L’auteur-compositeur et interprète sort de sa zone de confort. Accompagné d’un violon, d’une guitare et d’un accordéon, il renoue avec l’urgence de l’adolescence, sans tomber dans la mélancolie, et nous livre une « explosion de vie ».
Mais qu’est-ce qui a changé chez Miossec ? Presque tout, et pourtant rien. Le pudique Brestois, qui nous avait mis KO, en 1995, avec Boire, un premier album comme un direct au foie, vient de virer de bord. Délaissant les grands espaces, l’anti-Rastignac de la chanson française a choisi les contre-allées. Ces chemins qu’il arpente depuis maintenant plus de deux ans, ce sont ceux d’une France étiquetée profonde, une France « catastrophée », dit-il, par la violence djihadiste, l’ampleur de la crise et l’iniquité des politiques. Il a troqué des tournées calibrées contre une nouvelle vie de bohème, pour jouer dans des endroits improbables, des guinguettes, des vignobles, des chapelles, des jardins, des clubs et même un ancien bordel, « à l’arrache, sans moyens, sans loge, sans rien ».
A la rigueur d’un groupe trop bien rodé aux grandes scènes, il a préféré une nouvelle formation, un trio folk composé de la violoniste et mandoliniste Mirabelle Gilis, ancienne élève du conservatoire de Toulouse et de Saint-Pétersbourg, du guitariste américain Leander Lyons et de l’accordéoniste vosgien Johann Riche. Et il ne regrette pas d’avoir pris cette vague rafraîchissante. Il est heureux. « C’est une chance incroyable d’avoir trouvé ces musiciens, confie de sa voix chuchotée le jeune et fringuant quinqua, protégé des trombes d’eau parisiennes par un caban de mathurin rompu à l’Atlantique. Dans la chanson française, il y a toujours le danger du professionnalisme d’où est souvent absente une part de folie. Là, on est en plein dedans. On a repris nos bâtons de pèlerin, pour chercher la proximité avec le public, pour provoquer de l’humanité. Cela nous a fait du bien. »
L’avait-il seulement perdue, cette proximité ? En vingt ans de carrière – « Je ne m’y fais pas, à ce mot. Quand on l’emploie, je vois toujours l’endroit où l’on creuse au prix d’un dur labeur pour extraire quelque chose« , glisse-t-il, mutin, dans un sourire -, l’auteur-compositeur-interprète de Brûle, même s’il a plus d’une fois bousculé sa respectabilité musicale, n’a jamais rompu le lien avec son auditoire. Même au prix d’une remise en question permanente de sa manière d’écrire, n’hésitant jamais à passer de l’impérieuse immédiateté rock – A prendre, en 1998 – à l’épure minimaliste – Ici-bas, ici même, en 2014 -, sans omettre la période grand orchestre – 1964, en 2004. N’hésitant pas non plus à écrire pour d’autres, et, notamment, pour le « taulier » Johnny Hallyday, ce »20 ans » qui lui vaudra la Victoire de la chanson originale de l’année 2014. Le public est là, peut-être parce que cet ancien journaliste – il a travaillé pour Ouest France – a toujours osé se mettre à nu dans des confessions à peine voilées sur la complexité des relations humaines, avec sa façon de toucher au cœur sans avoir à sortir la grande artillerie lexicale.
Mais là, avec Mammifères, sur lequel celui qui s’était retiré dans la solitude d’une maison surplombant la mer d’Iroise confesse chercher « de la compagnie », quelque chose vient de basculer. Et pas seulement parce que, dans un grand chambardement, Miossec, cet admirateur de Tom Waits, dont il partage le goût pour les couvre-chefs et l’économie des mots, après avoir été en couple pendant vingt ans avec le label indépendant Pias, est parti rejoindre la major Columbia.
On pensait que c’était mai 81, notre trauma, mais, non, c’est la tuerie de Charlie Hebdo et celle du Bataclan.Non, les chocs, qui l’ont forcé à sortir de sa zone de confort, à tout revoir d’un œil neuf, ce sont ceux des attentats parisiens de 2015 et celui de la disparition de son ami Rémy Kolpa Kopoul, journaliste de Libération et de Radio Nova, explorateur fou des musiques du monde, victime d’une crise cardiaque alors qu’il séjournait dans le refuge du Brestois. « Notre génération n’a pas connu d’événements tragiques, comme ceux qu’a traversés la génération précédente, la guerre d’Algérie, par exemple. On pensait que c’était mai 81, notre trauma, mais, non, c’est la tuerie de Charlie Hebdo et celle du Bataclan. Après ce qui s’est passé, je ne voulais pas me planquer à regarder l’océan, je voulais être dans le partage, être utile aux autres, leur faire du bien. Et l’ombre de Rémy, qui était quelqu’un de bienveillant, a plané sur ce projet », explique Miossec. Sur le choral et darwinien Mammifères, qu’il qualifie volontiers de « militantisme musical », cela sonne comme un authentique retour au port musical.
Dans ces 11 chansons acoustiques, lumineuses, joyeuses, proches du diskaner, cette phrase répétée de la tradition orale celtique, se dévoile un Miossec cascadeur, qui est désormais capable de « survivre aux explosions, aux grandes émotions ». Qui renoue avec l’urgence de Printemps noir, son groupe de l’adolescence. Qui renoue aussi avec la solidarité, cette valeur qui lui a été inculquée par des grands-parents communistes, une mère bénévole à Emmaüs, un père pompier et un frère infirmier. Il assure qu’ils « sont contents de [le] voir évoluer ainsi ». Lui aussi, qui voulait « créer un folklore personnel d’un pays qui n’existe pas pour parler au cœur des gens. » Et nous avec, de le voir se réinventer.
Et même si le triptyque « La vie vole », « l’Innocence » et « Après le bonheur », où l’accordéon qui sonne comme un bandonéon argentin et le violon tsigane soulignent allègrement la fin de l’insouciance après Charlie, Miossec a décidé d’en finir avec la mélancolie, car, décidément, rien ne vaut la vie : « Quand la mort vous tombe dessus, c’est une explosion de vie qui advient. Je me suis dit qu’il fallait y aller à fond. » L’atteste l’entraînant « On y va, on y va » – « On va quand même tenter le coup/On va quand même tenter l’exploit », suite logique au « On vient à peine de commencer », qu’il chantait de sa voix rocailleuse en 2014, même si « les Mouches », avec son texte puissant et sans équivoque sur la mort, attendent de survoler nos corps.
Cette impérieuse impulsion traverse ce dixième album, sur lequel ne figure aucune chanson ouvertement politique, comme l’auteur de Brest avait l’habitude d’en disséminer dans ces albums depuis « Boire » et son « Regarde un peu la France », avec ces mots « Pasqua, l’horreur », et « Baiser » et son « On était tellement de gauche autrefois ». Ou peut-être le sont-elles toutes. Mais lui, l’est-il encore, de gauche ? « Oui, bien sûr, devant le FN et les 28 % d’intentions de vote pour Marine Le Pen, on ne peut que l’être. Mais j’avoue que c’est de plus en plus dur. Il faut croire qu’une fois arrivé à l’Elysée tout le monde décroche, même ceux qui croyaient au peuple. La politique est dans une impasse. Cette Ve République fait de la France la seule monarchie d’Europe, le président s’y comporte en toute impunité et les politiques continuent à gérer les affaires publiques alors qu’ils sont mêlés à des scandales divers et variés. Pas étonnant que d’autres paroles, radicales, surgissent. Je ne parle pas d’Alain Finkielkraut et sa Défaite de la pensée, ce monsieur fait partie de ceux qui pensent qu’ils sont déjà dans le dictionnaire. Ils s’imaginent muséaux. » Lui, il est prêt à assumer son rôle. « Je me suis promené à Nuit debout, et j’ai pris conscience que, mon boulot, c’était de chanter, pas de rajouter de la parole à la parole. Alors, conclut cet humble barde errant, qui a déserté ses falaises crayeuses pour ressentir et battre le bitume parisien, je suis revenu à l’essence de la musique. Je sais que ce n’est que de la musique, que ce n’est peut-être rien du tout pour les politiques, mais si cela permet aux gens de passer un bon moment, alors j’aurai rempli ma véritable fonction : leur apporter un peu de bonheur. » Mission accomplie.
*Mammifères, de Miossec, Sony/Columbia.
En concert les 16 et 17 juillet aux Francofolies de La Rochelle ; le 23 juillet au Festival Fnac Live, salons de l’Hôtel de Ville, Paris Ier ; et du 25 au 28 octobre aux Bouffes du Nord, Paris Xe.
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