"Cesser nos interventions militaires ne fera pas disparaître le terrorisme"

Les attentats revendiqués par le groupe Etat islamique sur le sol français sont-ils des représailles contre les frappes occidentales sur le territoire du prétendu califat ? Pour le politologue Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, il ne faut pas tomber dans ce piège tendu par la propagande djihadiste.

Marianne : Les attentats perpétrés en France par le groupe Etat islamique sont-ils des représailles aux frappes militaires sur son territoire ?

Bruno Tertrais : Je pense que le lien de causalité est extrêmement ténu. Je rappelle que bien des pays frappés par l’Etat islamique ne participent à aucune intervention militaire. Et l’EI vient encore d’affirmer explicitement dans son magazine Dabiq que même si la France cessait de frapper l’Irak et la Syrie, elle continuerait d’être une cible prioritaire. En revanche, le lien de causalité avec les interventions militaires n’est pas totalement inexistant dans la mesure où la recrudescence des actes de terrorisme en Europe est probablement le signe de l’affaiblissement de Daech sur le terrain. Les analystes s’accordent à dire qu’un tournant a eu lieu ces derniers mois : l’instruction a été donnée de frapper particulièrement les pays européens, y compris ceux qui participent à la coalition internationale, mais pas seulement.

Certains terroristes, dont ceux du Bataclan, ont pourtant affirmé qu’ils agissaient en réponse aux frappes françaises en Syrie…

Oui, mais cette soi-disant motivation n’apparaissait qu’en troisième et dernière position dans le communiqué publié par Daech après les attentats du 13 novembre. Que Daech cherche à mettre certains actes terroristes sur le dos des interventions militaires occidentales, cela n’a rien de surprenant. C’est encore une tentative de nous affaiblir et de pousser l’opinion publique à faire pression pour la fin des interventions.

Que vous inspirent des analyses comme celles d’un Michel Onfray, pour qui la France paie sa « politique agressive à l’endroit des pays musulmans » ?

Les analyses de Michel Onfray ne m’ont jamais frappé par leur profondeur et leur finesse géopolitique… Plus sérieusement, j’attends encore une démonstration convaincante, car personne ne l’a faite à ma connaissance. Que les frappes militaires dans des pays musulmans puissent générer du ressentiment parmi les populations civiles, dès lors que celles-ci sont touchées par accident, c’est probable. Mais cela ne permet pas d’affirmer qu’il y a un lien direct, comme certains le prétendent. Rappelons que depuis 2011, l’opposition syrienne a au contraire réclamé à la communauté internationale des actions militaires plus importantes. Enfin, dans nombre d’interventions françaises depuis 25 ans, à commencer par la guerre du Golfe et le Kosovo dans les années 90, il s’agissait de protéger des populations musulmanes bien davantage que de les attaquer.

« S’imagine-t-on qu’en laissant Daech se développer et croître au Moyen-Orient, on limiterait les risques de terrorisme ? »Dans une note publiée en février, vous remarquiez que dans l’histoire récente, les attentats commis en France n’avaient en général pas grand-chose à voir avec nos actions militaires…

Oui. La plupart des interventions militaires ne génèrent pas de terrorisme et l’immense majorité des actes terroristes ne sont pas liés à nos interventions militaires. On peut citer les attentats de Carlos en 1982, celui de la rue des Rosiers la même année, les attaques de 1985-1986 liées à de prétendus « prisonniers politiques » au Proche-Orient ou ceux de 1995, qui relevaient de la guerre civile en Algérie. Nos interventions militaires n’étaient pas non plus la motivation de Mohamed Merah, de Mehdi Nemmouche ou des frères Kouachi. Tous ceux qui prétendent qu’en réorientant notre politique étrangère et en cessant toute action militaire contre des pays majoritairement musulmans, nous ferions cesser le terrorisme sur notre sol comme par enchantement, sont soit des ignares, soit des menteurs.

Par ailleurs, s’imagine-t-on qu’en laissant Daech se développer et croître au Moyen-Orient, on limiterait les risques de terrorisme ? C’est totalement absurde. Si on avait laissé Daech devenir un véritable Etat au cœur du Moyen-Orient, nous n’aurions fait que l’encourager dans sa stratégie de confrontation avec l’Occident.

Croire à la logique des « représailles » risque donc de faire le jeu de la propagande de l’EI ?

Tout à fait. La propagande de Daech doit être prise au sérieux en tant que telle et analysée finement, car elle est parfois sincère, mais elle comporte aussi des éléments de manipulation.

 

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