neuf actions Holcim pour 10 actions Lafarge. La place des femmes, qui représentent pourtant 18 % de l’encadrement, est évacuée en quelques lignes. Un « groupe de travail » est annoncé, pour « fournir des recommandations afin de réaliser les changements requis » à l’horizon 2030. Du lourd. Ah si, parmi « les mesures clés », les 10 bétonneurs en chef du comité exécutif se félicitent de sponsoriser le Women’s Forum de Deauville, raout économico-mondain où quelques multinationales s’achètent à peu de frais une bonne conscience féministe.
LAGARDERE
Le patron de « Elle » la joue virile
Comment peut-on éditer l’un des titres emblématiques de la presse féminine (Elle), l’avoir doté d’une fondation pour relayer ses combats, employer 61 % de femmes dans le monde (dont 54 % de cadres), leur accorder 59 % des augmentations et 60 % des promotions, bref, être irréprochable en matière d’égalité professionnelle, et n’en accueillir aucune dans l’instance suprême où s’élabore la stratégie ? Il y a quelques années, une économiste espiègle, lassée de voir des dirigeants comme Arnaud Lagardère cultiver ce mâle entre-soi, avait lancé à ces messieurs : « Embauchez vos femmes ! » Pas sûr que la sylphide Jade Lagardère, qui pouponne à flux continu sur Instagram, ait envie de s’y coller.
BNP
La banque d’un monde d’avant
Ne vous fiez pas à sa mine grave : Jean-Laurent Bonnafé peut aussi amuser la galerie. Côté pile, le directeur général de BNP Paribas se vante d’être l’ambassadeur d’ONU femmes, l’entité des Nations unies pour l’égalité des sexes. Côté face, le même chapeaute un comité exécutif profondément inégalitaire où siègent 17 hommes… et Marie-Claire Capobianco. Un comble, dans un groupe qui compte 54 % de salariées à travers le monde et 47,5 % de femmes cadres en France. La « banque d’un monde qui change » est restée bloquée au XIXe siècle.
CAPGEMINI
Mini-mixité, maxi-rigolade
Le géant mondial du conseil et des services informatiques s’est doté d’une direction pléthorique : pas moins de 22 membres. Au milieu de cet aréopage testostéroné, Virginie Régis et Aruna Jayanthi, repérables sur la photo grâce à leurs vestes claires, sont censées incarner «la priorité» donnée par le groupe (29,5 % de salariées) à la diversité des profils. Une priorité tellement prioritaire que 40»leaders ou futurs leaders» de Capgemini ont été missionnés pour promouvoir en interne les vertus d’une meilleure mixité. On est prié de ne pas rire : le programme s’appelle «Men Champions» et ne réunit que des hommes…
LVMH
Chantal et les chic types
Chantal Gaemperle a un boulot ingrat. DRH de LVMH, elle doit sélectionner la crème des jeunes filles, diplômées de HEC, l’Essec ou Dauphine, motiver les 72 % de salariées (dont 62 % de cadres) qui travaillent pour le champion du luxe, accompagner les plus prometteuses grâce au programme de coaching interne « EllesVMH », le tout dans le seul but de satisfaire les clientes (80 % des ventes). Alors, quand Chantal Gaemperle retrouve ses camarades du comité exécutif, tous dûment cravatés Dior autour du patron, Bernard Arnault, elle doit se dire parfois que quelque chose ne tourne pas rond…
PERNOD RICARD
Au royaume des piliers de bar
Une boisson de mecs, le pastis ? C’est ce qu’on est tenté de croire en découvrant l’état-major du numéro deux mondial des vins et spiritueux : 14 hommes et une seule femme, Anna Malmhake, la patronne d’Irish Distillers (le whisky Jameson). Pas très raccord avec la masse salariale, féminine à 36 %. Alexandre Ricard, le petit-fils du fondateur, Paul, a pris les rênes en 2015. Il s’est engagé à ce qu’un « profil divers » figure à chaque fois dans la liste finale des candidats auditionnés pour un poste. « Un profil divers peut être notamment une femme », précise le groupe. C’est dit.
VIVENDI
Le boys band de Bolloré
L’allure conquérante, Vincent Bolloré et ses collaborateurs marchent d’un pas décidé vers l’avenir radieux du divertissement dont ils veulent faire de Vivendi (Canal+, Universal, Dailymotion…) un acteur de classe mondiale. Le groupe contrôlé par le magnat breton se félicite que 42 % de ses cadres soient des femmes (48 % pour l’ensemble de l’effectif). Hourra ! Le réseau Andiamo accompagne depuis 2012 une trentaine d’entre elles vers d’encore plus hautes fonctions. Bravo ! Reste à leur faire une place dans ce boys band qui tient lieu de directoire.
RENAULT
Les petits calculs de Carlos
« Quand on sait que 60 % des voitures sont achetées par des femmes, il y a un intérêt évident à placer nombre d’entre elles au sein des pôles décisionnels. » La formule, frappée au coin du cynisme commercial, est signée de l’inoxydable Carlos Ghosn. Qui se garde bien de pousser son raisonnement jusqu’au bout : hormis Mouna Sepehri (directrice déléguée à la présidence), Marie-Françoise Damesin (DRH) et Clotilde Delbos (finances), promue après la sortie du dernier rapport annuel, la garde rapprochée du PDG de Renault fait la part belle à ces messieurs. Chez Nissan, dirigé par le même Ghosn, c’est encore plus net : pas une seule femme au comité exécutif.
SODEXO
Parité bien ordonnée
Six femmes, sept hommes : l’équipe de direction du spécialiste mondial de la restauration collective relève carrément de l’anomalie. Cette conviction que la mixité dans les plus hautes sphères d’une entreprise est un gage de performance et de réussite ne date pas d’hier. Pierre Bellon, le fondateur du groupe en 1966, en a eu très tôt l’intuition avant que Michel Landel, le DG depuis 2005, ne la mette concrètement en musique. Le résultat : 54 % de femmes dans les effectifs, 42 % à des postes de management, 43 % au comité exécutif et 38 % au conseil d’administration présidé depuis peu par une femme, Sophie Bellon, l’une des trois filles du patriarche. Côté finances, tout baigne : près de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires et des bénefs rondelets chaque année. Relation de cause à effet ? Chez Sodexo, on y croit dur comme fer.
SOCIETE GENERALE
En progrès, peut mieux faire
« Cinq minutes pour convaincre », « Regards croisés sur mon CV »… Les ateliers organisés par Féminin by Société générale, un réseau qui fédère plus de 900 salariées de la banque, visent à mettre en valeur les femmes de la maison. Et il y en a ! Majoritaires dans les effectifs (59 %), leur nombre diminue, pourtant, à mesure qu’on grimpe les échelons : 43 % des managers et 23 % seulement dans le comité exécutif. Une bonne note : depuis la publication de cette photo, Caroline Guillaumin (communication) et Françoise Mercadal-Delassales (ressources humaines) ont été rejointes par Diony Lebot (directrice des risques). Y a de l’espoir…
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