Après la violente agression – possiblement concertée – d’un surveillant de la maison d’arrêt d’Osny, dans le Val-d’Oise, à l’intérieur d’une « unité dédiée » censée isoler les islamistes les plus dangereux, Yoan Karar, secrétaire local FO à la prison de Fresnes, explique à « Marianne » pourquoi ces quartiers spécifiques sont, dans les conditions actuelles, « voués à l’échec ».
La violente agression d’un surveillant de la maison d’arrêt d’Osny, dans le Val-d’Oise, par un détenu condamné pour ses velléités de départ en Syrie, dimanche 4 septembre, a non seulement relancé le débat autour du regroupement des détenus radicalisés en prison mais semble apparaître comme la première tentative d’attentat projeté au sein d’un établissement pénitentiaire.
Yoan Karar, secrétaire local de FO Fresnes – où a été lancé à l’automne 2014 le premier regroupement de détenus radicalisés -, livre à Marianne ses très sérieux doutes quant à l’efficacité, dans les conditions actuelles, de ces Unités dédiées (UD), développées ces derniers mois.
Marianne : Vous vous opposez au regroupement des détenus radicalisés en prison, dans les « unités dédiées », les UD, expérience actuellement menée à Osny – où a eu lieu cette semaine l’agression d’un surveillant – et dans trois autres établissements pénitentiaires : Fresnes (Val-de-Marne), Fleury-Mérogis (Essonne), et Lille-Annœullin (Nord). Pourquoi ?
Yoan Karar : Ce qu’il faut savoir c’est que ces unités dédiées, telles qu’elles sont faites aujourd’hui, ne constituent pas du tout un quartier isolé. Les détenus radicalisés de ces unités peuvent croiser les autres détenus à différents moments de la journée, lors des activités par exemple (ateliers professionnels, à la bibliothèque etc.) ou communiquer avec eux à travers les cellules, par la fenêtre. En réalité, les détenus radicalisés ne sont regroupés « entre eux » qu’au moment de la douche et de la promenade. Concrètement, à Fresnes, cela signifie que l’UD est installée dans un bâtiment de quatre étages, ce qu’on appelle des coursives. (En sachant qu’une coursive est gérée par un surveillant, et que sur une coursive il y a à peu près 100 détenus.) A Fresnes, on a donc pris une coursive, et dans cette coursive une vingtaine de cellules, où on a installé les détenus radicalisés. Les cellules restantes de la dite coursive sont, elles, occupées par des détenus de droit commun.
« Ces unités créent une sorte de ‘caïda' »
Quels risques présente ce regroupement de détenus sans isolement réel ?
Yoan Karar : Pour nous, cela a eu tendance à créer des noyaux durs, grâce à une forme de cohésion créée entre les détenus de ces unités. L’agression d’Osny en témoigne, on apprend qu’il pourrait s’agir d’une attaque concertée. Or à Osny, la configuration de l’UD est identique à celle de Fresnes. L’unité n’est pas hermétique. La situation y est même plus grave, parce que par manque de place dans la prison (582 places théoriques pour près de 800 détenus), certains nouveaux arrivants ont été intégrés – pas plus tard que la semaine derrière – dans l’unité dédiée. Autrement dit, certains détenus ont fait à Osny leur cycle « arrivant » aux côtés des détenus radicalisés. Par ailleurs, le fait d’avoir mis en place ces unités crée une sorte de « caïda » : on donne une identité à ces détenus, plus à même d’exercer des pressions ou une menace sur les surveillants, mais aussi sur les autres détenus à qui ils diraient en substance : « Rejoins le rang ou ça va mal se passer pour toi. »
« On savait déjà, faute de moyens, qu’on partait sur un constat d’échec. »
Qu’en est-il des ateliers, groupes de parole etc. visant leur déradicalisation ?
Yoan Karar : Ces unités ne « déradicalisent » rien du tout. C’est une coquille vide censée rassurer la population. D’abord, ces détenus refusent de voir des imams. Ensuite, il n’y a pas de moyens supplémentaires alloués, ni en personnel, ni en formation. On dit par exemple que les agents pénitentiaires ont été formés, mais ils ont été formés pendant trois jours à regarder des films ou à écouter des interlocuteurs issus d’associations venus s’exprimer parfois sur des points qui n’étaient pas en corrélation avec la vie carcérale. Ce n’est certainement pas avec une feuille A4 en mettant des petites croix « oui » ou « non » qu’on va faire avancer les choses. La déradicalisation dans ces unités, cela consiste à un surveillant qui regarde plus les détenus, ça s’arrête là. On savait déjà, faute de moyens, qu’on partait sur un constat d’échec.
Que préconisez-vous ?
Yoan Karar : La construction d’unités complètement indépendantes, qui pourraient se faire sur d’autres sites que les établissements pénitentiaires existants, avec un vrai programme de déradicalisation, du personnel formé, en nombre etc. Il y a pas mal de vidéos qui tournent sur les réseaux sociaux où il est question d’attaquer les policiers, les journalistes, mais aussi les surveillants de prison. Personne n’en parle mais l’attaque d’Osny montre que le message est passé.
Bilal Taghi, 24 ans, incarcéré au sein de l’Unité dédiée (UD) parmi les détenus radicalisés de la maison d’arrêt d’Osny, dans le Val d’Oise, a violemment agressé un surveillant dimanche, à l’heure de la promenade. D’après les images de surveillance décrites par Le Monde, l’agent semble alors le prier de laisser la serviette de toilette qu’il a en main à l’intérieur de la cellule, avant de rejoindre les autres détenus dans la cour.
Condamné à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme pour ses velléités de départ en Syrie, le jeune homme, qui ne posait pas de problème particulier de comportement jusqu’ici, tente alors d’égorger le surveillant à l’aide d’une « lame de 25 cm très fine et très aiguisée » dissimulée sous la serviette « qui transperce de part en part la gorge » de ce dernier, « à 2 mm de la carotide et à quelques millimètres du poumon », ont détaillé des sources pénitentiaires dans le Figaro.
L’individu s’est ensuite mis à faire la prière et à dessiner un cœur sur un muret avec le sang de sa victime et d’un second surveillant venu lui porter secours, jusqu’à l’arrivée de l’équipe régionale d’intervention et de sécurité (l’ERIS). Pendant ce temps, le comportement des autres détenus de l’unité intrigue. En particulier, poursuit Le Monde, celui d’Abdelhakim A., qui « fait les cent pas » dans le couloir où a eu lieu l’agression et fait transiter les objets qu’il a dans ses poches, dont des débris de miroir, sous la porte d’autres cellules. L’enquête doit déterminer si une attaque concertée de surveillants avait été échafaudée par Bilal Taghi et d’autres détenus de l’unité.
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