Avec la primaire en ligne de mire, le concours Lépine des propositions radicales bat son plein à droite. Nicolas Sarkozy réclame ainsi une « modification substantielle » du droit du sol en inventant la « présomption de nationalité ». Lui qui se définissait comme « un petit Français de sang-mêlé », et qui s’est longtemps méfié des remises en cause d’inspiration maurassienne du droit du sol, se vautre dans une radicalité motivée par sa soif de revanche.
Un peu plus de trois mois. Cent six jours exactement. C’est la durée qui nous sépare de l’issue de la primaire de la droite. Ça va être long… Quand on observe le rythme effréné sur lequel s’est engagé le concours Lépine des propositions les plus radicales censé servir à désigner le vainqueur de cette compétition, on se dit que le trimestre qui s’ouvre va être long, très long. Et franchement pénible pour tous ceux qui demeurent attachés par-dessus tout aux valeurs républicaines.
Quand on aime, on ne compte pas, l’axiome est connu. Et, quand on aime plus que tout gagner, quand on est prêt à tout, ou presque, pour y parvenir, on ne s’embarrasse pas d’« arguties juridiques » susceptibles d’entraver sa marche triomphale vers la victoire. Tel est à peu près l’état d’esprit de Nicolas Sarkozy au moment d’engager très officiellement le fer avec ses frères ennemis pour reconquérir ce qu’il considère comme son dû, son trône élyséen.
Ainsi donc, l’ancien président de la République ose-t-il proposer une « modification assez substantielle » du droit du sol. Il prétend lui ôter tout caractère d’automaticité, laquelle n’existe pourtant déjà pas aujourd’hui pour ceux qui naissent sur le sol français de deux parents étrangers. Peu importe, l’ex-chef de l’Etat veut aller plus loin et restreindre la portée d’un droit de la nationalité bien moins généreux qu’ aux Etats-Unis ou au Canada.
L’Etat déciderait-il alors de punir l’enfant des fautifs en lui retirant sa nationalité bien après sa naissance ?Doublement mis en examen, pour corruption et trafic d’influence d’une part, pour financement illégal de sa campagne électorale de 2012 d’autre part, Nicolas Sarkozy réclamait jusque-là, à raison, le strict respect de la « présomption d’innocence », sage précepte auquel l’ancien président a droit comme tout justiciable. Le voilà qui professe désormais une autre forme de présomption, la « présomption de nationalité », une novation conceptuelle hallucinante, qui permettrait au législateur de ne pas attribuer la nationalité française à quelqu’un qui n’aurait pas un casier judiciaire vierge à sa majorité, ou dont on pourrait prouver, a posteriori, que les parents étaient en situation irrégulière au moment de sa naissance. L’Etat déciderait-il alors de punir l’enfant des fautifs en lui retirant sa nationalité bien après sa naissance ? Ou choisirait-il de multiplier les apatrides en attendant que l’on s’assure du comportement vertueux de ses aïeux ? A force d’empiler les catégories de « demi- », de « sous- » ou de « présumés » citoyens, un régime mettant en œuvre de telles dispositions mettrait en péril la cohésion même de la société française. L’indifférence qui a accueilli la provocation sarkozienne ne lasse pas d’inquiéter. Il faut dire que François Hollande serait bien en peine de faire la leçon à son prédécesseur, lui qui, un trimestre durant, a agité le chiffon rouge de la déchéance de nationalité comme solution pour endiguer le fléau du… terrorisme ! Parmi les apprentis sorciers, il n’a pas grand-chose à envier à son prédécesseur…
Or, comme l’a montré l’historien Patrick Weil, le droit du sol n’est pas une tradition immémoriale de notre pays. Introduit sous une première forme dès 1515 par un arrêt du Parlement de Paris, le jus soli a été maintes fois abandonné au profit du jus sanguinis au gré des convulsions et changements de régime. Ce n’est qu’en 1889, au moment où le législateur restaurait la République dans la plénitude de ses principes, que le droit du sol s’est imposé comme une référence indépassable, hormis la tragique parenthèse du régime de Vichy, qui procéda à 15 000 dénaturalisations.
Nicolas Sarkozy s’est longtemps méfié de cette conception d’inspiration maurrassienneDepuis trente ans, sous la pression idéologique croissante de l’extrême droite, la droite française a plus d’une fois tenté de le rogner, depuis la réforme avortée du code de la nationalité portée en 1986 par Charles Pasqua à la surenchère d’un autre ancien président, Valéry Giscard d’Estaing, prônant en 1991 l’instauration du droit du sang pour faire face à « l’invasion » migratoire. Au final, c’est bel et bien cette définition d’une nationalité travaillée par le démon des origines, la quête d’une introuvable pureté et désormais le fantasme du « grand remplacement » qui agite les tenants du droit du sang. Nicolas Sarkozy s’est longtemps méfié de cette conception d’inspiration maurrassienne chère à son ancien gourou Patrick Buisson. Il semblait attaché à cette idée de la nation comme « conscience morale» et « plébiscite de tous les jours » chantée par Ernest Renan, pour lequel « l’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion », et pas davantage de son sang. Au printemps 2012, à quelques jours de sa défaite face à François Hollande, Nicolas Sarkozy répétait qu’il conserverait le droit du sol car « il fait partie de la tradition française ». Ainsi, l’ancien président semblait bien plus sage à la veille de perdre le pouvoir suprême qu’à l’instant où il se lance dans sa reconquête. Sa soif de revanche lui aurait-elle fait oublier qu’il se définit, un jour, comme « un petit Français de sang-mêlé » ?
Cent six jours, c’est long…
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