Du burkini au bikini, la femme libre ne se réduit pas à ce qu’elle porte

La liberté est définie comme la situation d’une personne qui se détermine en dehors de toute pression extérieure ou de tout préjugé. Toute personne qui ne possède pas les pleins pouvoirs pour exprimer cette liberté est donc en liberté conditionnelle. C’est le cas des femmes en France, leur liberté étant conditionnée par les préjugés de la société française.

À plusieurs reprises, le premier ministre Manuel Valls a déclaré que la femme en France était libre, mettant en opposition, d’un côté, la femme française libre sans voile et en bikini, et de l’autre, certaines femmes de religion musulmane soumises et en burkini. Mais la liberté de la femme ne se réduit pas à ce qu’elle porte et les propos du premier ministre voilent la réalité de la liberté conditionnelle dont souffrent les femmes en France, cette liberté se déclinant selon la classe sociale, la sexualité, la religion et l’ethnicité.

La liberté est définie comme la situation d’une personne qui se détermine en dehors de toute pression extérieure ou de tout préjugé. Toute personne qui ne possède pas les pleins pouvoirs pour exprimer cette liberté est donc en liberté conditionnelle. C’est le cas des femmes en France, leur liberté étant conditionnée par les préjugés de la société française.

Un état des lieux peu glamour

Clamer que les femmes françaises qui portent le bikini sont libres cache une réalité moins glamour.

Sur le plan de la représentation politique, tout d’abord, les femmes sont sous-représentées. Malgré la loi sur la parité promulguée en 2000, il n’y a guère que 26.86 % de femmes à l’Assemblée nationale en 2016. Ce déficit de représentation politique est dû aux préjugés sexistes du corps politique, les principaux partis politiques – le PS et les Républicains – préférant être sanctionnés financièrement pour ne pas avoir inscrit un nombre égal de femmes et d’hommes sur les listes électorales plutôt que de respecter la loi. Le calvaire des femmes ne s’arrête pas une fois qu’elle sont au pouvoir : les insultes sexistes sont communes à l’Assemblée nationale tout comme les soupçons de harcèlement sexuel.

 

Dans le monde du travail, ensuite, les femmes souffrent d’une discrimination largement répandue, liée aux préjugés. Alors que les femmes semblent être, en général, moins au chômage (9.7 % des femmes et 10 % des hommes sont au chômage), elles occupent plus souvent que leurs homologues masculins des emplois de mauvaise qualité. Par ailleurs, 8 % des femmes salariées sont en situation de temps partiel subi (contre 2.8 % pour les hommes), selon les chiffres de l’Observatoire des inégalités. Tous temps de travail confondus, les femmes touchent au total un salaire 24 % moins élevé que celui des hommes (voir tableau ci-dessus). À poste et expérience équivalents, les femmes touchent 9 % de moins. L’inégalité des salaires entre hommes et femmes est la plus forte chez les cadres (29.1 % de moins). Ces inégalités se perpétuent jusqu’à la retraite car un travail plus précaire, moins bien payé et en temps partiel subi se solde mécaniquement par une plus faible retraite.

Toujours dans le monde du travail, les femmes ne sont que 25 % dans les conseils d’administration. Dans un échantillon de 471 salariés représentatif de la population française, un salarié sur trois a déclaré se sentir harcelé moralement sur son lieu de travail.

Dans la sphère privée, les femmes consacraient de 10 à 12 heures de plus que les hommes par semaine aux tâches domestiques en 2015 (voir tableau ci-dessous). Avec l’arrivée d’un enfant, ce partage inégal perdure, voire se creuse. Dans la rue, dans le métro, selon un rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, 100 % des femmes disent avoir été victimes de harcèlement au moins une fois dans leur vie.


Atlas des Femmes, 2015/Ined

La violence conjugale sévit en France comme dans le monde. En 2014, 118 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en France. Ce chiffre varie entre 50 et 100 en Australie pour la même période. Cette variation se justifie par la non-résolution de toutes les affaires de violence conjugale à l’heure où cet article est écrit.

De surcroît et selon le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, en moyenne et chaque année, on estime que 223 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violence conjugale dans ses formes les plus graves. Selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, entre 25 et 30 % des femmes en France sont victimes de violence conjugale durant leur vie. On observe la même proportion en Grande-Bretagne. En Allemagne, ce taux se situe entre 20 et 25 % alors qu’en Finlande, 30 à 32 % des femmes déclarent avoir été victimes de violence physique et/ou sexuelle de la part d’un(e) partenaire. Il est cependant important de noter que la différence de pourcentage entre les différents pays en matière de violence conjugale peut être le résultat de politiques publiques différentes. Ainsi, un taux de violence conjugale plus important peut résulter de politiques publiques qui ont permis de lever les tabous et la stigmatisation des femmes victimes de violence.


DR

Ces violences ont des conséquences graves et à long terme. En France, les victimes estiment à 68 % que ces violences ont eu des répercussions plutôt ou très importantes sur leur santé psychologique et, pour 54 % d’entre elles, qu’elles ont entraîné des perturbations dans leur vie quotidienne. Toujours selon le Haut Conseil, chaque année, on estime que 84 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de viols ou de tentative de viol. L’État français a le devoir de garantir la sécurité de tous.

Colmater les brèches ne suffit pas

L’état des lieux de la condition de la femme en France montre qu’il y a beaucoup à faire pour que les femmes puissent atteindre le niveau de liberté dont jouisse leur partenaire masculin. Il ne fait aucun doute que l’État s’est construit un arsenal juridique pour pallier les discriminations, mais cet arsenal colmate des brèches au lieu d’affronter les préjugés sexistes enracinés dans la société. Le déficit de représentation politique reflète ce paradoxe libéral. Comme nous l’avons vu, l’État a fait voter une loi pour garantir l’équilibre entre les sexes dans la représentation politique, mais cette loi ne règle pas les préjugés sexistes qui mènent à cette sous-représentation parlementaire et dont les femmes sont victimes une fois dans l’hémicycle.

Les discriminations liées aux préjugés empêchent donc les femmes de pleinement se déterminer. Ils trouvent leur origine dans les différences que la société a artificiellement créées entre les hommes et les femmes. Or la société continue de perpétuer ses a priori dans la sphère publique.

Afin que toutes les composantes de la société puissent jouir pleinement de ce qu’offrent les démocraties libérales, le gouvernement doit mener conjointement avec elles des politiques et des campagnes visant à éliminer la source des préjugés. C’est uniquement à ce moment que le gouvernement pourra déclarer la femme en bikini libre.

The Conversation

Maryse Helbert, Assistant Lecturer/Sessional Academic, University of Melbourne
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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