L’arroseur arrosé : comment l’austérité budgétaire tue nos écoles de commerce

Après plus de trente ans de domination monétariste et néoclassique sur la pensée économique enseignée à HEC Paris, à l’ESSEC et ailleurs, les politiques d’austérité budgétaire se répandent par contagion dans nos écoles de commerce. Un retour de bâton particulièrement rude.

À partir du milieu des années 1970, nos écoles de commerce se sont converties aux doctrines de pensée économique en vogue à cette époque. Souvent appelées par leurs détracteurs le « néolibéralisme », elles ne sont en réalité ni neuves, ni libérales. Il s’agit simplement de deux courants académiques : lemonétarisme et le néoclassicisme. Ils affirment que les politiques keynésiennes ne fonctionnent pas. Ils soutiennent que les pouvoirs économiques – « le marché » – sont toujours de meilleurs gestionnaires que l’Etat. Pour eux, puisque l’Etat est un acteur défaillant dans la vie économique, mieux vaut qu’il s’en retire au maximum. Par extension, puisque la relance par la dette ne marche pas, l’Etat doit se désendetter. Accessoirement, cela doit permettre que les investisseurs se tournent vers le secteur strictement privé, au lieu d’acheter de la dette publique.

Du fait de cette grande conversion de nos écoles de commerce, la teneur de leurs cours magistraux, le choix des manuels utilisés, et les politiques publiques présentées comme bonnes en salle de classe, s’en sont trouvées transformées. Il ne faut pas chercher plus loin la profonde unanimité sur ces sujets de leurs anciens élèves et des personnes qui y ont enseigné ces trente-cinq dernières années. Elle relève de la récitation ou, comme l’aurait formulé le regretté Bernard Maris, du catéchisme. Auparavant, des années 1940 jusqu’au premier choc pétrolier, le même phénomène avait d’ailleurs profité au keynésianisme, révéré comme parole d’évangile dans ces mêmes écoles.

Le retour de bâton s’avère particulièrement rude

Après plus de trente ans de domination monétariste et néoclassique sur la pensée économique enseignée à HEC Paris, à l’ESSEC et ailleurs, le retour de bâton s’avère particulièrement rude. En effet, le Grand Krach de 2007-2008 ayant provoqué un effondrement économique doublé de l’envolée des dettes des Etats, nos élites dirigeantes en sont revenues, après une très brève parenthèse keynésienne pour sauver le système bancaire, aux fondamentaux du dogme. Elles ont donc accumulé et elles accumulent encore, après après année, des coupes dans les dépenses publiques pour faire baisser la dette. Parmi les structures touchées, se trouvent notamment nos chambres de commerce et d’industrie. Le ministère du Budget leur a ainsi infligé pour la seule année 2015 une baisse d’un demi-milliard d’euros de leur financement public. Or, ces mêmes chambres sont par ailleurs les propriétaires respectifs de la plupart de nos grandes écoles de commerce : HEC Paris est la propriété de la CCI Paris Ile-de-France, EM Lyon a pour possesseur la CCI de Lyon, Toulouse Business School appartient à la CCI de Toulouse, et ainsi de suite.

Les investissements d’avenir grippés par la pénurie de financements

Par contagion, les politiques d’austérité budgétaire se répandent donc dans nos écoles de commerce. Alors que par définition cela dégrade la qualité du service quotidien fourni à l’étudiant, la proportion de personnel administratif en CDI baisse, tandis que celle de leurs équivalents plus jeunes et en contrats précaires augmente. Alors que c’est le seul vrai gage d’un enseignement supérieur de qualité, la proportion d’enseignants titulaires et à temps plein stagne ou baisse. Ils sont eux aussi de plus en plus remplacés par des équivalents plus jeunes et en contrats précaires. Alors que presque toutes ces écoles affichent des stratégies très ambitieuses de déploiement mondial et de rayonnement académique, leurs investissements d’avenir sont grippés par la pénurie de financements. Le reste est à l’avenant. Il ne faut d’ailleurs pas chercher plus loin la multiplication des projets de regroupement d’écoles de commerce. En apparence, ils ont pour but d’atteindre la dimension d’un très grand établissement international. En réalité, c’est fait pour compenser l’assèchement budgétaire grâce à la mutualisation des structures.

En d’autres termes, c’est une belle variante de l’arroseur arrosé. La suite de l’engrenage est d’ailleurs prévisible. À force de financement public manquant, ces écoles vont être de plus en plus réduites à mendier le mécénat des grandes multinationales et des très fortunés ; et donc, à devenir « la danseuse » de tel ou tel grand oligarque. L’on peut leur souhaiter meilleur sort. Encore faudrait-il que dans leur propre intérêt, elles rompent avec le dogme monétariste et néoclassique, pour revenir à un enseignement résolument pro-keynésien.

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