Rappelez-vous le temps qu’il a fallu et les bégaiements sémantiques avant de parler clairement de « terrorisme islamiste »…
Avec raison, les Français ne voient aujourd’hui qu’une chose : la France est en train de perdre des batailles face au terrorisme. Ces défaites sont payées au prix fort, au prix du sang, et conseiller le fatalisme dans ce domaine est non seulement inepte, mais surtout inaudible. Oh, certes, il est possible de trouver toutes les arguties possibles pour nous conter que l’internationale de la haine est affaiblie, que des coups terribles lui sont portés, que sa stratégie est inconséquente et autres fadaises du même genre. Autant d’éléments de langage concoctés par des communicants de crise s’étant arrêté au premier épisode de la série « Scandal ». Mais rien n’y fait. Les faits sont têtus et nos concitoyens aussi. Ils savent très bien que Daech a succédé à Al-Qaida et que demain surgira une nouvelle monstruosité totalitaire tant que l’on persistera à ne pas regarder le mal en face.
Au nom de quoi et au nom de qui commet-on ces massacres ? Est-ce au nom des mécréants, des apostats, des agnostiques, des païens, des sceptiques ? Non. Est-ce sur les recommandations d’Epicure, de Lucrèce, de Giordano Bruno, de Voltaire, de Holbach, de Spinoza, de Richard Dawkins ? Pas davantage. On détruit, on écrase, on anéantit au nom de la religion et toutes les contorsions sociologiques, psychologiques, philosophiques ou politiques ne changeront rien à l’affaire. Reconnaissons que ce déni ne date pas d’hier. Ces dernières années, on s’est évertué à ne jamais parler d’exaction religieuse, préférant parler de « terrorisme », de « luttes communautaires », de « conflits ethniques », comme si le fanatisme était par essence contraire à la religion. Mais qu’importe puisque l’essentiel était – et demeure encore quand on lit les publications de l’Observatoire de la laïcité de Jean-Louis Bianco qui porte si mal son nom – de ne pas indisposer, de ne pas froisser, de ne pas injurier l’avenir, comme si nous pouvions nous construire un futur avec ceux qui ne rêvent que de nous replonger dans les ténèbres du passé.
Rappelez vous aussi l’inanité du débat dans les chancelleries européennes en 2014 sur l’opportunité d’appeler ou non le califat d’Al-Baghdadi « Etat islamique ». La belle affaire ! Bon sang, mais c’est bien sûr, les massacres qui se perpétuaient et qui continuent de se perpétuer sur les bords du Tigre et de l’Euphrate étaient l’œuvre du matérialisme dialectique, du positivisme, du nihilisme ou que sais-je encore. De même que les attentats du 11 septembre, du 7 janvier ou du 13 novembre, les « crimes d’honneur » en Inde, les massacres en Afrique, les assassinats de médecin pratiquant l’interruption volontaire de grossesse aux Etats-Unis ou les « troubles » en Irlande du Nord étaient menés par des illuminés, des déséquilibrés ou des psychotiques.
Rappelez-vous le temps qu’il a fallu et les bégaiements sémantiques avant de parler clairement de « terrorisme islamiste ». On comprend une certaine gêne quand on décidait de dérouler le tapis rouge et de décorer de la Légion d’horreur le prince héritier d’Arabie saoudite.
Nos dirigeants avaient sans doute oublié que désigner l’ennemi est l’acte qui préside à toute guerre. Comment se battre, en effet, quand on s’acharne à vouloir ignorer contre quel adversaire on lutte ? Ils étaient tellement effrayés de la portée de la fameuse phrase de Camus – « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » – qu’ils se sont résolus à ne pas nommer du tout. C’était plus simple ainsi : ce qui n’est pas nommé n’existe pas.
Voilà pourquoi, à chaque fois, on rejoue le même scénario.
1. Ne pas aller trop vite dans les conclusions, attendre la fin de l’enquête (notons, au passage, que ce sont les mêmes qui, en d’autres occasions, piétineront allègrement la présomption d’innocence).
2. Expliquer que c’est sûrement là l’action d’un déséquilibré, d’un dépressif ou d’une personne sous influence. La preuve : ses voisins et ses proches attestent que l’assassin était l’homme le plus doux du monde. Un peu comme le moine Jacques Clément, bras armé de la Ligue avant qu’il ne croise le chemin d’Henri III.
3. Prendre avec circonspection la revendication de Daech. Cette dernière ne peut être cette fois-là qu’opportuniste.
4. Souligner les lacunes théologiques du tueur, sa conversion rapide ou encore sa pratique papillonnante. Il va de soi que le 22 juillet 1209, la soldatesque catholique qui a envahi les rues de Béziers pour égorger femmes et enfants cathares avaient auparavant usé leurs robes de bure sur les bans de la Sorbonne.
5. Marteler que la religion n’a rien à voir dans cette affaire puisqu’elle nous enseigne que Dieu est amour. On n’aura pas la cruauté de rappeler ce passage de l’Exode : « Je sèmerai devant toi, ma terreur, je jetterai la confusion chez tous les peuples où tu pénétreras ; et je ferai détaler tous tes ennemis » (XXIII, 27).
6. S’écrier avant même que les cadavres ne soient refroidis que les « vraies » victimes sont les adeptes de la religion évoquée parce qu’ils se sentent discriminés après l’attentat dont la conséquence première n’est pas de provoquer la terreur mais de renforcer l’islamophobie.
7. Prier pour ceux qui ont été tués… par la religion. Et offrir comme consolation à leurs familles et leurs amis, comme le fit le pape François au lendemain de l’attentat de Nice, la « demande [faite] à Dieu de changer le cœur des violents aveuglés par la haine ». Si par hasard cette dernière aboutissait, ce serait assurément une grande première dans l’Histoire de l’humanité. Une divine surprise, en quelque sorte.
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