Officiellement, la dette de la France n’a pas passé le cap symbolique des 100% de PIB. En réalité, ce montant a bel et bien été franchi en mars. Mais la comptabilité publique, et surtout la faiblesse des taux, ont permis au Trésor de jongler avec les emprunts et de placer sous le tapis encore 8 milliards d’euros durant les six premiers mois de l’année 2016, selon les chiffres obtenus par « Marianne », après déjà 22 milliards en 2015. En place depuis 2008, cette stratégie a permis de masquer 70 milliards de dette ! En les prenant en compte, la dette de la France culmine en fait à 100,7%.
Officiellement, la dette de l’Etat s’élevait à 2.137,6 milliards d’euros au premier trimestre, en hausse de 40,7 milliards par rapport au trimestre précédent. Rapportée à la richesse nationale, cette dette mesurée selon les critères de Maastricht atteint 97,5% du PIB. Pas de quoi s’alarmer, selon la Cour des comptes qui estime que « le rythme de progression de la dette de l’État s’est réduit, principalement sous l’effet de la politique d’émission (de dette, ndlr) qui a permis d’enregistrer d’importantes primes à l’émission ».
En fait, la « maîtrise » de la dette cache un stratagème révélé par L’Opinion. Comme les taux d’intérêts en Europe sont très bas, proches de 0%, l’Etat propose aux investisseurs d’acheter des obligations à un taux de l’ordre de 6% qui ensuite leur rapportera davantage d’intérêts, en échange d’une prime importante. Ainsi en février 2015, l’agence France Trésor a émis 1 milliard d’euros d’obligations, que les financiers ont acheté 1,5 milliard. Pour la seule année 2015, la petite « manipulation », comme l’a dénoncée le député LR Gilles Carrez, a permis d’afficher une progression de la dette inférieure de 1 point de PIB (21 milliards) à ce qu’elle aurait dû être.
Mais ce qu’a oublié de préciser le journal de Nicolas Beytout, c’est que c’est sous Nicolas Sarkozy que l’Agence France Trésor a commencé à multiplier l’émission de dette « off the run », comme on dit dans les salles de marché. En 2011, 41% des émissions de la dette française l’ont été au-dessus du taux normal, avec à la clef un peu moins de 6 milliards d’euros de « primes » dans les caisses du Trésor, et 8 milliards en 2010. L’affaire était certes proportionnellement moins juteuse à l’époque, car le taux d’intérêt à 10 ans s’établissait à 4%, contre seulement 0,5% en 2015. A l’agence France Trésor, qui pilote la dette de la France, on a peu gouté la polémique. « Notre démarche ne relève pas de la stratégie politique. Nous avons agi en totale liberté en suivant scrupuleusement les principes qui guident notre politique d’émission », assure Anthony Requin, son directeur. Le haut fonctionnaire convient que « cela réduit de manière incidente le rythme d’augmentation du stock de dette ». Mais cela augmente aussi la charge future des emprunts. L’Etat devra ainsi verser 200 millions de plus par an pendant 10 ans pour compenser les seules primes encaissées en 2015.
Depuis 2009, ce sont 70 milliards d’euros qui sont passés sous le tapis, 20 pour Nicolas Sarkozy et déjà près de 50 pour François Hollande. Résultat : chaque année nous devons rembourser presque 600 millions de plus. Autant d’argent qui n’ira pas dans des dépenses d’investissements. Mais qu’importe, sans cette stratégie, la France aurait dû afficher une dette de 100% du PIB au premier semestre 2016. Ce n’est qu’un seuil psychologique qui ne change rien à la nature de la situation, mais qui rend périlleux la communication de l’Elysée fondée sur le mantra : « ça va mieux ».
Transposons la stratégie de l’Etat à un individu : François doit absolument couvrir un découvert de 2.000€…
> La banque A lui fait une proposition correspondant au prix du marché : 2.000€ à 10% sur 3 ans, soit des annuités de 200€, avec un remboursement au terme des 3 années. Problème, la capacité d’emprunt de François est limitée à 1.000€.
> La banque B, qui fait dans les montages complexes, lui propose alors ce deal : lui prêter 1.000 € à 53,3%, soit des annuités de 533€ sur 3 ans toujours. Mais ces énormes intérêts, 1.600€, sont compensés par une prime de 1.000 €. Officiellement, le bilan de François affiche donc une dette de 1.000€, concrètement il a reçu 2.000 € mais a multiplié par 2,7 ses remboursements.
Stratégie simplifiée |
Situation comptable |
Année 1 |
Année 2 |
Année 3 |
Total |
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|
intérêts |
intérêts |
intérêts |
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Emprunter 2.000€ à 10% |
J‘ai 2.000€, ma dette augmente de 2.000€ |
200 |
200 |
200 |
2.600€ |
Emprunter 1.000€ à 53,3% et encaisser une prime de 1.000€ |
J’ai 2.000€, ma dette augmente de 1.000€ |
533 |
533 |
533 |
2.600€ |
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