Le président, l'enfant et le croque-mitaine

Pour son premier Salon de l’agriculture de président, François Hollande avait ironisé sur la défaite et le retrait de Nicolas Sarkozy. Une prédiction malheureuse qui rappelle que le socialiste n’a pas été élu sur un programme, mais sur le rejet de son prédécesseur…

Ce fut davantage qu’une petite vacherie. La scène se déroula, à Paris, le 22 février 2013. Rappelez-vous, c’était au 50e Salon de l’agriculture, en pleine visite de François Hollande. D’une humeur primesautière ce jour-là, le président, nouvellement élu, inaugurait pour la première fois ce fameux rendez-vous du monde agricole, épiphanie du chiraquisme et célébration de la France tête de veau.

Cabotant de stand en stand, entouré d’une forêt de caméras, le chef de l’Etat s’était arrêté afin de nouer une discussion avec un groupe d’enfants, peu impressionnés de se retrouver face à l’hôte de l’Elysée. « Je vous vois qu’à la télé », avait commencé un petit garçon. « Ah oui, c’est pas pareil, hein ! », avait répliqué le président de la République en s’enquérant aussitôt : « C’est mieux ? » Alors qu’il était sur le point de partir, une petite fille lui déclara : « J’ai jamais vu Nicolas Sarkozy. » « Ah bah, tu ne le verras plus », avait répondu du tac au tac Hollande comme s’il venait d’écarter d’un revers de main le croque-mitaine planqué sous le lit.

Il n’y avait pas de projet

Des esprits taquins feignent parfois de l’oublier, mais François Hollande ne fut pas élu sur son projet pour la France. Il n’y avait pas de projet. Dans ses fonds de tiroir, l’ancien premier secrétaire du PS avait bien gardé quelques textes élaborés par les clubs Démocratie 2000 au milieu des années 90, mais ces derniers sentaient davantage la naphtaline que l’air du grand large. Ce n’était pas par paresse, mais par intime conviction. L’homme répugne à toute idée de présenter un roman national, ce qui explique qu’à côté de lui un Emmanuel Macron puisse faire figure d’enchanteur et qu’un Manuel Valls puisse passer pour un théoricien politique. D’ailleurs, il est significatif – ô combien – que le PS de Jean-Christophe Cambadélis, qui parle le Hollande sans peine, préfère parler pour 2017 de « cadre » qui permettra de mettre en place « l’armature » d’un hypothétique projet.

Il n’a jamais eu pour ennemi la financeNon, Hollande ne fut pas élu sur un projet. Encore moins sur les promesses égrenées lors de son discours du Bourget, même si vous pouvez trouver toujours aujourd’hui des querelles d’exégètes pour comprendre le sens véritable de ce que l’on présenta comme un discours fondateur alors qu’il n’était qu’un exercice, plutôt réussi, de mollétisme. Le chef de l’Etat n’a jamais eu pour ennemi la finance. Il n’a pas d’ennemis et pas d’amis non plus. De même, il n’a jamais été dans son intention d’opposer un projet européen alternatif face à celui d’Angela Merkel. Plus proche de Jospin que de Delors, l’idéal européen ne l’a jamais vraiment fait vibrer. C’est un euphémisme.

« Encore une promesse non tenue »

Attaquer le président de la République sur ses promesses de campagne est donc de parfaite mauvaise foi, puisque nul ne l’attendait sur ce terrain. Non. Hollande n’a au fond été élu que sur une seule promesse. Une seule : celle de ne plus jamais revoir Nicolas Sarkozy dans le jeu politique. C’était simple, clair et apparemment à sa portée : faire disparaître comme par magie celui que l’on avait – et Marianne en premier – présenté comme un croque-mitaine. Et c’est d’ailleurs ce que révèle l’anecdote du Salon de l’agriculture, qui à l’époque scandalisa la droite. Derrière cet aspect M. Petite Blague, qui conduit parfois à s’interroger si les Français ont élu un chansonnier de la troupe du Caveau de la République, elle était là, LA promesse hollandaise. Le problème est que le principal intéressé a déchiqueté cette belle assurance. Deux ans plus tard, presque jour pour jour, Nicolas Sarkozy, qui faisait son grand retour porte de Versailles et qui ne pratique pas spécialement la Clémence d’Auguste, répondait au chef de l’Etat en lâchant un « Qui a dit qu’on ne me verrait plus ? » A cela, un journaliste répondit : « François Hollande. » « Encore une promesse non tenue », s’amusa l’ancien président de la République, tout nouveau président de l’UMP, plus viandard que vachard.

Un animal politique peu ordinaireNicolas Sarkozy est présent et bien présent. Les stratèges élyséens, qui sont moins des chevaux légers que des traîne-pantoufles, nous expliquent avec une mine gourmande que c’est là la chance de François Hollande. Très franchement, il est permis d’en douter. Vouloir rejouer le TSS (tout sauf Sarkozy) une seconde fois apparaît aussi puéril qu’absurde. Il suffit juste de sortir des établissements germanopratins pour appréhender combien l’impopularité de l’actuel président de la République n’a rien à envier à celle de l’ancien ! J’ajouterai qu’il faut être d’une mauvaise foi crasse pour ne pas s’être aperçu combien la prestation télévisée de Sarkozy au lendemain de l’attentat de Nice montrait à nouveau qu’il est bien un animal politique peu ordinaire.

Monsieur le président, il vous reste quelques mois pour décider si vous souhaitez ou non vous présenter à l’élection présidentielle. C’est court, surtout quand, comme vous, on préfère se laisser glisser sur le toboggan de l’Histoire plutôt que de marquer un temps d’arrêt pour réfléchir. Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçu, mais la France de 2017 n’aura plus grand-chose à voir avec celle qui vous a porté au pouvoir. Elle a tout simplement changé de logiciel comme cela s’était rarement produit jusque-là. Entre deux blagues, pensez-y.

 

>>> Retrouvez cet éditorial dans le numéro de Marianne en kioques du 29 juillet au 4 août 2016 inclus, au prix de 3,50 €.

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