Classer l'affaire Barbarin sans suite, c'est comme dire "silence, on gère en famille, tout va bien"

Le président de l’association La Parole Libérée, François Devaux, 37 ans, revient pour « Marianne » sur le classement sans suite de l’enquête préliminaire qui visait le cardinal Barbarin, à Lyon, accusé de ne pas avoir dénoncé d’anciens faits de pédophilie dont il avait pourtant, selon son propre aveu, connaissance. Pour lui, victime présumée du père Bernard Preynat pendant ses années de scoutisme, et dont l’action a été à l’origine de l’affaire l’automne dernier, cette décision revient à « refermer le couvercle » alors que l’enquête ne fait que commencer, voire à conforter le système…

Marianne : L’enquête préliminaire pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs et mise en danger qui visait le cardinal Barbarin a été classée sans suite. Qu’envisagez-vous désormais ?

François Devaux : Nous envisageons un dépôt de plainte avec constitution de partie civile, cela obligera le parquet à instruire le dossier et à saisir un juge d’instruction. Mais dans l’éventualité où cette nouvelle démarche serait rejetée, je réfléchis sérieusement à retirer ma plainte contre le père Preynat. Parce que notre démarche, on ne l’a pas faite pour obtenir une condamnation, une réparation ou une reconnaissance de notre statut de victime, on l’a faite pour mettre fin à un déni. C’était l’objectif premier de l’association, de faire en sorte que cette affaire de pédophilie soit si possible l’une des dernières, que l’on cesse de laisser des enfants au contact de quelqu’un que l’on sait pédophile.

« On n’a pas fait ça pour obtenir une condamnation mais pour mettre fin au déni »

Pour motiver sa décision, le parquet explique notamment qu’il y a prescription. Qu’en pensez-vous ?

François Devaux : Avec la prescription, le procureur signifie que cela fait plus de trois ans que les personnes concernées ont suffisamment d’informations sur les faits, en l’occurrence que le diocèse de Lyon était bien au courant des éléments dès 2007-2009. Ils n’ont pas la date précise parce qu’il y a des incohérences dans les dates des uns et des autres. C’est bien pour ça que ça aurait été intéressant d’instruire, pour savoir la vérité. Après, la justice n’a pas pour fonction de définir la morale, le procureur a une lecture qui est purement judiciaire et technique ; selon la loi dans notre pays il y a prescription. C’est regrettable.

 

Pour le procureur, il n’y a pas non plus eu de mise en danger par le cardinal Barbarin, dans la mesure où le danger n’était pas imminent, aucune victime ne s’étant (à ce jour) manifesté depuis 1991. Comment interprétez-vous ce dernier point ?

François Devaux : Sur la mise en danger d’autrui, le parquet balaie le danger alors que l’enquête dans le dossier Preynat n’est pas complètement terminée. Certains éléments dans le dossier Preynat sont remontés récemment, juste avant l’été. L’après 1991 n’est pas forcément écarté pour le moment.

 

Quelles conséquences peut avoir la décision du parquet sur de potentielles nouvelles victimes, sur l’Eglise ?

François Devaux : Cette décision ne va pas aider d’éventuelles nouvelles victimes à parler. Tous les gens qui se sont rapprochés de notre association, ce ne sont pas des enfants de 15 ans, ni de 25 ans, ce sont que des personnes qui ont au minimum 35 ans et plus. Parce qu’un gamin de 15-20 ans ne pense qu’à oublier, alors que quelqu’un de 45 ans ne pense qu’à assumer ce qu’il est. Or, les éventuelles victimes d’après 91 ont moins de trente ans aujourd’hui. Cette décision leur envoie un signal très fort ainsi qu’à l’Eglise. Elle leur dit : « Surtout messieurs les évêques ne changez rien à vos procédures, il faut continuer à fonctionner comme ça. Silence. Omerta. On gère en famille, tout va bien, on a la loi pour nous.«  Alors qu’on était justement en train de changer un peu l’image des victimes, d’essayer de transférer la honte de camp, qu’on commençait à y arriver un peu, et là c’est vraiment le couvercle qui revient. Mais ces sept mois ont permis d’avancer, le sujet a été évoqué dans à peu près tous les foyers de France. Avant, on disait : « Non c’est pas vrai, un prêtre ne peut pas faire ces choses là. » Aujourd’hui on commence à dire que c’est bien possible et même qu’il y a un vrai problème par rapport à ça.

 

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply