Islam : la leçon turque

La volonté de construire une nation laïque sans le peuple n’a pas survécu à la disparition d’Atatürk. C’est parce qu’Erdogan est plus démocrate qu’Atatürk qu’il peut fermer la parenthèse kémaliste en se servant de l’Etat fort qu’il lui a laissé.

Recep Erdogan a inauguré le plus grand pont d’Europe sur le Bosphore. La prouesse a été souvent rapportée sans préciser qu’il l’avait baptisé «Selim Ier le Conquérant», du nom du premier calife ottoman, et qu’il avait exigé d’en poser la première pierre un 29 mai, jour anniversaire de la prise de Constantinople mettant fin à l’Empire chrétien d’Orient. Erdogan s’amuse. Et parle clairement.

Mais, depuis que Bernard Guetta et Alexandre Adler ont cessé de nous faire croire que cet «islamiste modéré» était une sorte de Robert Schuman instaurant le «pendant musulman de la démocratie chrétienne», les méprises s’accumulent à propos du talentueux président turc. On nous parle d’un dictateur détruisant la Turquie laïque d’Atatürk. Alors qu’il s’agit de l’inverse : c’est parce que le projet de désislamisation du grand leader républicain a échoué qu’Erdogan est plébiscité par une Turquie profonde ayant résisté au kémalisme. La preuve par Atatürk de la force de l’emprise musulmane.

Une révolution islamophobe sans équivalent dans l’Histoire

C’est un paradoxe français que cette méconnaissance du projet démiurgique d’Atatürk et de son échec, tant la France était son modèle. Ayant reçu dans des collèges progressistes de Salonique une éducation française et prussienne, ce militaire débuta en rebelle comme de Gaulle, sauvant une Turquie condamnée par le dépeçage de l’Empire ottoman des vainqueurs de 14-18. Il se mua ensuite en Robespierre, abolissant le califat et lançant une révolution islamophobe sans équivalent dans l’Histoire.

Ce grand lecteur des Lumières, de Rousseau, de Durkheim et de Renan tenait l’islam pour «une calamité qui s'[était] abattue sur la nation turque» du fait de la colonisation ottomane, et expliquait l’échec oriental par ses «traditions archaïques» hostiles au progrès. Ce despote éclairé adulé par Edouard Herriot imposa une rupture culturelle d’une brutalité inouïe : fermeture des écoles coraniques, imposition du calendrier grégorien, vendredi férié remplacé par le dimanche, alphabet latin substitué à l’alphabet arabe, fin des tribunaux islamiques et de la charia au profit du code commercial allemand, du code pénal italien et du code civil suisse. Et, sous l’invocation de «laïcité» inscrite dans la Constitution, c’est un concordat dominateur qu’imposa Atatürk : non pas la séparation de la Mosquée et de l’Etat, mais la soumission autoritaire de la religion, réduite à une activité privée contrôlée. Le gouvernement imposa le thème des prêches dans les mosquées dont les imams devenaient des fonctionnaires formés par l’Etat…

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Cette volonté de construire une nation laïque sans le peuple ne survivra pas à la disparition d’Atatürk. (…) C’est parce qu’Erdogan est plus démocrate qu’Atatürk qu’il peut fermer la parenthèse kémaliste en se servant de l’Etat fort qu’il lui a laissé. C’est parce qu’il a gagné toutes les élections depuis 2002 qu’il redonne sa place à un islam majoritaire. Mais, une fois de plus, il avait été clair : «La démocratie est un moyen, non une fin : c’est comme un tramway, on en descend quand on est arrivé à destination.»

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