VIDEO – Club Paris Première : BHL sur la ligne de front

A l’heure de la twitterisation des cerveaux, il est malaisé d’échapper au rythme hectique de l’info en continu et de prendre le temps de la réflexion. Le Club Paris Première, créé à l’initiative du directeur général de la chaîne, Jonathan Curiel, répondra à cet objectif. Chaque mois, en partenariat avec “Marianne”, ce nouveau cercle de réflexion reçoit dans un lieu culturel de la capitale (le café Les Ombres, au musée du Quai-Branly) des personnalités pour un débat sans concession. Pour sa deuxième édition, c’est le philosophe Bernard-Henri Lévy, auteur du film “Peshmerga” et d’un essai récent, “l’Esprit du judaïsme”, qui a été mis à la question par les journalistes David Abiker et Alexis Lacroix.

Devant un auditoire fourni et attentif, Bernard-Henri Lévy est d’abord revenu longtemps sur le séisme qui secoue l’Europe : le Brexit. Sur le départ voulu et voté de l’UE, il lui est d’abord proposé par Alexis Lacroix d’évaluer la pertinence de la grille socio-économique. « Le Premier ministre britannique Benjamin Disraeli prétendait que tout s’expliquait en terre britannique par le clivage des poor et des rich. Le vote sur le Brexit n’en a-t-il pas apporté l’éclatante confirmation ? demande le journaliste. – Oui, Disraeli avait raison, mais, aujourd’hui, ce que produit surtout le résultat du référendum, c’est que les pauvres vont être encore plus pauvres, répond le philosophe, et que ceux qui ont un peu d’économies vont être forcés d’aller voir ailleurs. »

Sur le dilemme des Ecossais, dépités par le « leave » en raison de leur européisme assumé, le chantre de l’indépendance ukrainienne répond sans faux-fuyants : « Ce que je trouve vraiment navrant, c’est que David Cameron ait pris le risque de détruire le Royaume-Uni. Les Ecossais souhaitent demeurer dans l’Union européenne et il est très prévisible qu’ils ‘reprennent leur cou’, comme disait Sartre : autrement dit, ils vont rééditer le coup de leur référendum de 2015. » Et d’ajouter, avec un soupçon de colère dans la voix : « Jusqu’ici, dans un monde de grande insécurité, le Royaume-Uni représentait un pôle de stabilité. Sur un coup de politicien, David Cameron a choisi de mettre tout cet édifice en péril. »

Comment éviter la contagion brexiteuse ? Comment, dès lors, sauver ce qui reste de la maison Europe ?

« Sur ce point, tranche le philosophe, je suis pour une ligne chinoise.

Vous voulez dire que vous êtes un maoïste de l’Europe ?

Absolument ! Je plaide pour le grand bond en avant. Non, il ne faut pas refonder sur de nouvelles bases, il faut aller de l’avant, sans attendre et sans hésiter, vers l’union politique.

Mais attention, renchérit-il aussitôt, cela ne se fera pas en réduisant les enjeux à une pantalonnade courtelinienne. L’Union européenne n’est pas un mariage. Arrêtons avec cette psychologisation, avec ce discours kitsch sur le couple… Pour trouver les mots justes, François Hollande devra échapper à ce ‘narratif’… »

La conversation se muscle ensuite en abordant une deuxième menace géostratégique, celle de l’islamisme radical et de l’extrémisme djihadiste, dont BHL a souligné la dimension transnationale, en consonance avec le nouveau livre du ministre de La Défense, Jean-Yves Le Drian.

Daech, dernière perle de l’huître nazie ?

Vaincre Daech ? L’auteur de Qui a tué Daniel Pearl ? captive son auditoire et répond à une rafale de questions du public, en livrant une généalogie très contre-intuitive de l’hyperviolence islamiste : « Daech, ne vous y trompez pas, c’est la dernière perle noire lâchée par l’huître du nazisme en sa version arabe. » Ce faisant, il reprend des analyses qu’il avait développées dans des travaux antérieurs sur la genèse du « fascislamisme », un phénomène déjà ancien, une « narration qui s’est emparée du monde arabe » au moment de la naissance au Caire des Frères musulmans (1928) et qui a résulté de la fascination de nombreux intellectuels arabes de l’entre-deux-guerres pour les fascismes européens.

Embarqué plusieurs mois durant aux côtés des combattants kurdes d’Irak, Lévy en rapporte un beau film, Peshmerga, sorti le 8 juin sur les écrans. Il y magnifie la lutte assez solitaire, façon Désert des Tartares, des soldats de Barzani contre les bouchers de l’Etat islamique. Pour Lévy, pas de doute, voici la nouvelle, et décisive, guerre antifasciste.

Devant le Club Paris Première, Il tient à préciser : « Contrairement à ce que suggèrent certains, les peshmergas ne sont pas, mais vraiment pas, une armée embourgeoisée, ou poussive… Non, ces hommes et ces femmes ont cru, un temps, qu’ils en avaient fini avec la guerre et, face à ce que Daech représente, ils refont la guerre, avec détermination, mais sans l’aimer. Mon lyrisme vient de là. » Et puis, ajoute-t-il, « rendez-vous compte tout de même ! Peu de forces combattent le monstre Daech. Il y a, face à l’Etat islamique, deux lignes de front : d’un côté, Valls, Cazeneuve, Le Drian et les services de police européens ; de l’autre, ces hommes et ces femmes qui sont le dernier rempart face aux héritiers du nazisme. »

BHL a sans doute bien des défauts, mais il a une constante : son aversion pour le cynisme réalo-politicien, sa haine de l’indifférence. Rien n’a changé, de ce point de vue-là, depuis la Barbarie à visage humain. Même niveau de sollicitude envers ce que Marx nommait les misères du présent. Même défiance envers l’isolationnisme, fût-il « splendide »

L’Amérique glacée de Trump

Au mitan de l’année 2016, deux noms résument pour lui cet écueil : celui de Vladimir Poutine et celui de Donald Trump. Deux concentrés de négativité politique et humaine… Poutine, « adversaire de l’Europe construite par Jean Monnet, Robert Schuman et Winston Churchill » et qui opprime les petites nations d’Europe de l’Est coupables de regarder vers l’Ouest et vers l’Otan ; Trump, car « son populisme n’est pas anodin, et son slogan ‘America First’ [‘L’Amérique d’abord’] a un sens dans l’histoire américaine et réveille de sinistres échos. »

Echos, justement, d’une époque d’indifférence totale à l’endroit des périls internationaux. Pis : d’autarcie criminelle d’une partie de l’Amérique : « ‘America First’, c’était le slogan des prohitlériens de 1939, qui voulaient que l’Amérique se concentre sur elle-même et se détourne de sa souche européenne. » Trump, fils du pronazi Lindbergh ? A ce stade des échanges, David Abiker demande : « Bernard-Henri Lévy, est-il vraiment nécessaire d’aller aussi loin ? Trump, n’est-ce pas d’abord quelqu’un qui veut faire le buzz ? » Et Bernard-Henri Lévy d’opposer alors les buzzeurs qui font l’actualité et les esprits, plus inactuels, qui imprègnent sur la durée la sensibilité de leurs contemporains : « C’était pareil en France, au temps de Poujade. Ce dernier faisait le ‘buzz’, comme on dit. Et c’est Mendès France qui a changé les représentations. » Avant de conclure cette heure très remplie, BHL répond encore à une ou deux interpellations sur son optimisme. Où l’on découvre que, s’il ne désespère pas tout à fait de l’humain, c’est d’abord au judaïsme qu’il le doit, ou en tout cas à cette part du judaïsme qui ne renonce pas à réparer le monde.

 


 

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