Prescrit aux femmes enceintes dans les années 1950 à 1970, le médicament a provoqué d’importants effets indésirables aux enfants qui y ont été exposés dans le ventre de leur mère et aux enfants de ceux-ci. Reconnue victime du Distilbène en 2014, Sylvie Le Cossec demande désormais réparation pour son fils Julien. Et des essais réalisés sur des rongeurs laissent à penser que « l’exposition in utero au DES expose à des effets épigénétiques transmis aux générations non exposées directement au DES », rapporte la revue « Prescrire » dans son numéro de juillet…
Dans la famille Le Cossec, il y a trois lettres que l’on connaît, hélas, trop bien : D, E, S. Deux consonnes, une voyelle qui servent d’acronyme à l’imprononçable diéthylstilbestrol, une hormone de synthèse largement prescrite aux femmes enceintes à partir des années 1950 et jusqu’à la fin de années 1970, plus connue sous son nom commercial Distilbène.
Sylvie Le Cossec y a été exposée in utero, lorsque sa mère était enceinte d’elle. La molécule était censée prévenir les fausses couches. Le médicament s’est non seulement avéré être inefficace dans cette indication mais surtout, il est apparu qu’il provoquait de graves effets indésirables sur les bébés qui y étaient exposés, les « filles et fils DES » : risque accru de cancers du vagin, malformations génitales, infertilité…
« C’est le combat de David contre Goliath »Sylvie Le Cossec fait partie de ces milliers d’enfants victimes de ce médicament nocif dont les conséquences se font sentir encore près de 40 ans après son retrait : le Distilbène l’a touchée elle mais aussi son fils aîné, Julien. Le garçon, âgé de 17 ans, est un « petit-fils DES ». Il est né prématurément, en raison des malformations utérines de sa maman, Sylvie, et souffre d’un lourd handicap moteur, mental et visuel. Depuis 7 ans, la famille Le Cossec se bat, sans relâche, pour que soit reconnue la responsabilité du Distilbène dans les pathologies et malformations qui affectent la mère et le fils. « C’est le combat de David contre Goliath », confie Sylvie Le Cossec, fatiguée par des années de procédures, d’appels, d’expertises, de contre-expertises, et de « stratégies de la montre » jouées par le laboratoire.
Une première victoire a été remportée il y a deux ans, en mars 2014, puis confirmée en mai dernier : le lien de causalité entre le Distilbène et les anomalies utérines de Sylvie a été établi et le laboratoire commercialisant l’hormone, UCB Pharma, a été condamné. Pour autant, la famille ne compte pas s’arrêter là : elle souhaite que le handicap de Julien soit lui aussi reconnu comme un effet du DES. Un rapport d’expertise a d’ailleurs conclu en ce sens : l’infirmité motrice cérébrale dont souffre l’adolescent est en lien avec l’accouchement prématuré, celui-ci découlant des malformations utérines de la mère, provoquées par son exposition au DES.
Une chaîne causale dramatique que remettent en cause le laboratoire UCB et son assureur, Zurich. « Ce n’est pas parce que le DES est à l’origine du préjudice de Mme Le Cossec qu’il est à l’origine de celui de Julien », a plaidé l’avocate de Zurich lors de l’audience qui s’est tenue le 30 juin dernier au Tribunal de grande instance de Nanterre. Une décision doit être rendue le 29 septembre prochain. Julien aura alors tout juste fêté ses 18 ans.
Seuls 3 « petits-enfants DES » ont été reconnus victime du médicamentDepuis vingt ans, une centaine de cas de « filles DES » ont été plaidés devant les tribunaux. Les affaires concernant les « petits-enfants DES », la troisième génération touchée par les effets de la molécule, sont encore peu nombreux. Avant Julien, trois autres enfants, nés très prématurément, ont été officiellement reconnus victimes du produit pharmaceutique.
La justice a reconnu pour la première fois la responsabilité du Distilbène dans des handicaps survenus à la troisième génération en 2011. Il s’agissait d’un jeune garçon dont la grand-mère s’était vu prescrire du Distilbène et dont la mère souffrait, elle aussi, de malformations utérines. La cour de Versailles avait estimé que l’exposition in utero de sa mère au DES était responsable de l’accouchement très prématuré, cause quant à lui du handicap de l’enfant. « La prématurité expose les nouveau-nés à de graves complications néo-natales, notamment de troubles neuro-sensoriels, handicaps, ainsi qu’à une mortalité néonatale accrue et ce d’autant plus que la prématurité est grande », explique la revue médicale Prescrire, qui consacre un large dossier aux effets nocifs du DES sur la troisième génération dans son numéro de juillet 2016.
Une étude rétrospective menée par l’association Réseau DES estime ainsi qu’un quart des « petits-enfants DES » français sont nés prématurément, contre 3% des enfants en population générale. Aux Etats-Unis, des recherches ont fait état de données similaires : le taux d’accouchement prématuré des « filles DES » s’élève à 26%, contre 8% chez les femmes non exposées à la molécule. La troisième génération n’est par ailleurs peut-être pas la dernière touchée : des essais réalisés sur des rongeurs laissent à penser que « l’exposition in utero au DES expose à des effets épigénétiques transmis aux générations non exposées directement au DES », note Prescrire. Une véritable bombe à retardement, en somme.
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