Syrie : Erdogan entre en guerre contre Daech… et contre les Kurdes syriens

Ce mercredi 24 août, la Turquie a lancé une opération militaire d’ampleur, dans le nord de la Syrie, contre la ville de Jarablos, aux mains de l’EI depuis 2013. Le président Recep Erdogan a aussi désigné comme cible, les YPG, les combattants kurdes de Syrie, pourtant eux-mêmes à l’oeuvre contre Daech sur le terrain. Un apparent paradoxe qui n’en est pas un.

Un tournant dans la guerre en Syrie ? Ce mercredi 24 août, l’armée turque a lancé ses soldats à l’assaut de Jarablos, ville syrienne frontalière de la Turquie, aux mains de l’EI depuis 2013. Sous le nom de code « Bouclier de l’Euphrate », le Premier ministre turc, Binali Yildirim, a expliqué dans un communiqué que « les forces armées turques et les forces aériennes de la coalition internationale ont lancé une opération militaire visant à nettoyer le district de Jarablos de la province d’Alep de l’organisation terroriste Daech ». De son côté, le président Recep Erdogan, dans un discours à Ankara, a apporté une précision de taille : « Depuis quatre heures nos forces ont lancé une opération contre les groupes terroristes de Daech et du PYD ».

Pour Erdogan, l’opération vise donc les combattants d’Abou Bakhr al Baghdadi mais aussi les Kurdes de Syrie de la branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD), les Forces de protection du peuple (YPG). Des Kurdes qui se battent pour eux-mêmes sur place contre Daech, ennemi visé par Erdogan. Mike Giglio, correspondant pour Buzzfeed en Turquie a fait part sur son compte Twitter de cette confidence d’un officiel turc qui ne laisse que peu de doutes : « Les YPG ont essayé d’aller vers Jarablos hier et ont été avertis par les obus. Ils auraient dû connaître leurs limites ».

 

Turkish official tells me the YPG « tried to get to Jarabulus yesterday and was warned by the howitzers. They should have known their limits »

— Mike Giglio (@mike_giglio) 24 août 2016

Cet apparent paradoxe est loin d’en être un. Après leur prise mi-août de la ville de Manbij des griffes des soldats du « Califat », les YPG, au sein des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), ont commencé à remonter vers le nord. Bien trop près de la frontière turco-syrienne au goût du « sultan ». Ils ne s’en cachent pas, les YPG ambitionnent de créer un Kurdistan autonome syrien, le Rojava, en réunissant le canton d’Afrin, au nord-ouest de la Syrie à ceux de Djézireh et Kobané. Encore séparés d’une bande de territoires d’un peu plus de 50 km, aux mains de Daech et des rebelles de l’opposition. Un projet qui semble avoir motivé le président turc à agir, lui qui rejette absolument toute idée d’un Rojava syrien, redoutant que cela ne donne des idées aux Kurdes de Turquie.

C’est pourquoi, le 21 août, au lendemain de l’attentat le plus meurtrier de l’année sur le sol turc, qui a fait 54 morts, dont 22 enfants, dans un mariage kurde à Gazantiep, situé à la frontière syrienne, le président turc Recep Tayyip Erdogan a accusé un enfant kamikaze d’avoir œuvré sur l’ordre de Daech. « Nous ignorons totalement qui sont les auteurs de cet attentat. Les informations au sujet des auteurs de cet attentat, du nom de leur organisation, sont malheureusement inexactes« , le contredisait deux jours plus tard son Premier ministre Binali Yildirim. Mais, en dépit de cette incertitude, Ankara, utilisant ce prétexte, s’est estimé en situation de légitime défense pour « entièrement nettoyer de Daech la frontière turco-syrienne », selon le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu. L’artillerie turque s’est donc mise à bombarder la zone située au-delà de sa frontière, dès le surlendemain de l’attentat, mardi avant de lancer son offensive terrestre visant à la fois des cibles du mouvement djihadiste dans la ville de Jarablos et des positions du PYD, aux alentours de Manbij.

Le nom de l’opération « Bouclier de l’Euphrate » est d’ailleurs loin d’être anodin. Depuis les premières réussites militaires des YPG, Erdogan avait bien signifié que l’Euphrate constituait une « ligne rouge » à ne pas franchir pour les Kurdes. Mais forts de leurs victoires répétées sur le terrain, les YPG, après la formation des FDS en octobre 2015, avaient reçu le soutien des Etats-Unis. Appui de taille qui leur avait permis de franchir le Rubicon. Jusqu’à ce surprenant revirement de l’état-major américain qui se range du côté de cette entrée en guerre de la Turquie contre les YPG. Joe Biden, le vice-président américain, en visite ce 24 août à Ankara, a ainsi déclaré que les kurdes syriens perdraient le soutien des Etats-Unis s’ils ne se retiraient pas de la rive ouest de l’Euphrate.

Un tournant d’autant plus surprenant qu’aux côtés des soldats d’Erdogan, à en croire les autorités turques, combattent des supplétifs issus de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Mais comme l’a confirmé Romain Caillet, spécialiste des mouvements djihadistes, parmi eux se trouvent aussi des éléments du mouvement très peu fréquentable Nour al-Din al-Zenki. 

Syrie :le groupe Nour ad-Din Zenki, ayant décapité un enfant à Alep, participe à la bataille contre l’#EI à Jarablus pic.twitter.com/Ale3figQWB

— Romain Caillet (@RomainCaillet) 24 août 2016

Au mois de juillet, des individus de ce mouvement étaient apparus sur une vidéo, tournée à Alep, les montrant tout sourire, aux côté d’un jeune Palestinien de 13 ans, soupçonné de renseigner les forces loyales à Bachar al-Assad. Qu’ils avaient décapité au couteau, à l’arrière d’un pick-up. 

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