Quand l’ex-président glisse vers l’extrême droite, Marine Le Pen s’adresse aux électeurs de droite travaillés par l’identité nationale. Une partie du discours de Brachay ce 3 août aurait pu être écrit par Henri Guaino, candidat à la primaire des LR et ancienne plume de Sarkozy. Reportage.
Sous le soleil lourd de ce samedi de septembre, Gérard Marchand, maire de Brachay, plastronne. Sa commune de 55 habitants dont une grande partie des maisons restent désespérément fermées tout au long de l’année, a gagné une notoriété inespérée depuis 2012. Cette année là, en pleine campagne pour la présidentielle, Marine Le Pen avait répondu à l’invitation de son conseiller et futur candidat FN aux législatives, Paul-Marie Couteaux. Celui qui à l’époque présidait aux destinées du SIEL l’avait convaincue que depuis ce trou perdu de Haute Marne, elle pouvait lancer un appel aux « oubliés », ces Français des territoires désertés par les services publics, ceux-là même dont elle cherchait à se faire le porte parole. A la stupéfaction générale, 800 personnes avaient répondu à l’appel, venues de toute la région. Marine Le Pen avait promis ce jour-là de revenir tous les ans jusqu’à la prochaine échéance électorale présidentielle qu’elle se voyait déjà gagner.
Depuis, Gérard Marchand a gagné le surnom de « SS » dans les services sociaux du département sous prétexte qu’il ne se presse pas de fournir des logements sociaux à quelques titulaires du RSA. Et depuis, Paul-Marie Couteaux a été poussé vers la sortie par celle à qui il avait donné un coup de pouce décisif. Ingratitude de la politique.
Samedi 3 septembre 2016, elle est venue une nouvelle et peut-être dernière fois pour y lancer sa campagne. Gérard Marchand a beau prétendre que « 3 500 personnes » se sont déplacées pour écouter leur candidate, « 1 000 de plus que l’an dernier » dit-il, il n’y avait selon nos estimations, qu’un petit millier de supporters de la présidente du FN, autant que les années précédentes. Juste un peu plus de journalistes encore que les années précédentes venus de tous les coins d’Europe, cause de la grande satisfaction du maire.
Les conseillers de la candidate avaient prévenu, le discours à venir donnerait le ton de la campagne. « Au-dessus de la mêlée, présidentielle en quelque sorte » avertissait Sébastien Chenu, conseiller régional dans le Nord-Pas-de-Calais et membre de la direction de campagne. D’ailleurs la mise en scène l’indiquait. Finis les logos FN autour de l’estrade, oubliée la flamme tricolore brandie jadis fièrement par les militants. La seule trace du nom du parti avait été barbouillée sur une remorque de tracteur qui barrait l’entrée du meeting en chicane. Sans doute un militant zélé ayant oublié les consignes. Au fond de l’estrade, une banderole d’où tout slogan politique avait disparu, signature pourtant habituelle du FN en campagne, faisant place à un « rentrée politique » des plus plats.
Il faut écouter attentivement le discours de la présidente Marine Le Pen. Car si de prime abord, il confirme l’apaisement verbal recherché, il donne en réalité des indications sur la stratégie que Marine Le Pen va déployer pour tenter d’engranger le maximum de suffrages au premier tour, voire de gagner la présidentielle comme elle semble encore y croire. Finies les diatribes contre « l’invasion migratoire », contre l’immigration qui serait responsable de tous les maux de la sociétés, le chômage, l’insécurité, le mal-logement, le trou de la Sécu, les embouteillages aux urgences hospitalières, les retraites qui baissent et le terrorisme.
Un rappel, un seul à la « submersion migratoire » – formule ciselée jadis par Jean-Marie Le Pen -, un rappel de ses positions passées quand « je demandais combien de Mohamed Merah se cachaient parmi les réfugiés sous les huées du système », et la question de l’immigration est bouclée. En revanche, de longs passages ont été consacrés à l’islamisme, au communautarisme, aux « vêtements qui discriminent les femmes ». Comme le souligne Dominique Lebourg dans son dernier essai Lettre aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettrait la France debout, le FN a gagné la bataille idéologique. Plus besoin de stigmatiser les immigrés, il suffit d’évoquer le burkini pour faire la preuve du poids de l’immigration. Marine Le Pen est sûre d’elle, comme doit l’être une candidate à la présidence de la République.
Mais ce que révèle ces glissements sémantiques, c’est qu’au fond la candidate du FN s’adresse bien plus précisément qu’elle ne l’a jamais fait à un électorat de droite qui, depuis 2017, balance entre elle et Nicolas Sarkozy. Celui-là même que l’ancien président de la République cherche par tous les moyens à capter en radicalisant ses propos sur le terrorisme, le droit du sol, etc. Quand l’ex glisse vers l’extrême droite, l’héritière adresse des œillades appuyées à la droite travaillée par l’identité nationale.
Pour sa rentrée politique, Marine Le Pen n’a pas lésiné sur les gages en républicanisme envoyés à cet électorat qui jusqu’alors la trouvait trop identifiée à l’extrême droite. En gaullisme même, citant le Général à deux reprises comme elle ne l’a jamais fait jusqu’alors. Elle a sorti le grand jeu : défense de la République et de ses valeurs attaquée par l’islamisme, unité de la Nation menacée par le communautarisme, souveraineté nationale ruinée par l’Europe, maintien de l’Etat de droit face au terrorisme pour se démarquer de Nicolas Sarkozy, valorisation du bien commun et de l’intérêt général opposé aux ambitions des politiciens classiques, altruisme et affection manifestée au peuple.
En écoutant Marine Le Pen, il nous est revenu un passage d’une interview d’Henri Guaino sur BFMTV en juin dernier, citant le général de Gaulle : « Pour faire de la politique, il faut aimer les gens», laissant entendre que Nicolas Sarkozy ne les aimait guère. «Notre projet est fondé sur le lien d’amour avec le peuple. C’est l’affection qui nous fait refuser la souffrance sociale » lui a répondu Marine Le Pen en conclusion de son discours, pour bien signifier, à lui et à ceux qui se retrouvent dans ses positions, qu’ils ne sont pas si éloignés que cela les uns des autres.
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