Alexis Corbière : "Les primaires sont un papier tue-mouche sur lequel viennent se coller les participants"

Le porte-parole de Jean-Luc Mélenchon publie un essai documenté sur le processus de désignation des primaires qui n’a, selon lui, de démocratique que le nom. Il l’accuse d’exclure les milieux populaires mais aussi de favoriser les candidats réalisant le plus d’investissements financiers. Concernant la primaire socialiste, il juge qu’elle vise à « étouffer la colère qui monte du pays ». Interview.

MARIANNE – Pourquoi affirmez-vous dans votre ouvrage que les primaires sont à l’origine d’un détournement électoral ?

Alexis CORBIERE : Toutes les études qui ont été faites sur la primaire de 2011 organisée par le PS, démontrent nettement que la sociologie de  ceux qui y participent est très typée et ne représente en rien la réalité profonde du pays. Il s’agit des CSP + , des clientèles des élus locaux et après des retraités. C’est à dire ceux qui s’intéressent encore à la vie des partis traditionnels, derniers piliers de la Ve République. A l’inverse, les milieux populaires, déjà fortement abstentionnistes lors des élections, ne viennent pas à la primaire. Déjà très majoritairement abstentionnistes lors des élections générales, ils le sont encore plus lors des primaires. Pourtant, aucun changement réel n’est possible tant que ces millions de gens qui se retirent de l’action civique – soit environ 50% du corps électoral français -, ne retourneront pas aux urnes.

Or ce processus de désignation à la prétention, par le biais de ce tamis social, de confier le choix d’un introuvable « candidat unique de la gauche », donc le seul qui aurait le droit à se présenter à la véritable élection, à cette minorité qui gravitent encore autour du PS. Et en creux à disqualifier et interdire ceux qui refuseraient de plier le genou devant lui. Concrètement au PS, ce stratagème permet d’envisager les conditions d’une nouvelle candidature de François Hollande alors que ce dernier est fortement cabossé dans l’opinion publique, rejeté même. Avec les primaires, l’actuel hôte de l’Elysée peut espérer se représenter, avec en apparence, l’onction d’une forme de nouvelle désignation plus large que son dernier carré de supporters. Finalement, contrairement à l’image qu’elle affiche d’elle même, cette primaire n’a rien de populaire ni de citoyen, elle fonctionne en réalité au profit d’un appareil affaibli qui tente ainsi de détourner la profonde aspiration populaire au changement.

 « Cette primaire n’a rien de populaire ni de citoyen »

Vous pointez aussi le poids de l’argent dans les primaires, et cette prépondérance vous inquiète, car elle vous paraît profondément antidémocratique…

Les sommes officielles investies par les candidats à la primaire socialiste de 2011 sont éloquentes. Les candidats ont obtenu un nombre de voix proportionnel à leur investissement financier. Hollande a dépensé 300 000 euros, Aubry 200 000, Montebourg 100 000 et Valls, 50 000. Soit près de 0,24 centimes la voix pour le trio de tête ! Je suis convaincu que l’on va retrouver ce phénomène de manière encore plus prononcée dans quelques mois et surtout à droite.

Pourquoi, si elle a toutes ces tares, la primaire est-il sondagièrement si plébiscitée ?

Les primaires, pour l’économie médiatique, sont un merveilleux spectacle à feuilletonner quasi quotidiennement. C’est le moyen de pratiquer une réduction psychologisante du commentaire politique, axée sur les haines et les postures. Le cirque sentimental entre des hommes et des femmes qui jouent leur va-tout est médiatiquement plus croustillant que le récit des campagnes de terrain exprimant la souffrance populaire qui secoue notre pays. Les instituts de sondage aussi se frottent les mains. Ils se trouvent hissés au rang d’arbitres – alors même que les sondages publiés sur les primaires n’ont pas de valeur scientifique. Je rappelle que par deux fois en 2011, la Commission nationale des sondages, qui est censée veiller à la rigueur des travaux publiés, a mis en garde contre les sondages en raison de la quasi impossibilité de fixer des panels représentatifs de ceux qui iront voter à la primaire. Personne n’en a tenu compte. C’est pourquoi pour moi les primaires sont l’apothéose de la « sondocratie », une démocratie sous influence, de basse intensité.

« Les primaires sont l’apothéose de la ‘sondocratie' »

Vous prenez l’exemple de l’Italie en notant que les primaires ont toujours été un désastre pour ce qu’il reste de forces de transformation sociale. Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer de manière si péremptoire ?

Les faits, justement – et eux seuls. Et ils sont têtus. En Italie ce que l’on considère communément comme étant la gauche, c’est à dire des forces liées à l’histoire du parti communiste, ou le parti socialiste, – n’existent quasiment plus au sens littéral du mot. Elles n’ont plus de représentation parlementaire. Pourquoi ? Parce que précisément, le système des primaires qu’elles ont mis en place a produit la recherche d’un plus petit dénominateur commun autour de personnages de centre droit comme Romano Prodi  ou d’autres. Ils ont entraîné leur camp dans des défaites successives et cela n’a enrayé en rien la montée d’une droite dure, berlusconienne. Reconquérir les milieux populaires cela passe d’abord par une bataille idéologique et culturelle, et non par l’addition de petits cheptels électoraux de partis de plus en plus coupés des ouvriers et des employés. Il ne suffit pas d’additionner des sigles pour mettre en mouvement les milieux populaires. Il faut parler au plus grand nombre, exprimer l’intérêt général, et non baisser ses ambitions pour rassembler des partis obsédés par leurs survies. La primaire du PS, en ramenant tout cela dans les sacs de nœuds de la rue de Solférino, veut étouffer la colère qui monte du pays.

« La primaire du PS veut étouffer la colère qui monte du pays »

Dans votre insistance sur le poids néfaste de l’argent, vous revenez sur les récentes primaires du parti démocrate américain. Sanders aurait-il été écarté parce qu’il était défavorisé par rapport à Hillary Clinton sur le plan financier ?

Malgré la formidable campagne conduite par Sanders, les primaires du parti démocrate ont été impuissantes à rendre sa pleine représentation au peuple. Et elles ont, in fine, consacrée la candidate de la préservation du système… Les sommes considérables levées par Sanders par des contributions individuelles, même si elles ont atteint des records, ne sont évidemment rien par rapport à celles qu’Hillary Clinton a drainées, via les dons d’entreprise. Aujourd’hui, le processus initié par les primaires a en tout cas comme conséquence que malgré ses 12 millions de voix, Sanders n’est plus en capacité de concourir dans la présidentielle et doit soutenir Hillary Clinton. Il semble aussi que pour obtenir cette victoire contre la « révolution citoyenne » de Sanders, l’appareil du Parti Démocrate ait tripatouillé les votes dans beaucoup d’endroits. Ce système fonctionne là-bas comme un verrou qui maintient le bipartisme, dans un océan d’abstentions.


En France, en cette fin d’année 2016, pourquoi écrivez-vous que cet emboîtement de primaires (PS, LR, Ecologistes) n’est pas fortuit ?

Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les deux grands piliers de la Ve République ont mis en œuvre le même dispositif pour tenter de « ripoliner » leur façade. Par loyauté, nous avons toujours dit que nous ne soumettrons jamais à un système qui pourrait entraîner que nous devions soutenir François Hollande, car les primaires fonctionnent comme un papier tue-mouche sur lesquelles viennent se coller tous ceux qui y participent. C’est le moyen pour les appareils de faire croire à leur effacement mais de tirer plus efficacement encore les ficelles en coulisses.

« Les primaires bétonnent l’autoreproduction du système pour imposer un tripartisme institutionnalisé »

 

Que voulez-vous dire, exactement ?

Qu’en s’effaçant officiellement, ces appareils ont en réalité la promotion de ceux qui garantissent leur survies, tout en faisant croire à la nouveauté politique, et en s’abritant derrière la pseudo-impartialité d’un processus de désignation citoyenne. Qui peut croire que le changement passe par le reconduction de François Hollande, ou même la désignation de l’un de ses anciens ministres ? Ce Canada dry de citoyenneté ouverte, non discriminante, est l’astucieux stratagème des avocats du statu quo. Avec leur ambition de saturer l’espace public, les primaires bétonnent l’autoreproduction du système pour imposer un tripartisme institutionnalisé.

Mais, ces primaires du PS pourraient bien finir par s’effondrer, en raison des contradictions qui la traversent  et par la faiblesse de sa représentativité. Surtout les primaires reconduisent, au lieu de l’abolir, le système de la monarchie élective, pourtant en pleine décomposition. C’est la Ve République et ses émanations autoritaires qu’il faut abolir. Ce n’est pas parce qu’on climatise la cabine de pilotage d’un système antidémocratique que celui-ci devient moins étouffant pour les passagers. Il est temps de passer à une VIe République en convoquant une Assemblée constituante. C’est le premier point de notre programme.

*Le Piège des primaires, Editions du Cerf.
Graphiques issus de l’ouvrage d’Alexis Corbière. 

 

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