Le cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris, était censé rendre hommage au père Jacques Hamel, assassiné en pleine messe par deux terroristes le 26 juillet dernier, devant toute la République, sous les voûtes de Notre-Dame. Au lieu de cela, il a sauté sur l’occasion pour dénoncer « le silence des élites devant les déviances des mœurs et la légalisation de ces déviances ». Une référence à peine voilée à la loi républicaine établissant le mariage pour tous. Comme si l’obscène détournement du supplice du père Hamel à des fins idéologico-politiques ainsi que le font tous les identitarismes religieux du monde était devenu en France la chose la plus naturelle…
Ce mercredi 27 juillet, toute la République était présente dans un souci d’unité nationale sous les voûtes gothiques de Notre-Dame. Un air de concorde flottait. C’était insupportable pour le cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris, qui lâcha une telle flatulence qu’elle empuantit l’atmosphère. Curieusement, celle-là n’indisposa personne, ni François Hollande, ni Claude Bartolone qui trouva le discours à son goût, ni plus tard Benoît Hamon qui souligna la force de l’homélie. Quand André Vingt-Trois s’aventura sur le terrain glissant de la politique, le péché pas mignon de bon nombre de « tradismatiques », s’emportant contre « le silence des élites devant les déviances des mœurs et la légalisation de ces déviances », visant explicitement la loi républicaine établissant le mariage pour tous, ces dites élites restèrent muettes.
Un mutisme total, comme si l’obscène détournement du supplice du père Hamel à des fins idéologico-politiques ainsi que le font tous les identitarismes religieux du monde était devenu en France la chose la plus naturelle du monde. A part ça, comme le dira plus tard l’archevêque de Rouen, Dominique Lebrun, « nous sommes au bout du modèle de la laïcité »*. Bon sang, mais c’est bien sûr !
Le déviant, c’est toujours l’autre. Une petite leçon de théologie ne peut pas nuire à un archevêque, fût-il un abbé de cour. Le cardinal André Vingt-Trois, qui a l’esprit de Torquemada sans le souffle de Bossuet, devrait donc savoir que, pour un catholique orthodoxe, le catholique romain qu’il est demeure par nature sinon par essence déviant, forcément déviant, puisqu’il s’est éloigné, notamment depuis le schisme de 1054, de la bonne voie, de la voie droite qu’est l’orthodoxie (du grec orthos, « droit », et doxa, « opinion »). S’il était revenu dans la voie de l’orthodoxie, il connaîtrait la différence fondamentale entre ce qui relève du temps de Dieu et du temps des humains, et combien l’Eglise s’égare lorsqu’elle intervient ex abrupto dans cette seconde temporalité.
Mais c’est aller un peu trop loin, ne mettons pas en ébullition le cerveau de ce pauvre archevêque qui préfère penser en fonction d’une logique binaire et ce fumeux concept lacano-catholique d’ordre moral divaguant autour du « Au nom du père ». S’il avait été dans la voie droite et non dans la déviance, le cardinal Vingt-Trois se serait opportunément souvenu qu’en théorie pour le christianisme Dieu aime tous les hommes malgré tout et au-delà de tout. Son job, comme on dit aujourd’hui quand on parle de religion, est de ne pas conduire l’homme vers la désespérance. Reconnaissons que sur ce coup-là, c’est plutôt raté. Que l’islamisme soit le défi majeur de ces sombres temps ne doit pas nous faire oublier combien toutes les religions portent en elles le fanatisme et l’exclusion.
Reconnaissons aussi que l’ancien vicaire de la paroisse Sainte-Jeanne-de-Chantal, dans le XVIe arrondissement de Paris, n’en est pas à son coup d’essai. Dans la grande émission de Radio Notre-Dame, « Face aux chrétiens », le 6 novembre 2008, le cardinal est interrogé sur la question de la présence des femmes dans la célébration de la messe, sujet éminemment complexe pour le catholicisme qui donne lieu à de savants débats. L’empourpré répond : « Ce qui est plus difficile, c’est d’avoir des femmes qui soient formées ; le tout, ce n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête. » Face au tollé provoqué par cette déclaration, l’archevêque de Paris concédera « une maladresse ». Là encore, les personnes visées avaient mal interprété les propos de l’éminence.
C’est assurément grande pitié que de voir l’Eglise de France retourner à ses vieux démons. C’est-à-dire à cette confession qui édifiait la basilique choucroutée de Montmartre afin de reconnaître les crimes passés des Français, justement châtiés par la débâcle de 1870, et dont les ouailles défilaient en chantant « Sauvez, sauvez la France au nom du Sacré-Cœur ».
Si être déviant, c’est refuser de revenir avec un billet aller simple au XIXe siècle, vive la déviance ! Si être déviant, c’est refuser le sexisme, l’homophobie, la misogynie, vive la déviance ! Si être déviant, c’est refuser que l’on jette l’héritage de la révolution de 1789 et la philosophie des Lumières avec le grand bain de Mai 68, comme le souhaitait le cardinal Lustiger, parrain d’André Vingt-Trois, alors vive la déviance ! Si être déviant, c’est ne pas accepter que la solution à l’islamisme soit de revenir sous le joug de l’obscurantisme chrétien qui nous dévide comme un chapelet que Dieu est amour quand les prêtres n’ont en tête que de discriminer, de pointer, de dénoncer ceux qui ne communient pas dans leur impossible dialogue avec leur ami imaginaire, vive la déviance !
Que l’islamisme soit le défi majeur de ces sombres temps ne doit pas, ne peut pas, ne suffit pas à nous faire oublier combien les religions, toutes les religions, portent en elles le fanatisme et l’exclusion.
Juste une question : qu’adviendrait-il si d’aventure les Eglises catholiques retrouvaient le pouvoir qu’elles ont perdu en Occident ? Est-on persuadé qu’elles demeureraient ouvertes et tolérantes à jamais quand on voit la manière dont elles se comportent dans les pays en développement ? Avons-nous la mémoire si courte pour oublier l’opposition acharnée du Vatican et du cardinal de Recife à l’avortement d’une fillette brésilienne de 9 ans violée par son beau-père ? Et ces paroles du cardinal : « La loi de Dieu est au-dessus de la loi des hommes »… Je l’ai déjà écrit, mais je le constate si souvent : quel dommage que Maurice Clavel ne soit plus parmi nous. Comment il botterait le derrière à tous ces cardinaux ! En toute miséricorde.
*Paris Normandie du 31 juillet 2016.
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