Elections régionales : l'Allemagne à l'heure autrichienne

Fin de l’exception allemande : le 4 septembre, le navire Merkel s’est fait prendre dans les glaces électorales. Lors d’élections régionales, le parti d’extrême droite a remporté un succès électoral majeur dans la propre circonscription de la chancelière. Le 18 septembre, l’AfD – né en 2013 – a recueilli 14% des voix à Berlin, lui permettant d’entrer pour la première fois dans différents conseils d’arrondissements.

A l’occasion de la nouvelle percée de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, lors des élections de Berlin le 18 septembre, nous republions cet éditorial écrit à l’occasion d’un premier revers électoral pour Angela Merkel : quinze jours plus tôt, la chancelière voyait son parti arriver en troisième position dans sa propre circonscription, derrière l’extrême droite. Les élus de l’AfD sont désormais représentés dans 10 des 16 parlements régionaux.

Dans un précédent édito, j’avais ironisé sur le «Ça n’arrivera jamais» de nos politiques, phrase répétée comme un mantra pour préserver des aléas, pour sauvegarder de l’inattendu, pour conjurer le sort. Phrase – ô combien – fétiche reprise par tous ceux qui sont dans leur sillage : gros poissons et menu fretin, mouettes tourbillonnantes et pélicans au goitre balladurien. Encore une fois, s’il est vrai que la politique a ses lois, ses «invariants structurels», pour reprendre une formule kahnienne, il n’en est pas moins juste qu’elle subit aussi, peut-être plus que toute autre activité humaine, les fluctuations du temps et s’expose au surgissement de l’imprévu à l’image de la Mer de glace, célèbre tableau du grand peintre symboliste allemand Caspar David Friedrich. La chancelière, Angela Merkel, connaît, comme beaucoup de ses compatriotes, cette célèbre toile conservée à la Kunsthalle de Hambourg qui représente une mer gelée trouée, déchirée, par d’énormes blocs faisant saillie vers le ciel avec, sur le coin gauche, la coque d’un navire en bois prisonnier de la glace. En peignant ce bateau, Friedrich avait à l’esprit une expédition de l’époque ayant cherché le passage du Nord-Ouest, qui relie l’océan Atlantique au Pacifique.

Alors que Hollande aura passé tout un quinquennat à caboter le long des rivages politiques, Merkel, elle, se sera efforcée de trouver le passage. Le passage entre l’Union européenne et un Hinterland allemand jadis appelé Europe de l’Est ; le passage entre l’économie sociale de marché et le bouleversement des conditions de travail ; le passage entre l’ouverture des frontières pour contenter le patronat allemand et la demande de sécurité et de protection des salariés les plus modestes. Or, dimanche 4 septembre, le navire Merkel s’est fait prendre dans les glaces électorales avec les élections régionales en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale (quelque part près du grand-duché de Gérolstein) où se trouve sa propre circonscription électorale. Le parti d’extrême droite, Alternative für Deutschland (AfD), a, en effet, remporté un succès électoral majeur dans ce Land de l’ex-RDA.

Une claque à la CDU, le parti de la chancelière, à un an des législatives et à deux semaines des élections du 18 septembre à Berlin où l’AfD est déjà créditée de 14 % dans les sondages. Merkel peut se consoler en relevant que sa formation n’est pas la seule à obtenir un mauvais score. L’allié SPD, les sociaux-démocrates, recueille environ 30 % des voix, mais c’est cinq points de moins qu’en 2011. Ainsi, trois ans seulement après sa création, l’AfD est désormais représentée dans neuf des 16 Länder avec ses succès électoraux dans trois régions au printemps, dont son record de 24 % en Saxe-Anhalt (Est) et elle s’affirme comme la troisième force politique outre-Rhin. «Désormais, l’Allemagne a ce qui n’avait jamais existé depuis la fin de la guerre (en 1945) : un parti d’extrême droite», a écrit le quotidien Die Welt. La fin de l’exception allemande.

Dans le journal le Monde, Thomas Wieder reprend une étude extrêmement intéressante publiée le 24 août 2015 par l’Institut allemand pour la recherche économique (DIW)**. Etude menée chaque année depuis 1984 auprès d’environ 12 000 foyers et qui «identifie les catégories d’électeurs auprès desquels l’AfD a le plus progressé entre 2015 et 2016. C’est d’abord le cas des chômeurs (15 % se disent proches du parti, 4 % en 2015), des ouvriers (11 %, + 6 points), des moins de 30 ans (10 %, + 5 points)». Cela au détriment de toutes les formations, mais surtout au détriment de la gauche radicale allemande, Die Linke. Cela ne vous rappelle rien ?

Épuisement de la mésalliance entre la CDU et le SPD, cette chimère politique au corps de lion et à la tête de chèvre

Il y a assurément plusieurs leçons à retenir de ce scrutin. Même si seulement quelques milliers de réfugiés sont installés dans le Mecklembourg, on y a vu le refus de l’ouverture aux réfugiés décidée par la chancelière lorsqu’elle lança son fameux «Wir schaffen das» («On y arrivera»). Non sans raison, puisque toute la campagne de l’AfD était centrée sur cette question ! On y a vu aussi l’épuisement de la mésalliance entre la CDU et le SPD, cette chimère politique au corps de lion et à la tête de chèvre. Là aussi, les sondages montrent l’usure de la popularité de Merkel pourtant en piste pour un quatrième mandat. Grosse Koalition, grosse Katastrophe disent, aujourd’hui, à Berlin ceux qui l’appelaient de leurs vœux. Mais je retiendrai avant tout de cette élection qu’il est périlleux de se fier à ceux qui minimisent les événements quand ces derniers viennent contredire leurs préjugés qu’ils nous présentent comme des analyses ou leurs angoisses qu’ils nous servent comme des certitudes.

Les mêmes qui prévoyaient la mort de l’AfD après ses scissions ne prédisaient-ils pas la disparition à terme, en Italie, du Mouvement 5 étoiles après le retrait de Beppe Grillo ? Le paradoxe est que c’est au moment où le social-libéralisme est en passe d’être chassé un peu partout qu’on cherche à nous le vendre en France. Or, il y a un moment que les Européens ont compris que le social-libéralisme, c’est avoir le choix entre toutes les tares du libéralisme sans les atouts du social ou toutes les tares du socialisme sans les atouts du libéralisme.

Un seul élément est sûr dans ce paysage européen de plus en plus mouvant : dans l’histoire de l’Allemagne, ce n’est jamais une très bonne chose quand le pays se met à l’heure autrichienne.

*Le Monde du 5 septembre 2015. 

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