En Syrie, Manbij libérée de Daech

Après deux mois de combats intenses, les Forces démocratiques syriennes, dominées par les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), viennent ce 12 août de libérer Manbij, ville clef située au nord de la Syrie. Une perte lourde de conséquences pour le « califat ». Reportage.

>> Ce reportage a été réalisé et publié dans Marianne deux semaines avant la chute de Manjib ce vendredi, alors que les combattants de l’EI étaient déjà encerclés par les forces kurdes.

Dans le nord de la Syrie, après la bataille de Kobané, conquis par Daech puis libéré en 2015, voici celle de Manbij, situé dans le gouvernorat d’Alep. Cent mille habitants avant le conflit, on ne sait combien aujourd’hui. Les acteurs de la tragédie sont à peu près les mêmes : d’un côté, les djihadistes de l’Etat islamique (EI) ; de l’autre, les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG). Si ces dernières l’emportent, cette fois Daech y perdra plus qu’une simple place forte. Après huit semaines d’offensive, les combattants des FDS sont parvenus à encercler leurs ennemis, lesquels s’arc-boutent encore dans quelques poches de résistance de la vieille ville. L’affrontement à huis clos n’épargne pas les civils, utilisés par les djihadistes comme boucliers humains afin de dissuader les frappes de la coalition internationale conduite par les Etats-Unis.

les civils sont utilisés par les djihadistes comme boucliers humains« Small London » par les membres de Daech en raison de la présence massive de recrues britanniques, Manbij contitue d’être une plaque tournante pour le « califat» . Un de ses poumons économiques et stratégiques. Passée sous son contrôle en décembre 2014, la ville n’a depuis cessé d’accueillir des djihadistes de toutes nationalités. C’est ici également que transitent armes et munitions, ou encore le pétrole et les antiquités vendus en contrebande en Turquie, à une petite trentaine de kilomètres. Les ateliers d’explosifs abandonnés par les fuyards y sont autant de preuves accablantes de la porosité de la frontière de la Turquie avec les territoires sous emprise de l’EI alors qu’à l’inverse elle reste hermétiquement close avec ceux sous contrôle kurde. Dans ces manufactures, les ingrédients utilisés pour la confection des bombes, notamment les sacs d’engrais de 50 kg, présents en quantité astronomique, proviennent de la ville de Mersin, en Turquie…

Totalement assiégée depuis le début du mois de juillet, Manjib ressemble de plus en plus à un Stalingrad syrien où les journées s’écoulent au rythme des tirs de snipers, de mortiers ou des explosions de mines artisanales. Dans la chaleur accablante de l’été moyen-oriental, les rues ravagées par les affrontements affichent encore les stigmates du règne de l’EI. Les drapeaux noirs frappés du sceau de Daech n’ont pas encore été enlevés ou recouverts. Ici et là, des cadavres des fous d’Allah pourrissent sous le soleil. « Notre avancée est ralentie par la présence massive de civils, des mines et explosifs que les djihadistes ont disséminés un peu partout », explique Ahmad Mohamad, membre des FDS.

Lesdits civils se comptent par milliers et ont été déplacés par Daech au gré des combats. Chaque jour, plusieurs centaines d’entre eux parviennent à atteindre les lignes des FDS au péril de leur vie, les djihadistes n’hésitant pas à tirer comme des lapins ceux qui tentent de fuir, les qualifiant de kouffar (« infidèles »). Pour ceux qui s’en tirent avec des blessures, le salut est à 60 km au nord-est, à l’hôpital de Kobané. Dans une chambre au sol taché de sang, Leila y est allongée avec ses deux fils. « Quand nous nous sommes échappés de Manbij, il y a cinq jours, avec une quarantaine de personnes, les hommes de Daech nous ont mitraillés. Mon mari a sauté sur une mine, il est mort sur le coup et mes deux enfants ont été touchés. » Atteint à une main, son fils cadet a été amputé de deux doigts.

Dans la ville d’Abu Qalqal, située a 10 km de Manbij, les gens survivent comme ils le peuvent. Réfugiée dans un garage, Chamca Mohamed, une femme de 56 ans, est assise en tailleur, entourée de ses enfants. « Grâce à Dieu, nous avons réussi à partir. Nous n’avions plus rien à manger depuis le début du ramadan, uniquement de la mâche ! » Son jeune fils de 12 ans s’empare d’un briquet et brûle des tissus noirs sous les youyous des femmes. « C’est les niqabs que ma mère et mes sœurs ont été contraintes de porter depuis trois ans», dit-il fièrement.

L’enjeu du Kurdistan

Manjib est peuplé essentiellement d’Arabes sunnites et d’une minorité kurde représentant environ 25 % de la population. Les premiers ne voient pas forcément d’un très bon œil le projet kurde, inspiré de l’idéologie laïque et multiethnique d’Abdullah Ocalan, leader du PKK incarcéré en Turquie sur l’île-prison d’Imrali depuis 1999. Grâce à la connexion du canton de Kobané à celui d’Afrin, le cauchemar d’Erdogan y prend peu à peu forme : l’ancrage durable d’un Kurdistan syrien autonome le long de sa frontière. Si Manjib et Al-Bab tombent, l’EI serait ainsi privé de ses dernières bases avancées vers la Turquie. Plus qu’une simple perte ponctuelle, peut-être le début de la fin du « califat » en Syrie. Pour les Kurdes des Unités de protection du peuple, la prise de la ville constituerait à l’inverse un pas de plus vers la continuité territoriale entre les trois cantons du Rojava-Djézireh, Kobané et Afrin actuellement séparés des territoires kurdes par une zone de 65 km toujours aux mains de l’EI. Pour combien de temps encore ?

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply