A Saint-Etienne-du-Rouvray, la peur que la bonne entente entre cathos et musulmans se dégrade

A Saint-Etienne-du-Rouvray, entre catholiques et musulmans, les relations ont toujours été cordiales, amicales même. Les habitants de la commune craignent que l’attentat qui a coûté la vie au père Jacques Hamel mardi 26 juillet, et blessé un paroissien, mette à mal cette bonne entente patiemment construite au fil des ans… Reportage.

« Quand je vois le prêtre, je ne lui dis pas bonjour, je l’embrasse. » ; « Avec l’imam, nous avons fait de belles rencontres… «  A Saint-Etienne-du-Rouvray, une petite commune normande située à quelques kilomètres de Rouen, la cohabitation entre les différentes communautés de fidèles y est depuis toujours fraternelle. Ce n’est pas Mohammed Karabila, le président de la mosquée de la commune, la mosquée Yahya, et l’abbé Alexandre Joly, le vicaire du diocèse de Rouen, qui diront le contraire. Lorsqu’ils évoquent l’attentat qui a meurtri Saint-Etienne, ce mardi 26 juillet, ils emploient d’ailleurs, sans le savoir, presque les mêmes termes.

S’attaquer au père Jacques Hamel, le tuer, l’égorger alors qu’il s’apprêtait à célébrer la messe, « c’est un symbole fort. La messe, c’est un acte d’amour de Dieu », rappelle l’un. Aujourd’hui, « les terroristes se sont attaqués à un symbole. A un homme de paix, qui priait son Dieu dans son autel », précise l’autre. A plusieurs centaines de mètres de distance, les paroles du président de la mosquée et du vicaire résonnent, se confondent.

Le premier, assailli par les journalistes, se tient devant l’entrée de la mosquée comme pour la protéger, physiquement, des attaques. Le second « reçoit », derrière le périmètre de sécurité, plus bas, dans la vieille ville, à quelques mètres de la mairie en briques rouges et de l’église Saint-Etienne, où deux jeunes de 19 ans ont égorgé un vieil homme de foi, de 67 ans leur aîné, célébré par tous, pour avoir « mis sa vie au service de celle des autres ». 

Des mains tendues, la peur et un homme d’église assassiné

Près d’eux, les fidèles se retrouvent, ensemble, inquiets. Aristide, la quarantaine, rentre de vacances, lunettes de soleil sur la tête, encore incrédule. Catholique pratiquant, il est persuadé que les terroristes viennent d’ailleurs, « pas d’ici. Ici, tout le monde se connaît, se côtoie, il y a une bonne entente », précise-t-il quelques heures après la tuerie. Les noms des assassins n’ont pas encore été dévoilés. On apprendra plus tard que l’un d’entre eux, Adel Kermiche, est bien originaire de la commune mais déjà transparaît chez cet homme fort, costaud, la crainte que l’attentat « nuise à la paix, qu’il électrise la situation, que les gens commencent à se méfier. » « J’ai peur maintenant, je n’avais pas peur avant, avec les attentats à la télé, mais cette nuit, je n’ai pas pu dormir » confie également, émue aux larmes, une paroissienne âgée. 

Tous ont alors un souvenir à partager comme pour faire taire l’angoisse et l’incompréhension. Aristide, lui, se souvient « qu’une fois », à l’église Saint-Etienne, lors de « l’enterrement d’un voisin, il faisait très chaud. Et que juste à côté, la boucherie halal avait distribué de l’eau aux gens. » Même sentiment à l’antenne « Alcool Assistance » de Haute-Normandie, dont les locaux se situent dans un petit local entre l’église Sainte-Thérèse et la mosquée Yahya. « Ça s’est toujours très bien passée », confie la permanence. « Au début du mois » par exemple, « nous avons organisé un pique-nique dans le jardin. » Face à eux, l’entrée de la mosquée et les musulmans venus prier. « Ils passaient, disaient bonjour avec le sourire », poursuit-on à l’antenne. Il n’y a jamais eu de problème. Ni de « dégradations ».

« Ce qui nous sépare en somme, explique Mohammed Karabila, interrogé sur les relations entre la mosquée et l’église à Saint-Etienne, c’est 20 cm de mur, et dans le mur il y a une porte. » La mosquée Yahya est en effet construite sur un terrain qui jouxte l’église Sainte-Thérèse. Inutile de préciser qu’un jeu de « clef » se trouve des deux côtés, dans chacun des bureaux. Une porte ouverte, des mains tendus, et un homme d’église assassiné. A Saint-Etienne-du-Rouvray, la bonne entente patiemment bâtie au fil des années a été piétinée, violemment mise en péril par deux fous d’Allah. Pourquoi ? Comment ?

Les imams internet

Pour Mohammed Karabila, l’attentat, cet acte « abject, barbare » est la faute des imams « Google » qui abreuvent les jeunes sur internet de prêches violents. Accusé d’être lui-même à la tête d’une mosquée salafiste, qui prône un islam rigoriste, il dément. « Regardez, vous voyez des salafistes ici ? », interroge-t-il. Il est 13h30, ce mercredi. Un jour après l’attentat, le ciel est nuageux, gris. A ce moment là, deux hommes frêles, aux cheveux grisonnants, en chemisette et en pantalon en velours côtelé, s’avancent à petits pas vers la mosquée pour ôter leurs chaussures. L’heure file, et bientôt à l’intérieur, la voix du muezzin appelle à la prière. Les jeunes commencent à leur tour à arriver. Si leurs aînés apparaissent en chemise et pantalon, voire en costume traditionnel marocain, eux, à une large majorité, arborent une barbe et des pantalons courts, affichant le code vestimentaire propre au salafisme.

« La mosquée n’a jamais donné la parole au courant salafiste », assure le président. « Par contre, poursuit-il, notre porte est ouverte à tout le monde, on ne filtre pas l’entrée. Au contraire, les jeunes radicalisés on veut qu’ils viennent nous voir, nous écouter. » Parmi les équipes du département de Seine-Maritime, en charge notamment de mettre en place des mesures de lutte contre la radicalisation, on ne confirme pas. On n’infirme pas non plus. « Nous ne nous exprimerons pas sur le sujet », répond-on à Marianne. 

« Les gens qui viennent à la mosquée sont à l’image du quartier, mélangé, conclut Mohammed Karabila. Certains viennent en chemise, en pantalon, d’autres en costume, d’autres encore en jilbab, (la tenue islamique qui recouvre l’intégralité du corps de la femme à l’exception de son visage, ndlr). L’image du quartier c’est l’image de la mosquée ».

Les craintes d’être stigmatisés

Au quartier justement, parmi les jeunes qui connaissaient Adel Kermiche, la crainte d’être désormais stigmatisé se fait aussi ressentir. Assis sur des chaises en plastique, au pied d’un ensemble d’immeubles blancs de trois ou quatre étages, surnommé le « village », ils fument, et jouent avec le chien de l’un d’entre eux, Keiser, un petit animal noir potelé.

Adel ? « Ouais on le connaissait, c’était un petit, il était en manque d’intelligence, ça se voyait. Si on lui disait t’as vu, ce bonbon il est fait avec de l’herbe, il allait croire que le bonbon c’était de l’herbe et pas du sucre, il croyait à tout. » (…) Mais « après la Syrie il ne parlait plus à personne. S’il était venu nous faire ses speechs, on lui aurait mis des claques direct. T’attrapes un vieux qu’a rien à voir, tu l’égorges, c’est un truc de ouf wech, c’est choquant ! C’est nous qui allons nous manger ça dans les dents maintenant, on sera mis dans le même sac », redoutent-ils.

Choquant, le mot sera prononcé à plusieurs reprises par les jeunes. Sur le chemin du retour, dans l’allée qui relie la vieille ville aux hauteurs et aux quartiers populaires, le Village, le « PMT » (le parc Maurice Thorez) et le quartier du Château Blanc, où se situent l’église Sainte-Thérèse et la mosquée Yahya, les retraités arrachent les mauvaises herbes qui entourent leurs maisons, des pavillons coquets tantôt en pierre, tantôt aux façades blanches, fleuries. Aux feux rouges, les voitures s’arrêtent pour laisser traverser les piétons. Le supermarché, à quelques mètres de l’église Saint-Etienne, affiche des promotions alléchantes, inscrites en grandes lettres rouges, les mêmes de la veille, comme si rien ne c’était passé. Mais dehors, la police patrouille, armée.

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