Quel avenir pour le journalisme à l’heure des réseaux sociaux ? Lauren Malka interroge une profession qui doit se réinventer à l’aune des nouveaux outils.
Dans un court et brillant essai, Lauren Malka oppose presse papier et presse numérique pour prédire leur union future dans une redécouverte de valeurs communes. Dans dix ans,cinq ans, avant peut-être, il est possible que vous ne puissiez plus lire cet article que sur un écran d’ordinateur. Et après ? Cela concerne-t-il d’autres que nous, pauvres scribouillards épuisés à défendre un mode archaïque de diffusion de nos idées parce que nous ne savons pas évoluer ? Ou au contraire se joue-t-il dans ce simple changement de média beaucoup plus, à savoir une histoire et une conception de l’information qui la bouleversent de fond en comble ? Dans ce petit livre malin*, Lauren Malka, journaliste trentenaire elle-même prise entre une formation à l’écrit et des nécessités professionnelles qui l’ont emmenée sur le Web, chasse gardée des fameux Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon), fait le point sur cette question sans doute plus importante qu’il n’y paraît.
Que nous dit-elle ? D’abord, que rien n’est neuf en ce domaine, et que le débat qui semble nous agiter depuis l’apparition du «journalisme Web» est né bien avant Steve Jobs. Si Lauren Malka commence par nous entraîner dans les tristes séances de formation à Google que doit subir aujourd’hui tout aspirant au grand marché de l’information, c’est aussi pour nous montrer que les règles dictant cette soumission au moteur de recherche sont souvent les mêmes que celles que professaient déjà Théophraste Renaudot et le moins connu Hippolyte de Villemessant, l’homme qui, en 1854, a fait du Figaro un quotidien : rechercher ce qui intéresse le lecteur, le rendre le plus lisible possible et, mon Dieu, ne pas hésiter non plus à flatter ses bas instincts quand il le faut.
Si la peur légitime de la robotisation qui menace est réelle, elle n’est pas non plus à opposer à un âge d’or qui n’était ni si doré ni si pur que cela non plus. Et ce court essai, plutôt que de jouer les Cassandres, préfère faire confiance aux capacités d’introspection des journalistes eux-mêmes et parier sur le fait que ce changement d’outil les contraint à inventer. Malka en voit une preuve dans la façon dont se sont organisés les réseaux sociaux et l’information qu’ils relayaient au moment des attentats du 13 novembre 2015. L’exposé est clair et intelligent. Saluons-en la forme qui, loin de l’essai didactique, nous entraîne dans une sorte de conte philosophique où s’affrontent autour d’un novice en quête de vérité quelques conférenciers, un historien du journalisme et des portraits ironiques de grandes figures des médias. On lui reprochera seulement, à nos yeux, de ne pas assez mettre en avant que le journalisme Internet, pour l’instant, menace avant tout ce genre fondateur qu’est le reportage, en condamnant les «nouveaux journalistes» au sédentarisme téléphonique et informatique.
Ce petit livre, couplé avec celui de Mazarine Pingeot, La Dictature de la transparence, lance chez Robert Laffont une nouvelle collection dirigée justement par Mazarine Pingeot et par Sophie Nordmann, «Nouvelles mythologies». S’inspirant de Roland Barthes et de ses fameuses Mythologies, à savoir expliquer le monde à partir d’un objet, d’un mouvement, d’une tendance, elle va s’essayer à décrypter notre époque de façon intelligente et ludique à la fois. Objectif atteint avec ces deux premières livraisons. Attendons les autres.
*Les journalistes se slashent pour mourir, de Lauren Malka, Robert Laffont, 160 p., 10 €.
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