Jérôme Kerviel condamné: la Société générale garde son magot

La Cour d’appel de Versailles a reconnu Jérôme Kerviel partiellement responsable de l’énorme perte de la Société générale et l’a condamné à un million d’euros de dommages et intérêts. Un jugement qui ferme sans doute la porte à la remise en cause de l’avoir fiscal de 2 milliards d’euros obtenu par la banque auprès de l’Etat…

En général, quand Jean Veil se félicite d’un jugement, il y a tout lieu de se désoler. Au surplus lorsque le célèbre avocat parisien est saisi de l’affaire Kerviel, comme défenseur de la Société générale. Ce vendredi, Jean Veil est donc ravi. La Cour d’appel de Versailles a rendu son verdict dans le procès civil de l’ex-trader: Jérôme Kerviel a été reconnu partiellement responsable de l’énorme perte de la banque, et se voit condamner à un million d’euros de dommages et intérêts. Certes, c’est moins que les 4,9 milliards initialement attribués lors d’un premier jugement, rejeté par la Cour de cassation en 2014, mais cela reste une somme.

Surtout, en condamnant pécuniairement Jérôme Kerviel, le jugement s’écarte du réquisitoire de l’avocat général qui n’avait pas demandé de dommages et interêts. Et c’est là que la satisfaction de Jean Veil est inversement proportionnelle à celle que les Français doivent ressentir. En tout cas, comme contribuables. Le jugement ferme sans doute la porte à la remise en cause de l’avoir fiscal de 2 milliards d’euros obtenu par la banque de la Défense suite aux pertes occasionnées par Jérôme Kerviel. Même si il souligne les erreurs de la Société générale, le tribunal en fait bel et bien la victime dont le préjudice doit être réparé.

«Responsable, mais pas coupable», la phrase de Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales au moment du scandale du sang contaminé, s’est imposée comme un must dans les longue liste des défausses des politiques. Dans une sorte de paraphrase, Jérôme Kerviel est en passe d’imposer bien malgré lui un nouveau concept: «coupable, mais pas responsable». Enfin pas l’unique. N’en déplaise à l’ancien trader de la Société générale, qui joue à fond la carte de la victime du système du Dieu argent dont il fut pourtant un croyant pratiquant, il est bien celui qui par ses manipulations est à l’origine des 5 milliards de pertes pour la banque de la Défense en 2008. C’est en tout cas en ce sens qu’avait requis l’avocat général, Jean-Marie d’Huy, en juin dernier devant la cour d’appel de Versaille qui a rendu aujourd’hui son verdict.

La banque est responsable de la bombe que Jérôme Kerviel a fait exploser au milieu de la salle de marché
Dans son réquisitoire, le magistrat debout est allé dans le même sens que les deux juridictions successives qui ont reconnu la faute pénale: abus de confiance, faux et usage de faux et introduction frauduleuse de données informatiques. Pas question pour lui de remettre en cause la condamnation à cinq ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis, peine aménagée en port d’un bracelet au terme de 5 mois d’incarcération. Plus important pour chaque contribuable français, l’avocat général avait insisté sur la faute civile de la Société générale. Ses multiples « manquements » comme ses contrôles inopérants, ont « indéniablement rendu possible ou facilité la réalisation de la fraude et son développement ». Pour résumer, la banque est responsable de la bombe que Jérôme Kerviel a fait exploser au milieu de la salle de marché, à l’instar de parents qui auraient laisser jouer leur chère tête blonde avec une boîte d’allumettes.

«Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude», en rappelant ce principe premier du droit, le procureur se plaçait bien dans son rôle de protection de l’intérêt public, en termes sonnants et trébuchants, en remettant la responsabilité de la Société générale au coeur de l’affaire.

En ne suivant pas le procureur sur ce point, le tribunal a répondu à une question à 2 milliards d’euros. Dès le début de l’affaire, la direction de la banque avait très vite compris que pour bénéficier du droit fiscal ordinaire permettant de déduire de ses impôts le tiers d’une perte, il était impératif que sa responsabilité propre ne soit pas engagée. Thèse qui a été retenue par Bercy, et l’ensemble de la place, à commencer par la Banque de France. C’est la thèse que le jugement a lui aussi acheté. 

Cet arrêt rend désormais difficile pour l’Etat de reprendre ce qui lui revient. «Nous regarderons ce jugement et nous regarderons les attendus du jugement et nous dirons le moment venu, s’il n’y avait pas d’autres appels ou d’autres jugements à venir, les conséquences que nous aurons à en tirer», concède Christian Eckert le secrétaire d’Etat au Budget.

Mais même quand tout semble perdu, l’affaire Tapie indique que des recours sont possibles quand il s’agit de l’argent de l’Etat, notamment via la Cour de discipline budgétaire. Alors que le jugement du tribunal arbitral qui avait permis à l’homme d’affaires de se déclarer définitivement gagnant, les poches pleine de 240 millions d’euros, la rue Cambon avait réussi à relancer l’affaire en interrogeant la responsabilité des agents publics qui avait accepté l’arbitrage inique. A celle de ceux qui ont décaissé les 2 milliards pour la Société générale de l’être.

[Edit 17h] Dans la foulée de cette décision, Bercy a publié un communiqué indiquant que la situation fiscale de la Société générale serait rééxaminée après cette décision. Le ministre de l’Économie et des Finances Michel Sapin et le secrétaire d’État au Budget Christian Eckert « ont demandé à l’administration fiscale d’examiner les conséquences de cet arrêt sur la situation fiscale de la Société générale concernant les résultats de l’exercice de l’année 2008 et de préserver intégralement les intérêts de l’État« . On attend leurs conclusions avec impatience… 

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