S’il n’a pas explicité ses intentions ni fait acte officiel de candidature pour l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron a livré ce mardi 12 juillet à ses partisans réunis à la Mutualité, à Paris, un véritable premier discours de campagne qui s’est terminé sur ces mots : « Nous allons prendre tous les risques, et je les prendrai avec vous »…
Un comité d’accueil digne d’un Premier ministre ou d’un Président : dans la rue en face de la Mutualité, la salle du Vème arrondissement de Paris qui accueille le premier meeting d’Emmanuel Macron, une centaine de manifestants contre la loi Travail scandent « Macron, collabo du Medef ! ». L’un d’eux tient une grande pancarte sans équivoque : « Macron m’a tuer ! ». Parmi eux, des membres du syndicats SUD Solidaires, et des militants de Nuit Debout. Devant, un cordon de CRS assez tranquilles. Le ministère de l’Intérieur n’a semble-t-il pas décidé de boucler le quartier…
Les « macroniens » – un mélange de cadres en mode afterwork, de jeunes en costumes cravates, ou de plus jeunes en baskets aux figures adolescentes – doivent les contourner pour espérer entrer dans cette salle si mythique. Les bénévoles d’En Marche, le mouvement d’Emmanuel Macron, chargés d’assurer l’accueil du public, semblent un peu dépassés par le nombre de participants (l’entourage d’Emmanuel Macron évoquait dès ce week-end 5.000 inscriptions pour 2.000 places). Les portiques de sécurité sonnent à chaque passage sans provoquer plus de vérifications. À l’intérieur, Gérard Collomb, le maire de Lyon, devenu l’un des plus fervents supporters de Macron, savoure de se retrouver en duplex avec BFMTV. Un peu partout dans la salle, des pancartes « Bougeons les lignes », « Marchons ».
Quand Emmanuel Macron arrive enfin dans la salle, les participants lui font une standing ovation de cinq minutes. Mais place d’abord à ses supporters, façon show à l’américaine. « J’ai décidé de rentrer à cause de vous », lui déclame « une entrepreneure » ayant travaillé « six ans dans la Silicon Valley ». Intervient ensuite Patrick Toulmet, président de la chambre des métiers et de l’artisanat de la Seine-Saint-Denis et conseiller régional de l’UDI. Séquence sentimentale : « J’ai senti que vous étiez différent. Vous êtes l’inverse de ce que dit la presse. Vous n’êtes pas un financier froid glacial », entame-t-il. « Un ministre ça se met d’habitude sur la pointe des pieds, vous, vous m’avez écouté accroupi (…) Je parle avec mon cœur, parce que vous le méritez ». Avant de conclure : « Je ne vais pas marcher avec vous, je vais rouler avec vous, même très vite ».
Place à l »écrivain Alexandre Jardin, un ami du ministre, qui continue dans la même veine : « Merci d’être un homme joyeux ». Avant de proposer une « alliance des “faiseux” pour gagner le pouvoir en 2017 », en citant Nicolas Hulot, Jean-Louis Borloo, Gérard Collomb, Thierry Mandon, ou Jean-Christophe Fromantin. Ajoutant : « Je demande à Emmanuel Macron de ne plus se poser la question, j’y vais, j’y vais pas ». Le député PS du Finistère, Richard Ferrand, prend la suite, évoquant dans son discours François Mitterrand pour qui il s’est engagé en politique il y a 40 ans. Ferrand multiplie les tacles à l’égard du pouvoir actuel : « Nous ne parions pas sur la présence du FN au second tour de la présidentielle pour espérer une victoire ». Lui qui se dit « lassé de l’esprit de boutiques, et des boutiquiers de la politique », ironise : « Qui mieux qu’un ancien banquier pour faire sauter la banque ? ». Concluant, un brin grandiloquent : « Mettons nous en marche, car l’histoire n’attend pas ».
Après un clip monté pour l’occasion, Emmanuel Macron – qui était jusqu’alors assis dans la salle à écouter sagement – se met enfin en marche vers la tribune. « Merci d’être là ce soir. Nous sommes 3.000 ce soir ! », commence le ministre. « Plusieurs milliers ont dû repartir, car ils n’ont pas trouvé de places. Je veux m’en excuser. Mais on en fera d’autres ! » Nouvelle ovation dans la salle. « Ce soir, nous n’avons pas forcément les mêmes idées, heureusement », ajoute-t-il, en appelant à « un rassemblement large de ceux qui veulent changer le pays ». Il y a du Ségolène Royal chez Macron.
Le ministre l’assure : « Cette histoire, elle dérange aussi (mais) rien ne doit nous arrêter » car « nous pouvons transformer ce pays ». Si le ministre remercie de sa « confiance » François Hollande qui l’a nommé à son poste, il n’oublie pas de faire le droit d’inventaire du quinquennat bientôt terminé : « Notre pays est usé par les promesses non tenues », « la fatigue du pays se nourrit (…) d’un manque de lucidité ». Fustigeant aussi « les blocages », « les lobbies », « les groupes d’intérêts », il lance : « Nous avons besoin d’une refondation (…) C’est le moment de faire des choix clairs, collectifs, afin de prendre des décisions courageuses ».
Et de commencer une leçon de choses sur la situation géopolitique mondiale, les enjeux environnementaux. Tout y passe : Moyen-Orient, Ukraine, réfugiés, terrorisme… Il rend hommage au combat de Nicolas Hulot, qu’il qualifie de « missionnaire » et se met à critiquer « un système capitaliste à court termiste qui (…) a réduit insidieusement les chances et les opportunités des plus faibles (…) Les premières victimes, ce sont les générations à venir ».
Puis Macron renouvelle ses critiques à l’égard du système politique traditionnel : « Il faut arrêter de maintenir ce pays dans un état de minorité intellectuelle et politique ». Et tente une clarification de son positionnement : « Il y a des différences entre la gauche et la droite (…) Face à tous ces changements, il y a une solution de droite ? Une solution de gauche ? Sur tous ces défis, il y a des réponses à gauche et à droite. » Plus direct : « Quand on est des milliers comme ça, nous ne sommes pas des ni-ni ».
Autre hommage : Michel Rocard. Il salue alors sa veuve Sylvie, présente dans la salle. Et balance un scud contre le Premier ministre, sans le nommer : « Des gens ont essayé de récupérer Rocard de son vivant, ils n’ont pas réussi ». C’est le moment où le ministre évoque le début d’un éventuel projet. Inégalités dans le pays, éducation, chômage, Europe… Le docteur Macron tente un diagnostic : « Il ne faut pas mépriser » la France « en souffrance » mais lui proposer « des solutions ». Et tient à dire que « la solidarité, ce n’est pas un gros mot », souhaitant « réconcilier les deux France ».
Pour affirmer ses différences avec Manuel Valls, héraut de la République, Macron évoque assez longuement la question de la laïcité, qui ne doit pas être « un combat contre une religion, l’Islam, ce serait une erreur fondamentale (…) Daech, ce n’est pas l’Islam ». Et conclut son long discours sur « les perdants de l’Europe » : « Si nous ne savons pas leur proposer quelque chose, demain, il n’y aura plus d’Europe (…) Cette refondation européenne passe par une association des peuples. Là aussi, nous avons une responsabilité ». Pourtant, en ce 12 juillet 2016, Macron n’explicitera pas ses ambitions à court terme, même s’il multipliera les allusions : « Imaginez où nous serons dans trois mois, dans six mois, dans un an… » Jusqu’à cette tirade presque limpide :
« L’élection de 2017, ce n’est pas un vote contre. C’est une occasion que nous allons prendre ensemble. Nous sommes là ce soir pour revendiquer un droit, le droit de voter pour. Pour un projet, pour le pays. C’est cela, notre bataille pour les prochains mois. Nous allons prendre tous les risques, et je les prendrai avec vous. À partir de ce soir, nous devons être ce que nous sommes, c’est-à-dire le mouvement de l’espoir, c’est cela, ce que nous sommes. Et ce mouvement, maintenant, plus rien ne l’arrêtera, parce que c’est le mouvement de l’espoir et que notre pays en a besoin, nous le porterons jusqu’en 2017 et jusqu’a la victoire ! »
Les « macroniens » se mettent immédiatement à scander à gorges déployées : « Macron président ! » Finalement, Macron invente le discours politique au style indirect. Et comme certains chanteurs qui laissent leur public chanter à leur place, il laisse exprimer ses envies et ses ambitions par ses partisans. Une ficelle qui pourrait bientôt rompre, à force d’être usée.
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