Pourquoi Tareq Oubrou, l’imam de Bordeaux, est-il devenu la référence musulmane d’Alain Juppé ? Pourquoi de si nombreux responsables politiques le montrent-ils en exemple d’un islam de France idéal, qui trouve dans le Coran les raisons de se fondre dans la République ? Pourquoi, s’il est aussi parfait, son audience est-elle si faible au sein des musulmans de France, qui lui préfèrent d’autres personnalités et d’autres discours ? Il répond à ces questions pour « Marianne ».
Marianne : Depuis quelques mois, vous êtes l’imam fétiche des responsables politiques. En quoi un théologien d’origine marocaine peut-il aider à réparer la République française?
Tareq Oubrou : Je suis un Français, engagé au service de sa Nation. La France, c’est un projet, et le modèle républicain, un fondement philosophique auquel peut adhérer un Marocain de naissance, qui pratique l’islam et qui a choisi de s’établir ici depuis presque 20 ans. Rappeler chacun à ses origines enferme les individus dans une identité virtuelle. Citoyen et théologien, je travaille sur la sécularisation de l’islam. En tant qu’imam, je suis un catalyseur de paix. Aux musulmans comme aux non-musulmans, j’explique la complexité d’une spiritualité qui s’exprime de manière différente en fonction des époques et des modèles politiques.
« En tant qu’imam, je suis un catalyseur de paix »
Vous lisez le Coran comme un livre qui prêche l’amour, la paix et même l’égalité des sexes, mais, hic et nunc, certains Français trouvent dans l’islam la justification du terrorisme…
Le tueur de Nice a-t-il consulté le Coran avant d’écraser 84 personnes, lui qui a été vu ivre mort pendant le ramadan ? Les musulmans sont traversés par des frustrations sociales et culturelles communes à tous les citoyens. Penser que le Coran légitime la violence, ce serait trop simple. La foi ne peut s’épanouir dans la violence. Le rôle que je me suis assigné est de donner de l’islam une identité ouverte, pour un avenir meilleur, et de trouver la fréquence communicationnelle pour diffuser cette lecture.
Votre mère enseignait le français et, vous, la foi. Pour la République, néanmoins, faut-il plus d’écoles et de professeurs ou plus de mosquées et d’imams ?
Depuis les années 70, « le monde est furieusement religieux« , selon la formule de Peter Berger. La France, qui était le pays le plus sécularisé d’un continent plus sécularisé que tous les autres, n’est pas épargnée par ce mouvement. Pour moi, c’est un danger, car ce retour de la religion se dispense de la médiation des institutions religieuses. La religion peut donner un équilibre personnel, mais porte également des germes de conflit. Le rôle des docteurs de la foi est donner les clés pour sortir de la religion. Pas favoriser l’évanouissement de la foi, naturellement, ni même séparer les églises et l’Etat, car cette tâche relève du politique. Mais séparer les ordres, le spirituel et le temporel. La laïcité à la française est une forme de sécularisation possible. En Inde ou dans le monde anglo-saxon, il en existe d’autres. Ce qui importe, c’est que le besoin de spiritualité ne soit pas instrumentalisé par des forces politiques ou économiques, à l’instar de Daesh.
« La religion peut donner un équilibre personnel, mais porte également des germes de conflit »
Les prêcheurs qui ont la cote sur YouTube ont une lecture d’affirmation identitaire opposée à la vôtre. Malgré les faibles tirages de vos livres, vous affirmez pourtant exprimer un point de vue majoritaire…
Les minorités agissantes dirigent le monde, c’est connu. Ce sont elles qui font le buzz, parce qu’elles jouent de l’émotion, mais dans la pratique, la majorité des musulmans vivent la foi dans leur cœur et pratiquent un islam invisible. Moi, je ne suis pas un syndicaliste, prêt à défendre n’importe quel musulman. Je ne suis pas un politique, qui cherche à faire chauffer les foules. Mon rôle est de calmer, de calmer les musulmans et aussi les non-musulmans de notre pays. Par exemple, ce n’est pas l’islamophobie qui m’intéresse, ce sont les causes de l’islamophobie.
Salafisme, extrêmisme, la double radicalisation est là. Y a-t-il une marche arrière ?
Les politiques doivent tirer les leçons des effets du communautarisme. Certaines politiques ont isolé les musulmans des autres citoyens, comme s’ils étaient en transit sur le territoire français, pour en faire des clientèles électorales. Faut-il être aveugle pour persister dans cette voie alors que l’immigration d’origine musulmane se sent déjà en marge, scolairement, économiquement, géographiquement, et ressent les frustrations de toutes sortes ? Quant à l’islam, il doit trouver les voies d’une refondation théologique, car la mondialisation et aux progrès technologiques ébranlent ses fidèles comme tous les autres humains. De cette fièvre sociétale qui le dépasse, il se trouve que l’islam peut être un facteur aggravant. Il est d’autant plus crucial et urgent que nous, les docteurs de la foi, concevions une religion qui permette aux musulmans de se situer dans le monde nouveau.
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