Des candidats à la primaire de droite, une ancienne ministre sarkoziste en quête de rédemption, mais aussi un président socialiste, un ex-Premier ministre incognito et même un vice-président du Front national. Quarante-six ans après sa mort, le général de Gaulle s’affirme comme le repère de toute une classe politique déboussolée, qui vient s’incliner devant sa sépulture et se presse dans son ancienne résidence, la Boisserie.
Il n’a pas retiré ses lunettes de soleil de toute la visite, n’a pas donné son nom, mais, ici, dans l’ancienne résidence du général de Gaulle, on a l’habitude des hommes d’Etat, et tout le monde l’a reconnu. En août dernier, ce touriste au visage familier est venu prendre son ticket au guichet du musée de la Boisserie, à l’entrée du village. Très discret, il a quand même accepté de confier son département de résidence à la guichetière : «44». Un Nantais. C’est bien lui, Jean-Marc Ayrault. Premier ministre un an plus tôt, pas encore ministre des Affaires étrangères, il vient, incognito, dans l’ancienne demeure du général de Gaulle, aujourd’hui propriété de son petit-fils Yves. L’ex de Matignon repart, aussitôt la visite terminée, au volant de son fameux combi Volkswagen, sa femme à ses côtés. La responsable du musée de la Boisserie en conserve un souvenir admiratif : «C’est très gaullien, cette façon de venir sans dire qui il est, de payer son ticket. Souvenez-vous que le Général payait lui-même l’électricité à l’Elysée…» Une discrétion qui dénote en 2016, tant les membres de la classe politique n’en finissent pas de revendiquer à cor et à cri une filiation avec de Gaulle.
Jean-Marc Ayrault n’est pas le seul socialiste à avoir passé une tête dans ce salon où se trouve toujours la petite table au revêtement de feutre vert devant laquelle l’ancien président a trouvé la mort. En janvier 2015, quelques jours après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, Bernard Cazeneuve trouve le temps de faire un crochet à Colombey-les-Deux-Eglises. Accompagné de ses officiers de sécurité, le ministre de l’Intérieur dégage une petite heure de son agenda après ses vœux aux forces de l’ordre, à Chaumont, pour se recueillir sur la tombe du Général. La visite a tellement plu au premier flic de France qu’un autre socialiste fait son apparition, quelques mois plus tard, sur les conseils avisés de Cazeneuve : Hubert Védrine. Héritiers de François Mitterrand – l’auteur du pamphlet antigaulliste le Coup d’Etat permanent -, les socialistes d’aujourd’hui partagent désormais ce mot d’ordre : «Tous à Colombey».
Même François Hollande a fini par s’y rendre. C’était en juin dernier. «C’est mon rêve de venir un jour», avait confié François Hollande à Yves de Gaulle. Le petit-fils de l’ancien président, qui connaît l’actuel chef de l’Etat depuis qu’ils étaient jeunes magistrats à la Cour des comptes, avait promis à son ancien camarade de l’accompagner devant la petite stèle blanche sous laquelle repose le Général. Yves de Gaulle cite Chateaubriand : «Aux petits hommes des mausolées, aux grands hommes une pierre et un nom.» Il se souvient du visage grave de François Hollande : «Je l’ai senti ému.» Au sortir du cimetière, ce chef de l’Etat connu pour son flegme a même été accueilli par une petite chorale d’enfants qui entonnaient la Marseillaise. Miracle chez le Général ! Le chef de l’Etat, contesté sur sa gauche, détesté sur sa droite, donné pour responsable d’un climat politique irrespirable, trouve un peu de réconfort dans un chœur d’écoliers du coin : «J’ai compris dans son regard qu’il ne s’attendait pas à un tel accueil. Colombey est une terre sanctuarisée, au-dessus de tous les partis politiques.» Même émotion présidentielle lorsque Yves de Gaulle lui fait visiter la Boisserie et sa bibliothèque rudimentaire : «Il s’est rendu compte, physiquement, de ce qu’étaient la simplicité des lieux, l’atmosphère.»
Si la visite de François Hollande a été largement commentée dans la presse, de nombreux élus et officiels viennent à Colombey comme d’autres vont ailleurs en pèlerinage. Le 13 novembre dernier, quelques heures avant les attentats parisiens, c’est Bernadette Chirac qui s’est rendue sur place. Accompagnée de deux de ses gorilles, elle a joué la carte de la discrétion.
Pas comme une native de la région, venue se recueillir sur cette même tombe, samedi 3 octobre dernier vers 22 heures. Il fait nuit noire lorsque Nadine Morano sort de sa voiture. L’ancienne ministre sarkoziste est alors au centre d’une polémique retentissante, après avoir ressorti des cartons une phrase attribuée à de Gaulle selon laquelle la France serait «un pays de race blanche». Menacée de perdre sa tête de liste aux régionales, celle-ci s’accroche au Général comme à une bouée de sauvetage. Le lendemain, les habitants de Colombey rient sous cape : venir ici en pleine nuit, un samedi soir, et publier aussitôt la photo sur les réseaux sociaux… La ficelle est grosse !
La récupération, les habitants de Colombey en ont l’habitude. A l’époque, François Mitterrand était interdit d’accès au village. Valéry Giscard d’Estaing, lui, a essuyé des sifflets lorsqu’il s’est rendu sur la tombe du Général. Plus récemment, Anne Hidalgo a elle aussi été chahutée lorsqu’elle est venue représenter la ville de Paris, compagnon de la Libération, le 9 novembre 2014 à Colombey : la première adjointe de Delanoë était alors candidate à la Mairie de Paris. Et, à Colombey, on ne goûte guère le mélange des genres…
La récupération, les habitants de Colombey en ont l’habitude
Plus tendue encore fut la première visite de Florian Philippot, en 2012. Le député européen, vice-président d’un parti autrefois violemment antigaulliste, répète à qui veut l’entendre son attachement à l’héritage du Général. C’est par des huées qu’il est accueilli lorsqu’il vient fleurir la tombe de De Gaulle. Depuis, l’atmosphère a changé. A Colombey, les habitants ont d’ailleurs voté à plus de 40 % pour le vice-président du Front national lors des dernières élections régionales. Et, lorsque Philippot se rend sur la sépulture du Général, ce ne sont plus les habitants qui l’en empêchent, mais les gendarmes. Un complot au sommet de l’Etat, comme l’a suggéré le candidat FN le 9 novembre dernier ? Non, un ordre de la préfecture : ni Philippot ni quiconque n’étaient alors autorisés à pénétrer dans le cimetière avant la fin de la cérémonie officielle devant la croix de Lorraine, à quelques mètres de là.
A la différence de beaucoup de représentants politiques, Florian Philippot ne s’est jamais arrêté à La Table du Général. Le patron, Gérard Natali, porte les cheveux blancs en arrière et ne fait pas mystère de son admiration pour celui qui a élu domicile à Colombey en 1934 et dont il a porté le cercueil en 1970. Ils sont nombreux à être déjà venus, et il est plus simple pour le chef de dresser la liste de ceux qu’il n’a jamais vus ici : «Bayrou et Montebourg.» Le centriste et le socialiste font pourtant parfois assaut de gaullisme lorsque les circonstances s’y prêtent.
Parmi les plus assidus, Natali cite Bruno Le Maire, Alain Juppé et, bien sûr, Nicolas Sarkozy. «C’est le plus gaulliste de tous», assure le restaurateur à propos de l’ancien président, venu pour la première fois à Colombey après avoir été élu député, en 1988. On sent un attachement tout particulier pour Sarkozy, mais c’est lorsqu’il parle de Jacques Chirac, le plus assidu, présent chaque année jusqu’en 2012 que le visage Gérard Natali s’éclaire : ce Colombéen de naissance raconte tout sourire une visite de Chirac après son élection, en 1995. Le chef de l’Etat défie alors la sécurité pour se cacher dans l’auberge. Panique à l’Elysée. Pendant ce temps-là, le président déguste une gigue de chevreuil en compagnie de Philippe de Gaulle et de leurs épouses respectives. Il est minuit lorsque l’adjudant-chef de la gendarmerie, au lit, reçoit le coup de fil du restaurateur : «Désolé de vous déranger, mais je dois vous prévenir que je suis actuellement à l’auberge avec Jacques Chirac.» Les gendarmes rappliquent immédiatement et Jacques Chirac est escorté jusqu’à la Boisserie. Content de lui, il passera la nuit dans une des chambres de la demeure de son illustre prédécesseur…
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