Le 24 août, la Turquie lançait son opération « Bouclier de l’Euphrate », officiellement contre Daech mais visant expressément les Kurdes de Syrie. Une opération des Turcs soutenus par les Etats-Unis… pourtant alliés des Kurdes. Décryptage.
« Ces interventions multiples, contradictoires portent des risques d’embrasement général ». Devant les ambassadeurs français réunis à l’Elysée, ce 30 août, François Hollande, solennel, a tenu à mettre en garde. L’opération « Bouclier de l’Euphrate », lancée le 24 août dernier dans le nord de la Syrie par la Turquie, pourrait avoir de graves conséquences dans la lutte contre Daech. Sous couvert d’attaquer les combattants d’Abou Bakr al-Baghdadi, les frappes de l’armée turque visent essentiellement les positions des forces kurdes syriennes (YPG) positionnées à l’ouest de l’Euphrate depuis leur reprise de la ville stratégique de Manbij, le 12 août. Mardi, un accord de cessez-le-feu aurait été trouvé entre les deux parties. « Contradictoire », le terme pourrait aussi s’adresser au président Barack Obama. Puisque l’opération turque, à la surprise générale, a reçu le feu vert des Etats-Unis alors même que l’état-major américain soutient activement les Kurdes de Syrie contre l’EI. On frôle ici la schizophrénie.
Depuis octobre 2015, et la création des Forces démocratiques syriennes (FDS), rassemblement de combattants arabes et Kurdes dominé par les YPG, la coalition anti-EI emmenée par les Américains est en effet aux côtés des Kurdes. Une alliance qui avait permis aux FDS de remporter de nombreuses victoires militaires contre Daech, grâce aux frappes de l’aviation américaine et à son soutien logistique (en armes, en munitions et en instructeurs) décisif. Mais depuis le 24 août, la diplomatie américaine se retrouve dans une situation folle, appuyant donc les bombardements de la Turquie contre ses propres alliés Kurdes. Dimanche, l’armée turque a ainsi revendiqué la mort de « 25 terroristes Kurdes ». De son côté, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme a affirmé que les bombardements turcs en Syrie avait déjà provoqué la mort d’au moins 40 civils.
« Les Etats-Unis ont décidé de réitérer leur soutien à leur allié stratégique, membre de l’Otan, que représente la Turquie. A la fois une puissance régionale qui, aux yeux des Américains est nécessaire au Moyen-Orient et surtout qui, sur le plan géographique, se situe au flanc sud de la Russie », explique à Marianne, le Général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire auprès de l’ONU. Le jour même du début de l’opération « Bouclier de l’Euphrate », le vice-président américain, Joe Biden, en visite en Turquie, a déclaré que les Kurdes de Syrie perdraient le soutien des Etats-Unis s’ils ne se retiraient pas de la rive ouest de l’Euphrate. Un blanc seing en bonne et due forme donné à Erdogan. Un revirement qui met surtout au jour une diplomatie américaine au coup par coup.
Le militaire français décrypte :
« Depuis 2013, les Américains ont montré une diplomatie très hésitante sur le dossier syrien. Sur le choix des alliés comme sur les objectifs. Il faut se rappeler que les USA s’étaient lancés dans un programme d’entrainement de combattants syriens. Combattants qui, une fois de retour sur le sol syrien, étaient passés avec armes et bagages à l’ennemi.
La Turquie est une alliée dont il faut se méfier. Rappelons que la ville syrienne de Jarablos, à quelques pas de la frontière turque, reprise par l’armée d’Erdogan, servait depuis 2013 de plaque tournante pour Daech, pour le passage de ses combattants, d’armes et de contrebande. Tout ça sans aucune réaction des autorités turques. En 2003, la Turquie pourtant membre de longue date de l’Otan, avait refusé que les troupes américaines débarquent sur son sol pour attaquer l’Irak par le nord. »
Comment expliquer ce virage à 180° ? Si la guerre froide est finie depuis de nombreuses années, Russie et Etats-Unis, depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, se considèrent de nouveau comme deux grandes puissances en compétition. Or, depuis plusieurs mois, les relations entre Barack Obama et Recep Erdogan s’étaient nettement tendues à cause justement du dossier kurde. Elles s’étaient carrément refroidies depuis le coup d’État raté en Turquie, le président turc accusant l’administration de son homologue américain de protéger l’homme qu’il juge responsable du coup d’État, Fethullah Gülen, en exil aux USA.
Une situation qui n’a pas échappé à Vladimir Poutine opérant un rapprochement inatendu avec Ankara. Rapprochement concrétisé par une rencontre le 9 août à Saint-Pétersbourg entre les deux chefs d’Etat. « Les Etats-Unis ont voulu revenir dans le jeu, estime le Général Trinquand. Comparé à la Russie qui, que l’on soit d’accord ou non avec les objectifs, est constante depuis 2013 dans son soutien à Bachar al-Assad, les Américains montrent beaucoup trop d’hésitations. Ce qui ne présage rien de bon dans la perspective de l’après Daech ».
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