Confidences en série de François Hollande : merci pour cette "conversation"

La lecture de « Conversations privées » provoque un sentiment contradictoire : à la fois document rare où François Hollande commente sa propre action avec une relative liberté, et genre jamais adopté par ses prédécesseurs comprenant de nombreuses limites.

La lecture de livre Conversations privées du Président Hollande avec les journalistes Antonin André et Karim Rissouli provoque un sentiment contradictoire. D’une part, il s’agit d’un témoignage direct du chef de l’État sur son action et sur les moments les plus forts ou les plus critiques de son mandat. La narration que François Hollande fait de sa propre action, la relative liberté de ton avec laquelle il traite les sujets et parle de ses ministres, collaborateurs ou adversaires, donnent à ce livre un caractère à part et souvent intéressant.

La place importante faite aux verbatims des entretiens (conversations « privées » souligne en italique la page de couverture, jouant ainsi sur le voyeurisme supposé du lecteur) donne par ailleurs à ce livre un caractère utile pour l’analyse politique : il est toujours intéressant de savoir quels mots les acteurs politiques mettent sur leur action, quelles séquences ils privilégient et de quelle manière ils analysent leur propre comportement dans ces situations. Le livre offre un envers du décor du pouvoir exécutif à la fois saisissant et parfois décontenançant.

Mais ce livre relève d’un genre qui n’avait jusqu’à présent pas été adopté par les prédécesseurs de François Hollande : si plusieurs présidents avaient, en cours de mandat, publié des ouvrages il s’agissait jusqu’à présent d’ouvrages historiques (le troisième tome des Mémoires de guerre du Général de Gaulle est publié en 1959), de réflexion politique (Démocratie française de Valéry Giscard d’Estaing est publié en 1976), de recueils de chroniques publiées avant leur entrée à l’Élysée (par exemple, Politique II de François Mitterrand) ou de livres à portée plus générale et fortement marqués par le rapport à l’histoire et au monde de leurs auteurs, notamment sous la plume de François Mitterrand (Réflexions sur la politique extérieure de la France : introduction à vingt-cinq discours (1981-1985), publié en 1986 ; Mémoire à deux voix (avec Elie Wiesel), en 1995 ; De l’Allemagne, de la France, en 1996 ; Mémoires interrompus, recueil d’entretiens avec Georges-Marc Benamou, la même année).

Discours en miroir

Les Conversations privées avec le président Hollande relèvent d’un genre à part, proche du livre-entretien, ce type de livre où l’homme politique répond à des questions dans un style proche de la conversation : il est écrit par deux journalistes qui relatent leurs entretiens avec le Président et les pages alternent les observations et annotations de leur part et les verbatims présidentiels, parfois substantiels et relativement longs.

La forme de l’ouvrage est également surprenante : il ne s’agit ni d’un récit structuré des politiques et des actions de l’exécutif, ni d’une réflexion politique sur le problème pourtant fondamental de l’écart entre les attentes de 2012 et les réalisations quatre ans plus tard, ni d’un livre-programme (sans doute à venir). Il présente une série de séquences qui n’ont pas d’ordre chronologique, parfois pas d’ordre thématique : ainsi, on passe en quelques pages des réactions du Président face à la sortie de l’ouvrage de Valérie Trierweiler à la gestion du cas Leonarda.

On reste parfois sur sa faim quant à l’analyse politique que proposent les deux journalistes. L’observation de la communication présidentielle de crise (affaire Cahuzac, crise grecque, départ des écologistes ou d’Arnaud Montebourg, Benoit Hamon, Aurélie Filipetti ou Christiane Taubira) aurait également mérité d’autres témoignages et observations. Le livre n’est pas, à cet égard, le compte-rendu d’une enquête sur la communication ou les mécanismes de la décision à l’Élysée sous François Hollande et ne prétend d’ailleurs pas l’être.

Son contenu révèle ainsi les limites inhérentes à une série d’entretiens, même nombreux et réguliers, qui ne permettent pas d’aller au-delà d’un discours en miroir de celui qui « converse ». On peut néanmoins apprécier la discrétion ou le minimalisme de l’analyse politique qui n’impose pas de grille de lecture, laissant au lecteur le soin se faire son propre avis sur François Hollande et la narration qu’il fait des principaux épisodes de son mandat.

Manque de chance

Le contenu et la structure du livre témoignent, à plus d’un titre, des rapports que François Hollande aura entretenus, durant son mandat, avec les journalistes ; les auteurs du livre ne cachent d’ailleurs pas le sentiment que leur donne au début de leur aventure le Président : ils notent que celui-ci éprouve « une forme de soulagement à nous retrouver pour partager ne serait-ce qu’une partie de ce qu’il endure dans une période sombre » (hiver 2013/2014).

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De nombreux passages sont savoureux quant au style de communication et de gestion des « petites phrases » et annonces politiques par François Hollande. Ainsi, lorsque le président, voulant soutenir Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, pour ses propos sur les Roms et face aux vives réactions de Cécile Duflot, incite des journalistes à rentrer avec lui dans son avion en indiquant qu’il reste des places (facturés 980 euros néanmoins…).

François Hollande, et Bernard Cazeneuve, au Vatican, le 17 août 2016. Marco Zeppetella/AFP

 

Plus fondamentalement encore, le livre donne à voir un Président spectateur de sa propre action et des difficultés qui l’accompagnent. Il ne se dégage pas l’impression d’un Président qui se tient à un agenda politique balisant son quinquennat, avec une vision et un « cap » (terme pourtant cher à François Hollande). Cet ouvrage nous donne surtout à voir une série de réactions au moment des grandes crises politiques avec un François Hollande pragmatique, tactique sur lequel les événements glissent (comme le départ de Cécile Duflot auquel l’un des passages les plus longs du livre est consacré).

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Seule l’exceptionnelle situation des attentats terroristes semble le révéler à lui-même comme président de la République, le faire Président. L’écrivain et psychanalyste Michel Schneider n’a pas été tendre avec cette posture dans la lecture qu’il en a faite pour Le Point ; son cinglant commentaire peut apparaître dur, mais on ne peut s’empêcher de ressentir avec lui le malaise de voir notre chef de l’État commenter son action de manière un peu narcissique, distribuant les bons et les mauvais points sans donner le sentiment de s’interroger sur ses propres responsabilités.

Si les extraits qui sont parus dans la presse ne résument pas tout le livre, ils sont parfois cruels dans leur expression pour un pouvoir obligé de s’en prendre au manque de chance pour la non-inversion de la courbe du chômage, ce gimmick qui aura marqué tout le quinquennat de François Hollande.

Le pouvoir et l’impuissance

Au-delà des commentaires globalement assez négatifs qui ont accompagné la parution de ce livre, on peut faire deux dernières observations conclusives : tout d’abord, François Hollande gère avec une très grande minutie sa progressive entrée en campagne présidentielle pour 2017. Toutes ces dernières interviews balisent progressivement l’espace qu’il entend occuper : le Président qui protège, qui a trouvé dans sa gestion des attentats et crimes terroristes le tempo de sa fonction de garant de l’unité nationale et qui, au nom de celle-ci, ne peut laisser la droite venir casser le modèle social français et le Front national dresser les Français les uns contre les autres en raison de leurs origines ou religions.

La seconde remarque conclusive concerne nos hommes politiques en général et pas seulement François Hollande : les verbatims présidentiels que les « conversations privées » de celui-ci nous livrent sont un éloquent témoignage du désarroi et du décalage de nos représentants avec un monde qu’ils ne comprennent plus. La mondialisation de toutes les sphères de nos sociétés (économiques et financières, culturelles et sociétales), le basculement des dynamiques économiques, démographiques et même politiques de l’Ouest vers l’Est et le Sud de la planète, l’ampleur des tensions et des conflits liés à cette « grande transformation », réduisent de plus en plus nos hommes politiques au rôle de commentateurs de leur action et les enferment dans une posture compassionnelle.

Mais cette posture continue de s’accompagner du mythe du « changement c’est maintenant ». Le paradoxe de l’action politique aujourd’hui, c’est le contraste de plus en plus prononcé entre la promesse sans cesse renouvelée d’un pouvoir aux commandes et qui commande la réalité et la reconnaissance quelques mois ou années plus tard de l’impuissance.

Obama et Hollande, deux adeptes du « changement pour le changement ». French Embassy in the U.S./Flickr, CC BY-NC

 

Comme l’a fort bien analysé Christian Salmon, on assiste aujourd’hui à un « paradoxe du volontarisme impuissant ». Pour l’auteur de la cérémonie cannibale, de la performance politique

« l’Homo politicus fait sans arrêt appel au volontarisme et au potentiel des individus. Il a recours à la rhétorique de la rupture et du changement. Il rejette l’expérience passée pour affirmer sa foi vide en un avenir hypostasié, mais sans projets, sans vision. Le changement se suffit à lui-même. “Le changement, c’est maintenant” “Yes we can ! »… C’est l’apologie du changement pour le changement ».

Il faudra agir sur deux leviers pour (essayer) d’en sortir : une profonde réforme démocratique et une profonde réforme de notre culture politique nationale, réformes dont l’objectif partagé serait de renouveler les pratiques, les personnes et les modalités d’exercice des mandats électifs. Et ne pas oublier que l’une des fonctions essentielles de la politique est de produire un discours et de le matérialiser en actions, permettant ainsi aux citoyens de voir le chemin, de trouver de l’espoir et de décoder l’univers complexe et lointain qu’est sinon la politique pour eux.

Il est à craindre que la longue « conversation » qu’aura entretenue François Hollande avec les médias et les journalistes n’ait pas suffi à remplir cette fonction essentielle du politique.

The Conversation

Bruno Cautrès, Chercheur en sciences politiques, Sciences Po – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

 

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