L’œil, la prostate, le cœur… et la tête, le Cavaliere a tout perdu en même temps que le pouvoir. La chirurgie esthétique et la médecine n’y ont rien pu : l’homme qui a dominé la politique italienne pendant plus de vingt ans est désormais vieux, malade et seul. Et son parti, Forza Italia, est en lambeaux. Une page sombre de l’histoire de l’Italie est tournée.
Il leur manque déjà… A tous. A ses supporteurs bien sûr, comme à ses adversaires innombrables. Opéré du cœur en juin à Milan, Silvio Berlusconi quitte la scène politique italienne. A 79 ans, le Cavaliere descend enfin de cheval. Le vieil homme se retire pour le plus grand regret de ses adversaires qui avaient pourtant pris l’habitude de le surnommer «le Monstre». «Le Caïman» avait la peau dure, le voilà enfin rangé des affaires.
L’Italie et les Italiens vont devoir apprendre à vivre sans lui. Ce ne sera pas simple tant le leader bling-bling rendait service à ses opposants qui jugeaient commode de focaliser leur haine sur un seul homme. Pendant plus de vingt ans, depuis son irruption sur la scène électorale en 1994, la présence de Silvio Berlusconi a permis à la gauche de masquer ses carences aux yeux de son électorat, et de relativiser ses échecs en prétendant qu’il était impossible de combattre un homme aussi riche et aussi bien introduit dans la haute société transalpine. Le discours était identique dans le camp du milliardaire. Après chaque défaite, les troupes critiquaient le chef en coulisses. Mais, à chaque fois, le leader savait calmer les révoltes, et sauver son pouvoir, en multipliant les promotions et les cadeaux.
L’homme que son ex-médecin personnel, le Pr Umberto Scapagnini, avait un jour qualifié de «techniquement immortel» a donc fini par jeter l’éponge. Pendant des années, un rien gourou sur les bords, ce médecin lui avait, paraît-il, administré une potion magique à base d’huile de palo santo. Originaire du Pérou, cette plante aurait des vertus miraculeuses. Elle serait en particulier capable de prolonger la vie. Selon la légende, la mixture fonctionnerait sur les habitants de Machalilla, ce parc naturel perdu au fin fond de l’Equateur, qui, grâce à elle, dépasseraient allègrement le cap des 100 ans. Elle n’a visiblement pas eu les mêmes effets sur l’ancien chef du gouvernement italien. Certes toujours en vie, Silvio Berlusconi n’aura pas pu prétendre pour autant à l’éternité politique. Et ce que ni les juges ni les électeurs n’auront réussi, ce sont ses artères qui l’ont accompli : elles l’ont envoyé à la retraite. Il faut dire que le milliardaire a accumulé les problèmes de santé depuis une bonne quinzaine d’années.
Les magistrats le pourchassent, son parti se déchire, le carré de ses derniers fidèles se divise et fond comme neige au soleil ; bref, tout se désagrège, et le corps du «beau Silvio» aussi. En fait, la lente descente dans l’enfer de la maladie a commencé dès 1997, avec un premier cancer, celui-là de la prostate. Puis le cœur s’est mis à donner des signes de faiblesse. Sans parler de l’uvéite, une inflammation de l’uvée, qui l’a obligé à jouer les colonels grecs en se promenant dans les couloirs du Sénat équipé d’une énorme paire de lunettes noires pour protéger ses yeux. Et, récemment, l’Alzheimer, certes au premier stade, mais le coup a été rude. Peut-être plus que la découverte de son cancer. Entre deux maladies, Silvio Berlusconi a multiplié les liftings, les implants pour lutter contre la calvitie, les blépharoplasties, les traitements – selon la rumeur – pour les troubles érectiles. Une course contre la montre qui transforme l’ancien chef du gouvernement italien en une sorte de vieille poupée au regard bridé et au visage inexpressif.
Résultat, Berlusconi n’est pas seulement d’occasion, il est devenu factice. Plus une seule pièce d’origine ! La principale raison d’être de tous ces rafistolages fut politique. Au pouvoir, ou avide de le reconquérir, Berlusconi devait renvoyer l’image d’un homme fort sur lequel le temps n’avait aucune emprise. Un raisonnement qui justifiait l’exhibitionnisme de sa vie privée. Son divorce explosif avec l’actrice Veronica Lario, comme l’affichage d’une impressionnante collection de jeunes maîtresses participaient de la même stratégie, celle visant à étaler sa virilité aux yeux de tous. Libido spectaculaire et richesse matérielle non moins impressionnante allaient donc de pair. Berlusconi devait en revanche cacher le plus longtemps possible les faiblesses de son corps. «Un homme politique a beaucoup d’adversaires prêts à profiter de ses faiblesses. Aussi, je n’ai rien dit…» confiait ainsi le milliardaire durant un entretien avec le quotidien romain La Repubblica, après que les médecins lui eurent diagnostiqué un cancer de la prostate. Comme tant d’autres hommes d’Etat avant lui, il lui fallait cacher ce mal.
Pour comprendre à quel point l’évolution de sa santé a gouverné l’aventure politique de Berlusconi, il faut remonter dix ans en arrière. A 2006, cette annus horribilis qu’il voudrait tant effacer. En avril de cette année-là, il est battu par le centre gauche lors des législatives. Et éjecté du pouvoir. Son adversaire, le très catholique et ex-président de la Commission européenne Romano Prodi, s’installe dans l’appartement de la présidence du Conseil. Le Cavaliere l’avait refait en 1994 après s’y être installé une première fois au lendemain de législatives victorieuses. Prodi est un homme de bon goût. Son sens de l’esthétique est heurté par le côté «vintage ringard» de l’appartement présidentiel revu et corrigé par son prédécesseur. L’empereur du bling-bling vit mal l’affront.
Six mois plus tard, alors que Berlusconi déprime d’être confiné dans une opposition stérile, les médecins lui annoncent que son cœur a des faiblesses et qu’il faut lui implanter un stimulateur cardiaque. Avant de partir pour Cleveland, aux Etats-Unis, où l’attend une équipe spécialisée, le Cavaliere fanfaronne encore. «Je pars m’amuser quelques jours à Las Vegas !» lance-t-il aux journalistes. Garder le secret et empêcher ses ennemis, mais aussi cette partie de son entourage qui rêve de lui arracher le timon de son parti, Forza Italia, de spéculer sur son état de santé et sur un avenir politique qui semble déjà compromis. Berlusconi s’acharnera à user des mêmes stratagèmes longtemps encore pour sauver la face.
A partir de 2009, revenu une fois encore au pouvoir, Silvio Berlusconi va cependant commencer à changer d’attitude. Il se met à répéter qu’il pourrait bien tout quitter, claquer la porte du monde politique et partir loin de cette Italie qui ne comprend rien à sa grandeur et ne mesure pas l’immensité du don qu’il lui a fait en lui offrant sa personne. «Je m’en vais, j’ai un magnifique voilier, le plus beau du monde, débrouillez-vous sans moi», menace le milliardaire dans ses moments noirs. Il ne met toutefois pas sa menace à exécution et finit toujours par rester…
A l’automne 2011, le président de la République, Giorgio Napolitano, se décide à demander à Berlusconi de démissionner, sa politique ayant conduit l’Italie au bord du gouffre financier. L’entourage de Silvio Berlusconi se désagrège aussitôt et son ancien dauphin et ministre de la Justice, Angelino Alfano, orchestre la scission. Le milliardaire n’est plus capable de séduire les foules, le voilà rattrapé par le poids des ans et, poussé à la retraite, Berlusconi continue de partager son temps entre ses magnifiques villas et quelques séjours dans la datcha de son grand ami Vladimir Poutine, pour se requinquer et parler du bon vieux temps. Il rêve encore de temps à autre que Forza Italia revienne bientôt au pouvoir, mais il sait que lui ne dormira plus jamais dans l’appartement officiel situé sous les toits du palais de la présidence du Conseil.
L’homme qui avait ressuscité la droite italienne l’a-t-il définitivement achevée ? Lorsqu’il remporta les élections législatives pour la première fois, en 1994, le leader bling-bling d’une droite déjà décomplexée avait réussi à rassembler des personnalités prestigieuses et libérales comme Sergio Berlinguer, cousin du dernier grand secrétaire du Parti communiste, Giuliano Urbani, élève du grand philosophe Norberto Bobbio, et Antonio Martino, fils d’un ancien président du Parlement européen dans les années 60, mais aussi les postfascistes de l’Alliance nationale et de la Ligue du Nord d’Umberto Bossi.
L’attelage aura duré moins de deux ans. Et malgré ses deux retours triomphaux au palais de la présidence du Conseil d’abord, en 2001 puis en 2008, malgré la réconciliation avec Umberto Bossi, redevenu son allié, l’homme d’affaires ne sera plus jamais capable de reconstituer une équipe prestigieuse et compétente. Incapable, comme l’actuel patron de la péninsule, Matteo Renzi, de partager vraiment le pouvoir. «Paradoxalement, durant toutes ses années au pouvoir, Silvio Berlusconi n’a pas agi comme un homme de droite. Il n’a pas fait de grandes privatisations. Il a toujours considéré son parti et le pouvoir comme des choses à lui, des investissements faits sur mesure pour arranger ses affaires», analyse Italo Bocchino, ancien proche de Silvio Berlusconi. Au fil des ans, le carré des fidèles s’est rétréci et la famille s’est défaite. Il y eut d’abord, en février 2008, la mort de «Mamma Rosa», la mère du milliardaire, qui lui avait toujours dit de ne pas abandonner les affaires pour toucher à la politique – «un monde impitoyable qui te dévorera», disait-elle.
Puis le divorce d’avec Veronica Lario, un scandale retentissant, l’épouse bafouée accusant publiquement son mari de fricoter avec des jeunesses. Le prélude au scandale «Rubygate», cette accusation d’avoir eu des relations sexuelles inappropriées avec une jeune Marocaine mineure, une affaire qui lui valut sept ans de prison pour abus de pouvoir et sollicitation de prostitution mineure, en première instance, mais un acquittement en appel et en cassation. Silvio Berlusconi survécut politiquement aux soirées bunga bunga – en clair, des orgies, affirme le procureur.
En 2013, il fut en revanche condamné à quatre ans de prison pour une affaire de transactions fictives de droits télévisuels de son groupe, Mediaset. Selon les magistrats, Silvio Berlusconi avait mis en place un mécanisme savant de fraude fiscale, constituant à l’étranger des caisses noires à hauteur de 280 millions d’euros. Au lieu de l’expédier dans un pénitencier, les magistrats ont décidé d’expédier le Cavaliere à… l’hospice. L’ex-président du Conseil, qui sait mieux se vendre que quiconque, avait réussi à transformer cette peine de travaux d’intérêt général purgée dans un hospice près de Milan en une magnifique opération de communication. Discutant avec des personnes âgées sur fond de musique d’accordéon, il apparut plus jeune et plus fringant que jamais.
Le dernier jour, quittant l’hospice, le milliardaire serrait encore des mains et embrassait les jeunes infirmières en faisant la propagande électorale de son parti. «Il faut voter pour moi, pour Forza Italia», susurrait le vieux chef déplumé, en clignant de l’œil. C’était en 2015. De fait, il n’est jamais vraiment sorti de la maison de retraite. Son parti en lambeaux, il fait partie de cette génération politique expédiée à la casse par Matteo Renzi. «Lorsque je l’ai vu en train de jouer avec son caniche Dudu comme un vieil homme pendant que son nouvel entourage complotait autour de lui, il m’a renvoyé l’image d’un vieux monsieur cassé», confie sous anonymat une sénatrice longtemps fidèle qui vient de le lâcher.
Son entourage se résume désormais à sa compagne, Francesca Pascale, une blonde plantureuse de tout juste 32 ans qui le mène à la baguette, et à la députée Mariarosaria Rossi, qui a réussi à évincer ses derniers fidèles. En politique aussi, il est un temps où les artifices finissent par céder. Les miracles de la chirurgie esthétique comme les manœuvres politiques ne suffisent plus à masquer la réalité. Le roi est nu, vieux, malade. Et seul. Ce que Silvio Berlusconi avait toujours voulu éviter.
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