Nice : les dessous de l'attaque contre Cazeneuve… et la réponse de l'IGPN

C’est avec l’aval d’une conseillère du maire de Nice, par ailleurs épouse du directeur de cabinet du même Christian Estrosi, que Sandra Bertin a donné sa décoiffante interview au « Journal du dimanche » après l’attentat de Nice, accusant le cabinet de Bernard Cazeneuve d’avoir voulu tronquer son rapport sur le déroulement de l’attaque.

Le 14 juillet 2016 au soir, à la mairie de Nice, il n’y avait qu’une seule personne, côté cabinet, pour assurer la jonction entre la police municipale et la police nationale : Véronique Borré, conseillère au cabinet du maire et épouse d’Anthony Borré, directeur de cabinet du maire – épaulée par une cadre de la police municipale, officiellement chef du dispositif, nous précise-t-on à la mairie. Le patron de la police municipale (du moins celui qui fait office de patron, l’officiel ayant été mis sur la touche sur décision du tribunal administratif), Jean-Michel Truglio, était en déplacement dans un village voisin où il fait campagne ; il avait assisté au défile, puis à la réception, avant de rentrer chez lui, mais reviendra à Nice dans la soirée, vers 23 h. Christian Estrosi, 1er adjoint chargé de la sécurité depuis qu’il a quitté son poste de maire pour se consacrer à la présidence de la région PACA, venait de rejoindre des amis dans un restaurant du Vieux-Nice, lui qui n’avait participé à aucune des réunions consacrées à la sécurisation des festivités du 14 juillet – des réunions techniques, fait-il savoir, auxquelles il n’avait pas été invité. La désormais célèbre Sandra Bertin, cheffe du centre de supervision urbain de Nice, à l’origine d’une décoiffante interview dans les colonnes du JDD, était, selon ses dires, sur son lieu de travail, face aux écrans relayant les images transmises par ces caméras de vidéosurveillance qui font l’honneur de la ville…

Voilà les informations dont dispose Christian Estrosi lorsqu’il accueille Bernard Cazeneuve sur le tarmac de l’aéroport de Nice, dans la nuit du 14 au 15 juillet. Son modèle de ville super-sécurisée vient de voler en éclats sous les roues d’un camion fou. Le « baron » de la Côte d’Azur décide de pointer les faiblesses de l’Etat pour dissimuler celles de son dispositif. Est-il au courant de ce qui se trame du côté de l’Hôtel de Ville ? Selon nos informations, c’est Véronique Borré, en collaboration avec le service de presse de la mairie de Nice, qui fixe le cadre de l’interview au cours de laquelle Sandra Bertin (candidate à la direction de la police municipale) affirmera avoir subi des pressions du « cabinet » du ministre de l’Intérieur pour tronquer un rapport sur la chronologie de l’attentat. Le tout avant que son avocat, qui est aussi celui de la mairie, ne fasse un « signalement » auprès du procureur de la République, sans préciser les faits qu’il visait…

Une version que tient à corriger Anthony Borré, directeur de cabinet du maire, selon lequel les journalistes ont été autorisés à rencontrer des représentants syndicaux de la police municipale « par souci de transparence », au terme d’une cérémonie d’hommages, afin qu’ils évoquent le « malaise des policiers municipaux ». Anthony Borré qui précise que Véronique Borré n’a pas assisté à l’entretien accordé par Sandra Bertin.

Ecran de fumée ? Les suites se déroulent devant la justice, saisie d’une série de plaintes émanant de familles des victimes, visant à la fois la mairie et l’Etat, d’une enquête pour « abus d’autorité » ouverte après les dires de Sandra Bertin, et de la plainte en diffamation déposée par Bernard Cazeneuve. L’inspection générale de la police nationale, elle, a rendu son rapport au ministre de l’Intérieur mercredi 27 juillet, qui l’avait réclamé pour dépasser les polémiques. 

Un rapport qui cherche l’apaisement dès les premières lignes et dont voici de larges extraits : 

« La multiplicité des grands rassemblements populaires, si elle a permis aux autorités de ce département d’acquérir un véritable professionnalisme en matière de gestion de l’ordre public, constitue cependant une charge extrêmement lourde, rendue plus sensible encore par les contraintes en effectifs.

Aussi, une communauté de travail s’est-elle naturellement établie entre la préfecture, la police nationale et la police municipale de Nice, partenaire aussi incontournable qu’apprécié et avec lequel des relations de confiance ont été tissées de longue date (…)

Traditionnellement, la journée de la fête nationale est marquée à Nice par quatre événements organisés par la mairie: le défilé, la garden party, la Prom party constituée d’animations musicales et au cours de laquelle se déroule le feu d’artifice proprement dit. Les deux derniers sont appelés à se répéter durant l’été, quatre fois pour les animations et deux fois pour le feu d’artifice. Les effectifs policiers sont donc particulièrement rompus à la sécurisation de ces festivités.

Chaque année, le défilé est l’occasion pour la municipalité de mettre à l’honneur sa police municipale, conduisant, par là-même, la police nationale à prendre exceptionnellement en compte la mission de circulation pendant son déroulé. C’est après avoir quitté la garden party offerte par le maire que les agents municipaux relèvent les policiers nationaux sur les points de circulation.

Il faut par ailleurs noter la concomitance d’un feu d’artifice à Cannes, à la charge de la DDSP des Alpes-Maritimes (…).

En ce mois de juillet 2016, aucune cible n’a été signalée par le service du renseignement territorial, ni lors des réunions préparatoires au défilé, ni lors des réunions quotidiennes tenues par le DDSP. Dès lors, le dispositif a été bâti sur la base d’une appréciation globale de la menace terroriste privilégiant l’hypothèse d’agresseurs piétons et armés s’en prenant à la foule.

Les quatre réunions préparatoires ont permis aux différents acteurs d’acquérir une connaissance partagée et complète des dispositifs projetés. La mairie y était associée et représentée.

Au cours de ces réunions ont été validées, tant l’économie générale du dispositif que ses modalités d’application :

• économie générale du dispositif : sur la proposition du DDSP, les autorités ont retenu la reprise, pour ce 14 juillet, du schéma validé2 après les attentats des 7 et 9 janvier 2015 et appliqué pour les éditions 2015 et 2016 du carnaval de Nice. Ce schéma vise objectivement le risque terroriste et propose un reclassement des priorités (mission anti-délinquance, tranquillité publique, etc.).

• modalités d’application : les concepteurs du service d’ordre ont été confrontés à la grande difficulté de sanctuariser, pour un évènement au cœur de Nice, une large zone à contrôle d’accès systématique. Ils se sont adaptés à la configuration particulière de la promenade des Anglais en privilégiant la tenue de points de sécurité périmétriques et le contrôle aléatoire des personnes.

Quant à un possible forcement du dispositif par un véhicule bélier, ni la nature de l’événement ni la configuration des lieux, ni alertes d’aucune sorte, n’ont conduit la préfecture, la DDSP et la mairie à travailler sur cette hypothèse.

Sur-employées depuis plusieurs mois, entre manifs et Euro de football, les forces mobiles (CRS et gendarmes mobiles) n’étaient pas en capacité, ce soir-là, d’assurer une présence sur le terrain, mais la police nationale était bien présente autour de la Promenade des Anglais, avec 64 fonctionnaires.

Conclusion du rapport : 

« La police municipale a géré sans incident notable la dérivation de la circulation des véhicules à la périphérie du dispositif qui lui était notamment confiée. De la même façon, la police nationale a rempli ses missions de surveillance et de détection d’individus à risque sans signaler de difficultés à l’intérieur du périmètre particulièrement protégé.

Les premiers départs de spectateurs sont observés dès la fin du spectacle pyrotechnique ; un quart d’heure après, intervient l’attaque du camion.

La mission n’a pu établir à partir de quel moment le poids lourd utilisé pour l’attaque a commencé à circuler. De fait, seule l’enquête judiciaire permettra d’établir s’il y a eu anomalie dans le repérage et l’interception d’un véhicule qui ne devait pas circuler dans Nice ce jour-là  (…).

Le camion accède par l’ouest à la baie des Anges.

Le premier point de circulation tenu à l’ouest du dispositif (point Gambetta) par la police municipale, qui a relevé la police nationale comme prévu, devient donc de fait le premier point d’alerte et de signalement de l’attaque. Pourtant, il est avéré qu’un autre véhicule de la police municipale en intervention plus en amont sur la baie et hors du dispositif a été le premier à constater le parcours mortel du camion et à le signaler par radio à son PC. Le deuxième signalement est opéré logiquement par l’équipage de police municipale placé au point de circulation Gambetta.

Les policiers nationaux, situés quant à eux en deçà du périmètre de circulation sur le point Meyerbeer, à l’entrée de la zone de contrôle renforcée, premier capteur de l’attaque, n’en prennent connaissance qu’au moment où le camion surgit devant eux provoquant des mouvements de panique dans la foule.

La fulgurance de l’action terroriste a empêché la transmission et la réception de l’information par radio dans des conditions de nature à leur permettre la compréhension immédiate de l’intensité de l’agression (…).

Malgré cette confrontation sans préavis au danger, les fonctionnaires de police ont pu dans l’instant comprendre l’intention criminelle du chauffeur du camion et ouvrir le feu de neutralisation, pour certains de face, pour d’autres latéralement après s’être lancés à sa poursuite (…)

Il faut être conscient du fait qu’il n’existe aucune solution technique de nature à assurer totalement la sécurité d’un tel rassemblement populaire, confronté à un tel mode opératoire et compte tenu de la topographie des lieux ».

Un ton bienvenu à l’heure où les politiques s’écharpent, sauf qu’aux yeux de la mairie de Nice, le compte n’y est pas. Selon le décompte effectué par le directeur de cabinet du maire, ce ne sont pas 64 policiers nationaux qui étaient en poste aux abords immédiats de la Promenade des Anglais, mais 39, les autres étant répartis entre le Vieux Nice et la Place Masséna. De quoi relancer la polémique avec la Place Beauvau.  

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