Michel Rocard mérite bien sa statue, à côté de celle de l’homme qu’il admirait vraiment, Pierre Mendès-France. On n’en dira pas autant des rocardiens…
Michel Rocard est mort et il est raisonnable de lui rendre hommage. L’homme n’était pas tant un réformiste qu’un véritable réformateur. De ceux dont l’oeuvre dure à travers les temps, et non de ceux qui se contentent des « yaka faukon ».
Il suffit de se remémorer les principales réformes qu’il a mises en place, et qui sont si structurantes que les alternances successives n’ont pas réussi à les modifier, à les dénaturer et encore moins à les démanteler : le Revenu minimum d’insertion (RMI, que le RSA a à peine repeint), la Contribution sociale généralisée (conservée intacte malgré toutes les tentatives de l’intégrer à l’impôt sur le revenu), l’impôt de solidarité sur la fortune (en fait, l’ex-impôt sur les grandes fortunes de Fabius mais dont les taux et le plafonnement ont été établis sous Rocard), le statut de la Nouvelle Calédonie (qui maintient toujours la paix civile sur le territoire d’outre-mer).
En trois années et cinq jours (1988-1991) de pouvoir à Matignon, le bilan est élogieux, l’héritage conséquent, même si, bien sûr, on peut en faire la critique : le RMI est le signe que les politiques français n’ont plus jamais l’ambition de vaincre un jour le chômage de longue durée. La CSG est un obstacle (ni le seul, ni le plus important) à la création d’un grand impôt républicain sur le revenu. Enfin, on ne saura ce que valent vraiment les accords de Matignon qu’en 2018, si le référendum sur l’autodétermination qu’ils prévoient a bien lieu. Michel Rocard, piètre politicien qui erra du PSU révolutionnaire à l’ambassade de France auprès des Pôles, mérite bien sa statue, à côté de celle de l’homme qu’il admirait vraiment, Pierre Mendès-France.
On n’en dira pas autant des rocardiens. La liste des épigones du Premier ministre est longue comme celle des courses du samedi. On la trouve, en partie dans le JDD de ce dimanche. Premier constat, pour se considérer « rocardien », sorte d’onction virginale en politique (« moi je ne suis pas comme les autres ») il suffit d’avoir approché le grand homme. Une sorte d’élite décrite avec suffisance par Christian Blanc : « Ces hommes dérangeaient car ils voulaient ouvrir des perspectives, changer nos vieux logiciels. La confiscation du pouvoir à des fin purement électorales les en a empêchés ».
Dans cette génération « empêchées » par l’épreuve démocratique, on trouve donc une palanquée d’hommes de cabinets, de Jean-Paul Huchon à Emmanuel Macron en passant par Bernard Spitz, dont le « rocardisme » consiste à élever le « réformisme » au rang de valeur suprême en politique, en masquant un soutien bien arrimé à la pensée unique la plus conventionnelle. Ainsi du club des Gracques, dirigé par Bernard Spitz, qui se veut à la croisée des réformes indispensables, obligatoires, en fait le programme commun des élites françaises. Parmi eux, un Denis Olivennes qui se fit remarquer dès 1994 avec sa « préférence française pour le chômage », qui peut se résumer ainsi : « Si certains n’ont pas de travail, c’est parce que les autres ne veulent pas lâcher le leur ».
On se souvient aussi d’Olivier Ferrand, créateur de la Fondation Terra Nova et qui, à force de vouloir briser les tabous de la gauche, avait inventé dans une note « une nouvelle alliance progressiste» excluant les ouvriers et les travailleurs, conservateurs et décidemment incapables de comprendre les beautés de la deuxième gauche. On l’a su plus tard, mais la note avait été sévèrement critiquée par le comité scientifique de Terra Nova, présidée par Rocard lui-même. Sans doute le plus sincère est-il Pierre Larrouturou, qui avait créé le comité Roosevelt en 2012, avec l’appui d’Edgar Morin et de Michel Rocard. Etrange mimétisme en effet : Larrouturou, adepte des analyses économiques et sociales pointues et de la réduction du temps de travail, a désormais son petit parti Nouvelle Donne, dont l’inventivité rappelle celle du PSU. Mais il est retourné dans l‘orbite du PS. Comme Rocard en 1974…
Le cadavre du grand homme à peine froid, les héritiers réclament l’héritage dans des éloges funèbres qui se retournent quelquefois contre eux. Jean-Paul Huchon, son ex-directeur de cabinet à Matignon, dit ainsi : « Il n’a jamais rien fait de médiocre ». Ce dont ne peut pas se vanter l’ex-président de la Région Ile-de-France, dont il fallu attendre le remplacement par Valérie Pécresse en 2015 pour que déménage enfin en banlieue (Pantin) le siège de la région. Le VIIeme arrondissement de Paris, c’est tellement confortable !
Manuel Valls, qui se vit déjà comme l’avatar de Rocard, trouve une jolie formule : « Il savait rêver le monde » mais c’est justement ce dont lui-même semble incapable ! On cherche la grande réforme venue de Matignon depuis deux ans, à moins de considérer comme telle la loi Travail ! Et on sait combien la manière autoritaire et « hors de l‘histoire » dont il mène la loi El Khomri déplaisait à Rocard. Emmanuel Macron parle de ce dernier comme « d’un père politique et un ami… Un des rares politiques qui m’aient inspiré ». On compatit mais franchement, comment peut-on se réclamer du protestant Rocard lorsqu’on prend John Kennedy comme référence et modèle ?
Voici comment sont les enfants de celui qui fut le « trublion de la gauche ». Loin d’être à la hauteur du disparu, ils chantent tous en chœur : « On a tous en nous quelque chose de Michel Rocard ». Mais il ne suffit pas de le dire, encore faudrait-il en apporter les preuves.
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