La nouvelle est tombée après plus d’une journée de conciliabules à huis clos : la Cour constitutionnelle gabonaise valide la réélection d’Ali Bongo contre son rival Jean Ping. Par un évident tour de passe-passe, la Cour lui a même rajouté plus de 10 000 voix et a revu à la baisse le score de son adversaire…
La Tour de Pise, surnom moqueur donné à la Cour constitutionnelle gabonaise pour son indécrottable tendance à pencher du côté du pouvoir, ne s’est pas redressée. Après plus d’une journée de conciliabules à huis clos, comme le redoutaient la plupart des opposants, dans la nuit de vendredi elle a rejeté les recours des avocats de Jean Ping et validé la réélection d’Ali Bongo pour sept nouvelles années de présidence.
Mieux : ce dernier est crédité de 50,66% des voix alors que le score de son rival malheureux a été revu à la baisse, passant de 48,23% à 47,24%. Accusée de partialité en raison du profil de sa présidente Marie-Madeleine Mborantusuo, une ancienne maîtresse de feu Omar Bongo avec lequel elle a eu trois enfants, on s’attendait à ce que la Cour modifie sensiblement les résultats précédents, en particulier dans la province du Haut-Ogooué, le fief du clan Bongo. Grâce à une participation record de 99,93% et 95,46% des suffrages en sa faveur, alors qu’il était pourtant devancé de 60 000 voix dans le reste du pays, Ali Bongo y avait miraculeusement rattrapé son retard et décroché les clés de la victoire avec, au final, 5594 de voix de plus que Jean Ping.
La « correction » de la Cour lui en accorde désormais 11 700 de plus car elle a raboté les scores de Ping dans l’Estuaire (où se situe Libreville la capitale) et d’autres provinces. Pour réussir ce magnifique tour de passe-passe, les magistrats ont suivi à la lettre les exigences des avocats d’Ali Bongo, soit une révision des procès-verbaux de tous les bureaux de vote mais en se basant exclusivement sur ceux transmis par la Commission électorale (Cenap), institution pareillement suspectée de partialité pro-Ali. Jusqu’au dernier moment, l’opposition a pour sa part demandé que ne soient pris en compte que les PV originaux, en clair avant tripatouillages divers et variés… Elle n’a évidemment pas été entendue.
En réalité, personne dans l’entourage de Jean Ping ne croyait sérieusement à une inversion des résultats. Dans une interview accordée à Jeune Afrique peu avant l’ouverture des délibérations, Marie-Madeleine Mborantusuo s’en était pris sans le nommer au candidat unique de l’opposition lui reprochant à mots couverts son outrecuidance à se proclamer le « président élu ».
Dès jeudi, des unités de la garde présidentielle, totalement inféodée au clan Bongo, s’étaient déployées à proximité de son domicile et de son QG de campagne alors que le porte-parole du gouvernement le menaçait d’une arrestation immédiate en cas de regain des violences. D’ailleurs, vendredi, sans même attendre l’annonce du résultat, deux de ses représentants étaient interpellés à Port-Gentil, la capitale économique qui s’était violemment soulevée en 2009.
A Libreville même, redoutant un nouvel embrasement, la population avait littéralement dévalisé boulangeries, supérettes comme les petits commerces de quartiers qui vendent de tout et de rien. A l’heure où Marianne bouclait cet article, la ville semblait encore calme. Nombre de ses habitants restent sous le choc des scènes de répression survenues dans la nuit du 30 août dernier au QG de Jean Ping, peu après l’annonce de la victoire controversée du président sortant. Depuis, malgré les démentis du gouvernement et même s’ils restent difficiles à vérifier, de nombreux témoignages ont permis de reconstituer les heures terribles vécues par des dizaines de militants ou simples badauds réfugiés dans le bâtiment. Ils vont tous dans le même sens, celui d’un massacre d’ampleur, ponctué par des exécutions sommaires.
Réfugié en France, Séraphin Moudounga, le Garde des Sceaux d’Ali Bongo jusqu’au 5 septembre a d’ailleurs interpellé le Cour pénale internationale (CPI) pour qu’elle enquête au plus vite sur les événements. Ayant eu la mauvaise idée de critiquer la fraude et la triche avant de démissionner, il aurait selon ses dires été plusieurs fois menacé de mort. Une chose est sûre : au cours des trois semaines écoulées, le clan de l’héritier a multiplié les messages d’intimidation, à l’égard de la population comme envers Jean Ping et ses amis, ouvertement accusés d’entretenir des cellules armées en divers lieux du pays. Une manière, peut-être de préparer à l’avance un grand nettoyage de toute dissidence.
Magnanime, Ali Bongo a néanmoins invité son rival malheureux au dialogue « pour éviter que le sang ne coule à nouveau. » Message parfaitement cynique mais reçu cinq sur cinq. Pour le vaincu, deux fois vaincu, les heures à venir ne vont pas être faciles…
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