Le candidat Donald Trump est parvenu à se hisser jusqu’à l’investiture républicaine pour la présidentielle américaine à grands renforts de « punchlines » discriminantes et insultantes. L’ascension d’une telle personnalité serait-elle possible en France ? Éléments de réponses avec Nicole Bacharan, spécialiste de la société américaine.
Si les médias en France ont dans leur majorité choisi le camp anti-Trump, des interrogations persistent : qui sont ces Américains qui soutiennent le candidat républicain et comment peuvent-ils cautionner son ascension ? Pourrait-on voir débarquer un tel personnage sur la scène politique française ? Nicole Bacharan, spécialiste de la société américaine et des relations franco-américaines, chercheur associé à la Fondation Nationale des Sciences Politiques, décrypte pour Marianne le « phénomène Trump ».
Marianne : Quels sont les facteurs qui ont permis la montée de Donald Trump aux Etats-Unis?
Nicole Bacharan : Les conditions sont d’abord à aller chercher dans l’Histoire. Dans les années 1960, le parti républicain a développé une stratégie sudiste visant à conquérir l’électorat le plus conservateur du sud des Etats-Unis. C’est ainsi que les états centraux ou proches de la frontière mexicaine, courtisés par le Grand Old Party, ont commencé à voter républicain. En 1981, l’élection de Reagan, qui prônait le conservatisme social, a été déterminante : une majorité des habitants du Sud se sont ralliés à sa cause, abandonnant le parti démocrate. Dans les deux dernières décennies, certains républicains ont développé une politique d’extrême droite destinée à capter ceux que certains outre-Atlantique appellent « les petits blancs ». Ce groupe rassemble l’électorat raciste et ceux qui se sentent délaissés par les politiques sociales démocrates. Donald Trump est issu de cette mouvance républicaine qui est apparue sur le tard.
Ses électeurs sont déçus des politiques démocrates, de cette élite bien pensante qui leur a promis une hausse du salaire minimum, la conservation de valeurs traditionnelles mais qui a failli à sa mission en allant courtiser la population métissée. Ainsi, par la particularité réactionnaire et anti-immigration de ses politiques, Donald Trump représente une troisième voie pour ceux qui ont été mis au rebut sur l’échiquier politique. Il surfe sur la vague des « ras-le-bol ».
« Marine Le Pen partage avec Trump une nostalgie du passé où les moeurs sociales étaient plus conventionnelles »
Les idées et les politiques soutenues par Donald Trump pourraient-elles être celles d’un politique français?
Bien qu’en France, l’Histoire ne soit pas la même et que la montée actuelle du conservatisme et de l’extrême droite soit liée très étroitement à la crise économique de 2008, des idées similaires à celle du candidat américain ont émergé. Les politiques conservatrices sur l’avortement, les migrants et l’Europe du Front National présentent ainsi des ressemblances avec celles prévues par Donald Trump concernant les Mexicains ou les musulmans, le TTIP et les règles sociales. Marine Le Pen défend des valeurs et un retour à la défunte « grandeur française », ce qui rappelle le slogan de la campagne de Donald Trump : « Make america great again ». Ils partagent cette nostalgie d’un passé où les moeurs sociales étaient plus conventionnelles.
Comment se fait-il que le comportement provocateur et tapageur de Trump soit accepté aux Etats-Unis ?
Donald Trump était peu célèbre du temps où il n’était « qu’un » homme d’affaires. Il a acquis sa notoriété grâce à l’émission The Apprentice, qu’il a animée pendant 11 ans. Il a basculé très vite dans la politique. Aux Etats-Unis, le public raffole du mélange des genres entre politique et divertissement. Le TV show rencontre le meeting politique dans la course à l’audimat. Si la majorité des Américains demeure choquée par les excès du candidat républicain, le rejet du politiquement correct est aussi très fort, ce qui explique la frénésie autour de Trump. Toutefois son one man show semble avoir atteint sa limite, le candidat a été récemment renié par beaucoup de ses anciens support, car « trop c’est trop ».
Serait-il possible de voir émerger un personnage aussi caricatural sur la scène publique française?
En France, le divertissement politique reste limité à quelques émissions. La politique est un sujet sérieux. L’intérêt pour la politique est fort, et la désaffection pour les politiques également. La personnalisation politique est donc amoindrie, je ne pense pas qu’un personnage tel que Donald Trump puisse voir le jour en France, il n’y a pas de demande du public à ce niveau. Si la politique est un sujet sérieux, les candidats politiques doivent l’être tout autant, le politiquement correct n’est pas une notion désuète.
Toutefois, les outsiders –personnes qui sont entrées en politique sans expérience du milieu, tels que Donald Trump qui travaillait auparavant dans l’immobilier- se sont déjà vus. Coluche par exemple, dans un sens plus positif que Donald Trump, entretenait l’art du burlesque qu’il avait travaillé en tant qu’humoriste et l’insérait dans la politique, mais il n’était pas grotesque ou insultant. Si la France ne recèle que peu d’exemples de politiques-people, la sphère publique italienne en a enfanté quelques uns. Berlusconi conservait ainsi un rapport étroit avec les médias afin d’entretenir une image de l’homme imposant, autoritaire, grossier et …brutal. Beppe Grillo, à l’opposé sur la scène politique, joue dans cette même catégorie. »
>> Nicole Bacharan a publié Du sexe en Amérique. Une autre histoire des États-Unis., éd. Robert Laffont, 448 p.,22 €.
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